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PAYSAGES - Paysages d'âme






Rêverie élémentaire



Par-delà les décors, et quelquefois les poncifs, que fournissent les mythes et légendes, un certain nombre de «thèmes » caractérisent, plus en profondeur, l'imagination symboliste : elle les organise en constellations d'images extrêmement denses, et les dote d'un pouvoir figurai considérable. Parmi les rêveries élémentaires chères aux symbolistes, on retiendra plus particulièrement les motifs végétaux, les gemmes et les pierreries, l'eau enfin, avec ses reflets et sa profondeur de songe.



Les motifs végétaux n'ont pas seulement la valeur écorative qui les caractérisait dans les ouvres des peintres préraphaélites. Dans leur version « décadente » - chez Huysmans, ou chez Jean Lorrain -, les thèmes floraux témoignent paradoxalement de l'antinaturalisme qui caractérise la sensibilité fin de siècle : les fleurs, quand elles ne sont pas des fleurs artificielles ou des fleurs de gemmes, sont des fleurs de serre ou d'intérieur; leur germination, volontiers monstrueuse ou fantastique, peut alors aisément symboliser les perversions du désir, ou le surgissement de l'inconscient. C'est le cas notamment dans les Serres chaudes ( 1889) de Maeterlinck, - comme ce poème intitulé «Feuillage du cour»:



Sous la cloche de cristal bleu

De mes lasses mélancolies,

Mes vagues douleurs abolies

S'immobilisent peu à peu :



Végétations de symboles,

Nénuphars mornes des plaisirs,

Palmes lentes de mes désirs,

Mousses froides, lianes molles.



Seul, un lys érige d'entre eux,

Pâle et rigidement débile,

Son ascension immobile

Sur les feuillages douloureux,



Et dans les lueurs qu'il épanche

Comme une lune, peu à peu,

Élève vers le cristal bleu

Sa mystique prière blanche.



La fonction décorative du thème reste cependant fortement investie, et, par-delà la période symboliste, elle se redéploiera dans l'Art nouveau, dont l'exubérance baroque fera un grand usage des compositions florales en arabesques ou en volutes : que l'on songe par exemple aux ferronneries de Gaudi, aux lacis des courbes dans les illustrations de Beardsley, ou aux arabesques végétales dans les affiches de Mucha.

Les gemmes et les pierres précieuses sont également un des motifs privilégiés de l'imagination matérielle du Symbolisme. Reprises à Gustave Moreau ou à Huysmans, elles sont d'abord la marque d'une évidente préciosité : c'est le cas notamment chez Moréas, chez Henri de Régnier, ou plus encore chez Robert de Mon-tesquiou, évoquant par exemple :



Le Sardonyx et la Sardoine

L'améthyste avec le saphir

L'Hyacinthe, la calcédoine

Et le jaspe [...]



Par-delà le jeu précieux, les écrivains symbolistes aiment aussi exploiter les très anciennes symboliques des pierres : elles font l'objet de tout un chapitre de La Cathédrale (1898) de Huysmans, et nourrissent, chez Villiers de L'Isle-Adam notamment, de multiples interprétations magiques, religieuses ou occultes. Mais en définitive, c'est à une certaine conception de l'art que renvoie l'insistance du motif des pierres précieuses, non seulement parce qu'elles charment le goût des symbolistes pour les termes rares et les détails érudits, mais encore parce que - chez Mallarmé tout particulièrement - leurs multiples reflets permettent de méta-phoriser, en même temps que les jeux réfléchissants de l'intellect pur, le miroitement interne des mots dans la structure autonome du poème.



Mais le thème le plus insistant dans les textes de l'époque, et partant le plus représentatif de l'imagination symboliste, est sans doute le thème de l'eau. Celui-ci, nous l'avons vu, se déploie dans les multiples représentations du mythe de Narcisse, où l'eau miroitante, en captant le moment où l'être s'apparaît à lui-même, se révèle particulièrement apte à méta-phoriser le mouvement réflexif de la conscience et à dévoiler la vérité essentiellement subjective des représentations. En cela, l'eau symboliste n'est pas l'eau impressionniste: les jeux de reflets y sont constamment dépassés dans la quête d'une essence, et les miroitements de surface introduisent à une descente en soi-même, dans les profondeurs du songe. Loin des chatoiements de lumière chers aux miroirs d'eau impressionnistes, les reflets, dans la poésie symboliste, donnent à voir l'autre face de la réalité, où les choses acquièrent une sorte de prolongement invisible, et apparaissent entourées de songe et de nuit. Il en est ainsi dans ce poème de Henri de Régnier, «Quelqu'un songe de soir et d'espoir», où le mouvement d'introspection que provoque l'apparition du reflet est éprouvé comme une sorte de traversée du miroir :



[...] je creusai dans la grève

Un trou où la claire eau marine et souterraine

Apparut et mouilla ma main,

De telle sorte que comme en rêve

Je me penchai sur l'eau et qu'à travers moi-même

J'y vis, face à face, mon rêve :

ô face en sang, où je m'apparus au miroir



De cette eau-là parmi le sable !

