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PHILIPPE JACCOTTET






Dans un petit Livre publié à Lausanne, chez Mermoz, en 1957 (intitulé 1m promenade sous les arbreS), Philippe Jaccottet s'efforce de définir ce qu'est pour lui la nature de l'expérience poétique. Pour y arriver il se réfère à toute une série d'impressions profondes, éprouvées par lui à différents moments de son existence, et qui, toutes les fois qu'elles ont eu lieu, ont déterminé un changement radical dans sa vie intérieure. A l'apparition de chacune, quelque chose de frais, de neuf, d'intimement vécu, s'est révélé au poète. Séparément, mais à maintes reprises, ces impressions se sont emparées de lui et ont marqué, sur le moment, sa vie intérieure :



Si je me livrais à de vagues et brèves réflexions, si j'interrogeais des souvenirs, si je prenais même quelques notes, c'était d'abord avec l'espoir de répondre à une question extrêmement simple qui ne concernait que ma propre vie et nullement pour écrire un livre. Ce point de départ vraiment simple il ne m'est pas difficile de l'indiquer en quelques mots. J'étais parvenu à ce moment de la vie où l'on prend conscience, ne serait-ce que par moment et confusément, d'un choix possible et peut-être nécessaire; et quand je songeais à trouver un critère qui me guidât dans ce choix, tout appui extérieur me faisait défaut, je ne vis guère que mon sentiment d'avoir vécu certains jours, mieux, c'est-à-dire plus pleinement, plus intensément, plus réellement que d'autres.



Plus réellement que d'autres ! Les expériences isolées dont il s'agit ici ont cette particularité d'avoir semblé chaque fois plus réelles, plus authentiques, que la suite monotone des impressions vécues au jour le jour, et d'avoir eu ainsi pour conséquence d'interrompre le cours de ces dernières en y substituant une réalité tout autre. Au moment où ces expériences se manifestent, elles inspirent à celui qui les éprouve, le sentiment de prendre un nouveau départ, d'être appelé, sous de nouvelles conditions, à l'existence, ou encore d'être subitement, sans transition et parfois même sans motivation aucune, transporté dans un monde profondément différent. Tout ce qui a été expérimenté dans les jours passés par celui qui est le sujet de cette métamorphose, lui apparaît tout à coup comme insignifiant, lointain, relégué dans l'oubli, réduit au moins provisoirement à une espèce de non-être.

D'où, chez le poète, aussi longtemps que ce phénomène dure, le besoin de le considérer comme incomparable, comme non relié à n'importe quel autre, comme se développant à l'intérieur de ses limites dans une actualité parfaite. Détaché de ce qui précède, non encore engagé dans ce qui va suivre, le moment fait l'effet de vivre de lui-même. Il est rigoureusement indépendant, sans cause évidente, peut-être fortuit. D'aucune façon, il ne se présente comme relié à un temps antécédent : « A. partir du rien, note un jour Jaccottet, Là est ma loi. Tout le reste, fumée lointaine. »