Narcisse arrogant et misérable,

Puisse le soir Emplir le trou fatal de toute sa ténèbre !

(Poèmes anciens et romanesques, 1895)



Au reste, les symbolistes délaissent assez vite les eaux de surface : ce sont les profondeurs sous-marines qui les attirent davantage, parce que, retirées de la vie, elles deviennent aisément une analogie du rêve et de l'inconscient. On songe à Laforgue, ou à Rodenbach. Mais, plus encore, à ce poème des Serres chaudes de Maeterlinck, que l'on pourrait rapprocher d'un tableau de Klimt intitulé Les Sirènes :



Sous l'eau du songe qui s'élève,

Mon âme a peur, mon âme a peur !

Et la lune luit dans mon cour,

Plongé dans les sources du rêve.



Sous l'ennui morne des roseaux,

Seuls les reflets profonds des choses,

Des lys, des palmes et des roses,

Pleurent encore au fond des eaux.



Les fleurs s'effeuillent une à une

Sur le reflet du firmament.

Pour descendre éternellement

Dans l'eau du songe et dans la lune.

(«Reflets»)





Si l'on prolongeait l'étude jusqu'aux ouvres de Claudel et de Proust, les variations du thème de l'eau rendraient sensibles à la fois la prégnance de l'imaginaire symboliste sur les ouvres majeures du premier XXe siècle, et la sortie du Symbolisme que celles-ci accomplissent : «miroir mental » ou matrice de la vie inconsciente, les eaux proustiennes ou claudéliennes ne sont cependant plus les eaux dormantes et mortifères de l'imagination symboliste; à nouveau elles s'éveillent à la vie, s'animent de tous les chatoiements des phénomènes sensibles, s'ouvrent à toutes les énergies du monde.



Paysages d'âme



La facilité avec laquelle l'imagination symboliste s'empare des matières élémentaires du monde sensible résulte en définitive de ce que tout paysage est, pour elle, un paysage intérieur, un paysage d'âme.

Au reste, le geste premier qui préside à l'organisation du paysage symboliste est celui d'un rejet du monde extérieur. Loin de l'attrait pour les vastes horizons qui fascinaient les romantiques, loin des descriptions du « milieu » si importantes dans les romans naturalistes, loin aussi des peintures de «plein air» chères aux impressionnistes, les symbolistes se refusent aux sollicitations de la nature et se replient en eux-mêmes, - imitant en cela la claustration de Des Esseintes, ou repétant le geste de l'Hérodiade mal-larméenne qui conjure les appels de l'Azur, autrefois célébrés dans les esthétiques romantique ou parnassienne :



[...] Clos les volets, l'Azur

Séraphique sourit dans les vitres profondes,

Et je déteste, moi, le bel Azur!



Plusieurs espaces élus par la poésie symboliste sont très symptomatiques de ce refus du monde extérieur. Chez Mallarmé, le drame de la conscience a pour cadre un intérieur bourgeois: le «salon vide» et sa «cré-dence » dans le « sonnet en X » ou dans le conte d'Igi-tur par exemple. Chez Maeterlinck, la « serre chaude » symbolise de manière exemplaire cet enfermement en soi-même, qui ne laisse apparaître le monde qu'à travers le prisme des verres, - qu'à travers les déformations des désirs et des angoisses. Le motif de la serre se décline à travers celui de la «cloche à plongeur», elle aussi figure d'un sujet muré en lui-même, coupé de «l'eau claire» du dehors, et ne percevant plus le monde qu'à travers les reflets déformants de ses fantasmes et de ses rêves :



ô plongeur à jamais sous sa cloche !

Toute une mer de verre éternellement chaude !

Toute une vie immobile aux lents pendules verts !

Et tant d'êtres étranges à travers les parois !

Et tout attouchement à jamais interdit !

Lorsqu'il y a tant de vie en l'eau claire au-dehors !

(Serres chaudes, «Cloche à plongeur»)



La «cloche à plongeur» appelle une autre image de l'enfermement : celle de l'aquarium. On la trouve non seulement chez Huysmans ou chez Laforgue, mais, avec une intériorité plus grande, chez Georges Rodenbach dans un recueil au titre symptomatique, Les Vies encloses (1896) : l'eau que contient l'aquarium est une eau « fermée au monde » qui « se possède toute»; ce n'est plus l'eau de la surface, tout entière « impressionnable » et réceptive aux événements du monde sensible ; mais une eau qui se découvre «dans sa profondeur, son infini de songe », dans « sa vie intérieure, à nu sous la cloison » ; comme telle, elle est l'image d'une âme «que rien n'influence», «enclose en du silence » et « toute vouée à son spectacle intérieur»:



Mon âme est devenue aquatique et lunaire ;

Elle est toute fraîcheur, elle est toute clarté,

Et je vis comme si mon âme avait été

De la lune et de l'eau qu'on aurait mis sous verre.

(Les Vies encloses, «Aquarium mental»)



Si toutefois le monde extérieur existe pour les écrivains symbolistes, c'est seulement dans la mesure où il peut servir de support à une projection des sentiments, de manière à objectiver en quelque sorte une subjectivité trop « volatile » en elle-même, - de manière aussi à rendre sensibles les « analogies » secrètes qui relient l'âme et le monde.

Verlaine est sans doute à l'origine de ces «paysages d'âme » qui vont devenir un poncif de la poésie décadente et symboliste : la «nuance» et la «musique» y sont les instruments privilégiés d'une sorte de dissolution du sujet dans le monde, qui fait s'estomper aussi les frontières du rêve et de la réalité.

Quelques ouvres sont plus particulièrement représentatives de ce traitement du paysage.



C'est d'abord l'ouvre d'Éphraïm Mikhaël, - avec L'Automne en 1886, où un certain mal « fin de siècle », très caractéristique de cette orée du Symbolisme, envahit le paysage :



L'ennui descend sur moi comme un brouillard

[d'automne Que le soir épaissit de moment en moment,

Un ennui lourd, accru mystérieusement,

Qui m'opprime de nuit épaisse et monotone.

(« Crépuscule pluvieux »)



Albert Samain ne retient des paysages que ce qui est en accord avec sa « langueur » ou sa « mélancolie » : des tons pastels, des « ciels roses défunts », des teintes crépusculaires. S'il aime l'eau, c'est que « l'eau musicale et triste est la sour de [son] rêve» {Au jardin de l'infante, «Extrême-Orient»); et s'il se connaît lui-même c'est seulement dans le reflet changeant des phénomènes :



Mon âme est l'eau qui brille, et la clarté dorée,

Et l'écume, et la nacre, et la brise et le sel...

(Au jardin de l'infante, « Midi »).



Les analogies secrètes qui se tissent entre une âme et un paysage sont le véritable sujet de ce récit poétique que constitue Bruges-la-Morte de Rodenbach ( 1892). Il s'agit, en inversant les rôles traditionnels assignés respectivement aux personnages et aux lieux romanesques, de traiter «la Ville comme un personnage essentiel, associé aux états d'âme», ainsi qu'il est dit dès «l'Avertissement» du roman. Les photographies insérées dans le récit se substituent aux descriptions des récits naturalistes, et renforcent pour le lecteur l'effet d'envoûtement que la ville produit sur le héros, Hugues Viane. Celui-ci, sensible aux «muettes analogies» et à la «pénétration réciproque de l'âme et des choses», capte de Bruges et de ses «solitaires canaux» tout ce qui peut s'accorder à son veuvage mental :



Une équation mystérieuse s'établissait. A l'épouse morte devait correspondre une ville morte. Son grand deuil exigeait un tel décor.

L'analogie tend bientôt vers une sorte de fusion complète entre le sentiment intérieur et la perception sensible :



Bruges était sa morte. Et sa morte était Bruges. Tout s'unifiait en une destinée pareille. C'était Bruges-la-Morte, elle-même mise au tombeau de ses quais de pierre, avec les artères froidies de ses canaux, quand avait cessé d'y battre la grande pulsation de la mer.