Il y a donc, chez Jaccottet, chaque fois qu'il se découvre le sujet de cette expérience, une découverte correspondante de la personne propre, comme d'un être en train de vivre dans un moment que rien ne prépare et auquel peut-être rien ne succédera. Aussi, en ces moments privilégiés, le poète n'a-t-il nullement le sentiment de prolonger une existence commencée déjà depuis longtemps. Un hiatus se forme entre ce qu'il a été et ce qu'il est. En percevant ce qui lui arrive, le voilà libéré de tout ce qui auparavant lui était arrivé. Rien ne lui est plus familier. Tout prend figure d'événement. Brusquement détaché de l'ensemble des choses avec lesquelles il avait coutume de maintenir des relations habituelles, il lui semble être sur le point d'accéder à une existence supérieure toute neuve, qui n'aurait pas d'antécédent. C'est ainsi que chaque fois qu'il se trouve envahi par une de ces impressions momentanées, Jaccottet, tout naturellement, cesse de vivre dans le temps, et, par conséquent aussi, dans les implications ou déterminations qui forment d'ordinaire la trame de l'existence humaine. Il se perçoit alors, en toute simplicité, au centre d'un petit univers pourvu de son propre temps, ou peut-être même intemporel. Point donc chez lui de durée indéfiniment continue, mais à intervalles irréguliers, l'apparition souvent très brève, de ces moments privilégiés, entre lesquels jamais rien d'important ne mérite d'être retenu, et qui constituent moins une durée proprement dite, que l'apparition intermittente d'un présent sans passé et sans connexion non plus avec le futur. Par là, à n'en pas douter, Jaccottet appartient à ce groupe d'écrivains qu'on peut appeler les instantanêistes. Ainsi, Gide, par exemple, à l'époque de sa jeunesse qui avait pour affaire principale, non de vivre sa vie à la manière d'une expérience ininterrompue dont les parties s'imbriquent les unes dans les autres, mais au contraire d'aller de l'avant dans l'existence, sans dessein préconçu, sans occupation constante, avec l'espoir néanmoins de se voir gratifié de loin en loin par de brusques révélations. Cependant ce serait une erreur absurde de confondre l'instantanéisme de Jaccottet avec celui d'un écrivain tel que Gide. Sans doute, chez l'un comme chez l'autre, il est facile de distinguer l'évanouissement répété de ce qui a été, devant le surgissement de ce qui se met à être. Mais tout cela ne s'accomplit pas chez l'auteur de l'Ignorant avec la même avidité intéressée que chez l'écrivain des Nourritures terrestres. Il n'y a jamais chez Jaccottet la moindre indication de ces courses furieuses après un bonheur inédit, dont nous trouvons sans cesse chez Gide l'exemple. C'est tout au contraire par une complète et mystérieuse conversion de soi que le poète lausannois se détache de ce qui avait été la routine de son existence ordinaire, pour accepter sans réserve, avec une sorte d'humilité quasi religieuse, ce qui lui est donné de recevoir dans un moment entièrement nouveau. Aussi est-ce plutôt à Rimbaud qu'il nous faudrait songer ici. Rimbaud chez qui la découverte du moi et du monde - ou plutôt leur réinvention - s'accomplit de façon fulgurante, comme si par l'effet d'une rupture créatrice instantanée, le monde et le moi explosaient d'un coup, pour céder la place à une nouvelle réalité dans le moment suivant. Toutefois, en dépit de ces analogies, il est impossible de confondre le présent rimbaldien avec celui vécu par Jaccottet. Chez Rimbaud le présent jaillit aussitôt avec une force dévastatrice. Chez Jaccottet, le retrait du passé se fait sans dégât et sans convulsion. Il peut être comparé au changement créé par un rideau de théâtre, lorsque, silencieusement, en se levant, il détourne l'attention de tout objet qui n'appartiendrait pas à l'action juste sur le point de commencer. Bref, chez le poète romand, la disparition du passé, toujours discrète, n'a d'autre conséquence que d'introduire dans l'esprit du spectateur (et du poète lui-mêmE), un état d'esprit entièrement nouveau, fait de recueillement, d'attention, de passivité lucide. Le passé n'est pas brutalement anéanti. La pensée ne s'en arrache pas violemment, comme c'est le cas chez l'auteur du Bateau ivre. Tout ce qui n'est pas contenu dans les bornes de l'immédiat, s'efface sans résistance. Et l'image de lui-même que dans ces conjonctures nous offre le poète, n'est pas différente de celle qu'on peut voir dans certaines ouvres picturales du Moyen Age ou de la Renaissance, où se trouve représentée quelque personne pieuse, à genoux, attendant ou recevant docilement les dons de la grâce.



La seule différence que nous trouvions ici avec de tels tableaux, c'est qu'ils dépeignent un personnage dont les sentiments sont constants et non soumis à variation. Tandis que, chez Jaccottet, la scène à laquelle nous assistons est strictement limitée à l'actualité. Elle dure le temps d'un éclair. Surgie de façon quasi instantanée, elle est destinée à ne pas se prolonger au-delà d'un laps de temps fort court, comme si elle avait pour règle de ne se manifester qu'entre deux périodes de durée, avec ni l'une ni l'autre desquelles elle n'aurait de Maison. Loin d'unir les moments du temps, l'instant dont il s'agit ici semble avoir pour mission de les séparer. Non seulement il rompt la continuité du temps ordinaire, mais il tend à créer un temps radicalement différent : sorte de durée-éclair, inconfondable avec toute autre, et n'existant qu'en elle-même mais sans avoir jamais le moyen de se prolonger :



On a été touché comme par une flèche, un regard.

Tout de suite avant toute pensée3.

Un éclair, qui en l'absence de tout nuage, étonne et

[aveugle.



Un moment de vrai oubli...

Un repos d'un instant...

Moment merveilleux d'entre deux mondes, d'entre

[deux temps...'.