On ne s'étonnera pas que l'eau, une fois encore, soit l'élément privilégié de ces jeux de miroirs, et donne naissance à l'image d'une Bruges «ophélisée», dont l'emprise mortifère conduit Hugues Viane aux limites de l'hallucination:



Il semblait qu'une ombre s'allongeât des tours sur son âme ; qu'un conseil vînt des vieux murs jusqu'à lui ; qu'une voix chuchotante montât de l'eau - l'eau s'en venant au-devant de lui, comme elle vint au-devant d'Ophélie, ainsi que le racontent les fossoyeurs de Shakespeare.



Délires et hallucinations



Au reste, par-delà les « langueurs » des paysages d'âme symbolistes, il arrive que le subjectivisme des représentations produise des effets plus intenses : abolissant les frontières du songe et de la réalité, il ouvre le champ à la production d'univers imaginaires, qui se déploient souvent dans le vertige et l'hallucination.



La peinture rend particulièrement sensible ce débordement de la réalité perçue au profit de l'imaginaire. Pour les peintres « symbolistes et synthétistes » qui exposent en 1889 au Café Volpini, il s'agit, nous l'avons dit, de se démarquer des impressionnistes, parce que ceux-ci, selon Gauguin, « cherchent autour de l'oil et non au centre mystérieux de la pensée». Si certains alors, comme Odilon Redon, se détournent purement et simplement de la peinture de paysage pour vouer la toile à la transcription de visions fantastiques venues tout droit de l'inconscient, d'autres, avec en premier lieu Gauguin lui-même, font subir au paysage une série de transformations qui le plient à une vision déformante et le font basculer dans une création onirique. A ceux qui sont venus se grouper près de lui à Pont-Aven puis au Pouldu, Gauguin recommande de ne pas trop peindre «d'après nature» :



L'art est une abstraction, ajoute-t-il, - tirez-la de la nature en rêvant.



Les couleurs cessent d'obéir à une visée mimétique, pour ne plus correspondre qu'à une vision personnelle et pour s'agencer entre elles selon les seules lois internes de la toile :

Qu'il y ait ou non des ombres bleues, peu importe, écrit-il : si un peintre voulait voir les ombres roses ou violettes, on n'aurait pas à lui en demander compte, pourvu que son ouvre fût harmonique et qu'elle donnât à penser {L'Écho de Paris, 13 mai 1895).



La Vision après le sermon (voir illustration n° 6), que nous avons déjà évoquée, est ici encore exemplaire : elle confère le même degré de présence picturale à la « réalité » (des paysannes bretonnes après le sermoN) et à la scène imaginaire (la lutte de Jacob avec l'AngE), tandis que les couleurs ne valent plus que par l'intense charge émotionnelle qui les porte et par les jeux de contrastes qu'elles entretiennent entre elles.



En poésie, le modèle de telles déformations de la perception au profit de la création d'espaces imaginaires se trouve dans l'ouvre de Rimbaud. Dans les Illuminations notamment - dont nous avons dit l'impact qu'elles ont eu sur la génération symboliste -, les paysages, conformément au projet du « Voyant », sont soumis à la loi d'un «dérèglement» généralisé : le point de vue perceptif cesse d'organiser les perspectives, et l'affolement des directions de l'espace réfléchit le morcellement interne du sujet. Il en résulte, pour celui qui cherche à «fixer les vertiges», des scènes qui n'ont plus de lien mimétique avec la réalité extérieure, et qui s'imposent seulement comme de pures présences imaginaires. Ainsi, par exemple, dans «Après le déluge»:



Les caravanes partirent. Et le Spendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle. Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, - et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.



De semblables visions se rencontrent également chez Maeterlinck ou Verhaeren, - avant de conduire, à travers Saint-Pol-Roux, jusqu'au Surréalisme.

On trouve sans doute encore dans les Serres chaudes de Maeterlinck tous les motifs traditionnels du spleen décadent avec les éléments d'un décor d'époque -cygne, paon, lys ou clair de lune; mais l'originalité remarquable du recueil tient au traitement qui est fait des images. Celles-ci, comme si elles apparaissaient au travers de verres qui les séparent du monde, sont les fruits d'une vision déformée. Elles allient le concret et l'abstrait jusqu'à leur fusion la plus complète et la plus surprenante, - comme dans ces vers du poème « Heures ternes » :



Il n'y a plus d'étoile aucune :

Mais de la glace sur l'ennui

Et des linges bleus sous la lune.



Chaque poème se présente comme une succession d'images hétéroclites, insolites ou absurdes, qui semble résulter de la poussée inconsciente des désirs et des fantasmes. Comme dans les tableaux de Breughel ou de Jérôme Bosch qu'admirait Maeterlinck, ou comme dans les hallucinations rimbaldiennes (« Je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine»), des impossibilia se succèdent :



Oh ! n'entrouvrez pas les fenêtres !

Écoutez : les transatlantiques sifflent encore à

[l'horizon !



On empoisonne quelqu'un dans un jardin !

Ils célèbrent une grande fête chez les ennemis !

Il y a des cerfs dans une ville assiégée !

Et une ménagerie au milieu des lys !

Il y a une végétation tropicale au fond d'une



[houillère !



Un troupeau de brebis traverse un pont de fer !

Et les agneaux de la prairie entrent tristement

[dans la salle ! (« Hôpital »)



Dans ce monde où «rien n'est à sa place», comme il est dit dans le poème liminaire, et où l'âme a défait les paisibles apparences de la vie quotidienne, l'image se charge d'un onirisme remarquablement intense :



Tandis qu'au seuil clos de mes rêves,

Des loups couchés sur le gazon,

Observent en mon âme lasse,

Les yeux ternis dans le passé,

Tout le sang autrefois versé

Des agneaux mourant sur la glace.

(«Désirs d'hiver»)



On comprend que le jeune Apollinaire ait pu s'enchanter de ce distique en vers libres, qui annonce une technique de l'image qu'approfondira le Surréalisme :



Attention ! l'ombre des grands voiliers passe sur les dahlias des forêts sous-marines ;

Et je suis un moment à l'ombre des baleines qui s'en vont vers le pôle !

(«Cloche à plongeur»)



A l'étrangeté des paysages de Maeterlinck répond l'angoisse de l'univers de Verhaeren dans la Trilogie noire, - avec Les Soirs (1887), Les Débâcles (1888) et Les Flambeaux noirs ( 1890). Loin des « langueurs » stéréotypées des paysages d'âme décadents, les tableaux de Verhaeren atteignent à une intensité qui annonce l'expressionnisme. Une s'agit plus seulement de «correspondances» entre l'âme et le monde, mais de véritables visions qui forcent le visible, le déforment, le résorbent dans le fantasme :



Les soirs crucifiés sur l'horizon, les soirs

Saignent dans les marais, leurs douleurs et leurs plaies,

Dans les marais, ainsi que de rouges miroirs,

Placés pour refléter le martyre des soirs,

Des soirs crucifiés sur l'horizon, les soirs !

(Les Soirs, « Humanité »)



Entre le moi et le monde, il n'y a plus de barrières qui fixeraient des limites à l'imaginaire. Ici, ce sont « Les Malades » qui « regardent le soir / S'épandre sur la ville et blêmir les façades» ; là, c'est le poète qui s'imprègne de l'atmosphère de la grande ville industrielle au point de faire de Londres l'image de son propre désarroi :



Et ce Londres de fonte et de bronze ; mon âme,

Où des plaques de fer claquent sous les hangars,

Où des voiles s'en vont, sans Notre-Dame

Pour étoile, s'en vont, là-bas, vers les hasards.



Et ces marches et ces gestes de femmes soûles ;

Et ces alcools de lettres d'or jusques aux toits;

Et tout à coup la mort, parmi ces foules ;

Ô mon âme du soir, ce Londres noir qui traîne en toi !

(Les Soirs, «Londres»)



Face à un monde moderne que le rationalisme et l'industrialisation ont vidé de toute transcendance, Les Débâcles s'en remettent à la folie :



Je veux marcher vers la folie et ses soleils,

Ses blancs soleils de lune au grand midi, bizarres,

Et ses échos lointains, mordus de tintamarres

Et d'aboiements et pleins de chiens vermeils.

(Les Débâcles, « Fleur fatale »)



Et Les Flambeaux noirs disent le naufrage de la raison :



Le cadavre de ma raison Traîne sur la Tamise.

(Les Flambeaux noirs, « La Morte »)



Les Campagnes hallucinées (1893) feront encore alterner des « Chansons de fou » et des évocations de la plaine flamande «uniforme et morne»; mais déjà l'inspiration de Verhaeren change, et, à partir des Villes tentaculaires (1895), l'ouvre, sensible aux réalités sociales, se tourne vers une forme d'exaltation lyrique du modernisme, avant de répondre à ce grand appel de la vie, qui, dans les premières années du XXe siècle, s'efforce de rompre avec l'inspiration symboliste.

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