Telle est la forme récurrente sous laquelle se présente l'immédiateté décrite par le poète. C'est l'immédiateté d'un silence bref. Elle crée une totale solution de continuité dans le cours de l'existence. Elle fait passer celui qui en est le sujet d'un temps à un autre temps. Effacement simultané de ce qui vient d'avoir lieu et de ce qui aurait dû en être la suite. Le courant est interrompu. Le flux du temps fait pause. L'être se trouve transporté dans une manière d'exister qu'on ne saurait considérer ni comme proprement temporelle, ni non plus comme éternelle. D'où, chez le poète, pendant le moment où il est soumis à ce phénomène, le sentiment de vivre dans une immédiateté si exclusive qu'on ne saurait la considérer comme faisant réellement partie du temps. Ou plutôt, le temps de l'immédiateté ne peut jamais être considéré comme étant de même nature que le temps ordinaire, à l'intérieur duquel il s'insère pourtant, en en discontinuant le cours. Temps non continu, temps purement éphémère, puisqu'il ne dure pas, puisqu'il ne bénéficie pas de la ligne le long de laquelle l'autre temps persiste à progresser; et temps presque éternel, néanmoins, puisque réapparaissant, semble-t-il, un nombre indéfini de fois avec toujours à peu près les mêmes caractéristiques :



L'immédiat : c'est à cela décidément que je m'en tiens, comme à la seule leçon qui ait réussi dans ma vie à résister au doute, car ce qui me fut ainsi donné tout de suite n'a pas cessé de ^revenir plus tard, non pas comme une réflexion superflue, mais comme une insistance toujours aussi vive et décisive, comme une découverte chaque fois surprenante.



Ailleurs, Jaccottet dira :

Restons fidèles à notre expérience immédiate.



Fidèles, non par une perpétuation sans faille de la même expérience, mais par l'occasion qui nous est donnée, de la refaire, elle ou quelque autre équivalente, à intervalles séparés dans d'autres moments égrenés le long de notre vie. C'est ainsi que, chez Jaccottet, les grandes expériences vitales ne font jamais partie d'un courant indivisible, comme il en va, par exemple, dans un mouvement de pensée de type bergsonien. Elles sont disséminées dans des moments nettement distincts, qui cependant ont ce trait commun de surgir indépendamment les uns des autres dans l'immédiat. En un mot, l'expérience du poète ne se présente jamais comme un acquis ni comme une constante. Simplement, à intervalles irréguliers, elle se répète et cela, non nécessairement sous la forme d'une reprise exacte des particularités qui la caractérisent. Elle ne prend non plus, jamais, ou presque jamais, l'aspect d'un souvenir, redéployant, comme chez Proust, les images d'un temps perdu dans un temps retrouvé. Au contraire, le plus souvent, elle revêt la forme d'un événement inédit, qui aurait seulement le même pouvoir magique que tel événement ancien, dont peut-être à ce moment-là le souvenir s'est effacé.



Il serait donc gravement erroné de considérer l'existence entière du poète comme déterminée par telles ou telles habitudes de pensées et de sentiments qui en fixeraient une fois pour toutes la substance. Qu'une certaine continuité de ton, d'idées et de pratiques existe chez lui, comme elle existe par exemple dans la vie monastique, cela va sans dire. Seulement il est à supposer que, chez des êtres aussi soumis à des règles déterminées que les moines, ce n'est pas la seule régularité de leur pratique qui importe, c'est le fait que créant tout le long de leur existence une trame volontairement très neutre, la régularité profonde qui sert de cadre à leur vie intérieure leur permet d'y disposer ou d'y accueillir, en opposition avec sa sobriété, une chaîne d'événements qui contrastent par la brièveté avec laquelle ils se manifestent, comme par le caractère varié de leur contenu. En un mot, chez Jaccottet comme chez les moines, ce n'est jamais de l'existence prise dans sa totalité qu'il faut tenir compte, mais de tels ou tels épisodes de celle-ci, unis seulement par la similarité des impressions qui les parsèment. Il en va peut-être ainsi pour tous les êtres chez qui la vie, au lieu de s'imposer sous la forme d'un état, prend seulement sa vraie signification quand on la voit sous l'aspect d'une pluralité d'expériences similaires. Leur unité consiste dans un assemblage très libre de rencontres.

Tel est le cas pour Jaccottet. L'ensemble de sa vie et de son ouvre ne se présente nullement sous l'apparence d'un bloc. Tout s'y découpe le plus souvent selon les variations d'une pensée soumise à des prises de contact distinctes. Elle dépend en quelque sorte incessamment de l'actuel :



La réalité n'est jamais que de l'instant immédiat. Passé et avenir, de chaque côté de ce point, ne sont que des ensembles d'images... Nous ne sommes réels que dans la rencontre du présent, là où la proue fend l'eau.



A la place des « ensembles d'images » qui aux yeux de Jaccottet n'ont jamais tout au plus que valeur d'idées, durables sans doute, mais n'ayant qu'une signification idéale, non abstraite, seules comptent les expériences concrètes rencontrées chaque fois en des moments séparés. Loin de se mettre, comme tant d'autres, à la chasse des idées, Jaccottet se consacre « à la rencontre d'éléments simples »u. Ses expériences, quand elles ont lieu, n'ont pas le caractère de traits généraux ou de principes, ce sont, à rigoureusement parler, des rencontres.

Entre le poète et la réalité perçue par lui aucun problème n'exige de solution, aucune interprétation ou généralisation ne se trouve nécessaire. Tout se ramène au constat presque naïf d'une association fortuite et pourtant irrésistible, qui lierait d'emblée, mais pour un instant seulement, le moi et la chose perçue, à moins que derrière la chose, ce soit un être qui se laisse percevoir : phénomène donc réellement premier, fondamental, puisqu'il mettrait soudain à portée de la main les réalités divines avec lesquelles on se trouverait mis en contact. L'immédiateté, en effet, suppose le contact. Contact qui s'établit à la fois dans le temps et dans l'espace. Prendre contact avec cette réalité vivante qu'on rencontre, c'est se trouver brusquement enclos dans le même instant. Et c'est aussi, d'une certaine façon, se retrouver avec elle dans le même espace, c'est-à-dire dans le lieu où elle consent à se laisser toucher. Cette double proximité donne à la rencontre toute sa force. Elle nous met sur le même plan que les objets avec lesquels nous nous découvrons en rapport.



Unification des temps, des lieux et même des natures confrontées; mouvement d'union aussi élémentaire, aussi direct que possible. Toute rencontre nous saisit sans préliminaire aucun, par surprise. Elle nous prend merveilleusement au dépourvu :



Il y a eu d'abord la surprise....

Coups d'oil à la dérobée, avides et chaque fois surpris13.

Suspens du temps (qui survienT) à nos côtés à l'im-proviste.

On est surpris... surpris et touché; c'est une autre inscription fugitive sur la page de la terre, qu'il faut saisir,



De même, parlant de Hôlderlin qu'entre tous il admire et imite, Jaccottet écrit : « Le saisissement, la stupeur restait chez lui la réaction première... Tout chez lui naît d'une rencontre. »



La rencontre est donc source d'étonnement; elle est aussi cause du mouvement qui fait que l'être surpris répond sur-le-champ par une saisie de l'objet à l'attraction duquel il obéit sans hésiter :



Les choses devraient être saisies brusquement mais exactement, comme d'un coup de fusil.

Pommiers dans le verger. Ce rouge pourpre, ce jaune de cire : saisir leur sens. Simplement que ce soit saisi en passant et de loin, de façon immédiate et profonde.

Il me semble aujourd'hui impossible d'expliquer la profondeur de mon émotion autrement que par ce contact avec les éléments essentiels du monde et de notre vie, de sorte que, dans ce sens, la poésie qui cherche à saisir ces émotions serait bien une manière de nous ramener à notre centre.

... J'ai touché maintenant cette immédiateté....



L'on voit que la pensée de Jaccottet dépend entièrement de la spontanéité avec laquelle elle réagit. A l'immédiateté de l'événement correspond la promptitude avec laquelle le contact se fait. Entre ces deux actions aucune distance réflexive, ni par conséquent aucun risque de voir s'affaiblir l'adhésion donnée par le poète à la demande qui lui est adressée. A l'immédiat il répond par l'immédiat. En somme, ce qu'il s'efforce d'exprimer, c'est une parole se soumettant avec une honnêteté scrupuleuse aux conditions de la révélation du réel. Peut-être est-ce là la plus haute vertu pratiquée par le poète : son souci de ne jamais outrepasser, ni par la force des mots, ni par le jeu des idées, le progrès irrégulier de la vérité, tel qu'il se manifeste à ses yeux. Cette vérité étant discontinue, toute l'ouvre du poète s'astreindra à être, elle aussi, discontinue : « Le fait est, écrit-il, qu'un discours continu m'est interdit et qu'il me faut me borner à des notes. »



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