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Poésie de Hugo






Quel est le point de départ de la poésie de Hugo ? Négligeons les premiers poèmes, gâtés par la rhétorique. Le souci de la forme y interdit encore la création d'un fond. Mais dès que les poèmes de Hugo laissent apparaître dans les remous du style verbal quelque chose de réel, de consistant et d'indubitable, jusqu'alors invisible, il n'y a plus que ce fond qui importe, et il en sera ainsi par la suite pour toujours. Il n'y a donc de véritable départ pour la poésie hugolienne qu'après une période d'activité verbale, abondante, certes, mais sans grande importance. L'apparition de la vraie poésie dans son ouvre sera un phénomène tardif. Il se produira lentement, ce ne sera pas une explosion brusque de la pensée. Ce sera un mouvement qui, s'ébranlant dans les profondeurs de l'être, gagnera insensiblement la surface, et cela, non sous la forme d'un jaillissement isolé, mais plutôt comme un obscur mouvement sous-marin procédant sur le front le plus vaste. D'autre part, ayant pris du temps pour s'épanouir, la poésie de Hugo, sa vraie poésie, ne saurait être promise à une existence purement éphémère. Dès qu'elle apparaîtra, ce sera pour demeurer. Elle sera, elle est encore, aussi durable que grandiose. Elle aura dans les régions de la lumière la pérennité des régions sombres. Elle installera en plein jour ce qui était caché et restera caché.



Si pour parler de cette apparition le critique se trouve amené à hausser lui-même le ton - vainement, sans doute -, au-dessus du niveau ordinaire de la critique, c'est que celle-ci ne s'occupe généralement que d'une réalité de plain-pied avec elle, et qui lui apparaît dès lors comme normale. Or, ce qui se manifeste avec la poésie de Hugo n'a rien de normal. Ou si cela apparaît tel, c'est à la façon des grands événements. On songe à la Création, au déluge, à la fin du monde, événements essentiellement normaux, en ce sens qu'on ne peut rien dire d'eux, sinon qu'ils ont eu lieu, ou doivent avoir lieu, et qu'ainsi dans l'histoire de l'homme ils ont leur place.

C'est donc en pleine connaissance de cause que le critique, essayant de caractériser cette poésie profondément normale, est tenté d'employer des termes qui, 4 force d'exagération, se neutralisent les uns les autres. Création et déluge, apparition de l'être humain sur la terre et engloutissement de celle-ci se découvrent être des termes appropriés, dès qu'on les associe à la poésie de Hugo, comme, en d'autres temps, il en fut de même avec celle d'autres poètes amoureux d'une grandeur tragique, par exemple Du Bartas ou d'Aubigné. Poésie qui est à la fois la plus affirmative et la plus négative, mais sur laquelle un jugement qui ne tiendrait compte que d'un seul de ces deux aspects se révélerait immédiatement comme inadéquat. Non, il n'est pas juste de prétendre que la poésie de Hugo reflète exclusivement le monde tel qu'il est, dans sa pleine positivité. Il est également vain de chercher à démontrer que cette poésie ne nous donne qu'une image négative, celle du néant, et du néant seul. Car le néant, en lui-même, ne peut offrir d'image. La poésie de Hugo, s'appuyant simultanément sur l'être et son contraire, se situe donc dans un lieu étrange, qui n'est ni positif, ni négatif, ou bien - c'est encore vrai -, qui est en même temps l'un et l'autre, sans que jamais l'un paraisse indépendamment de l'autre. Dès qu'on en découvre un aspect, imaginaire ou réel, il faut aussitôt qu'on le constate dépassé ou démenti. Dès qu'il veut décrire un vide, il faut que Hugo en imagine les rives. Si le poète, comme on l'a si souvent rappelé, a si souvent mêlé les thèses et les antithèses, ce fut peut-être dans sa jeunesse par pur amour de la rhétorique, mais plus tard, dans le reste de sa vie, ce fut parce qu'il était convaincu que tout était à la fois thétique et antithétique.



Essayons d'imaginer les choses comme lui, bien que la tâche paraisse presque irréalisable. Irréalisable, comme peut paraître au lecteur celle des deux autres grands poètes dont nous venons de citer les noms. L'un, Du Bartas, a su, en de très beaux vers, évoquer la création du monde; l'autre, d'Aubigné, a su peindre en traits saisissants le Jugement dernier. Mais ni l'un ni l'autre n'ont su parler simultanément de la Création et du Jugement dernier. Dante lui-même n'a pas tenté de le faire. Ni Du Bartas, ni d'Aubigné, en tout cas, n'ont su établir de jonction entre ces deux pôles. Hugo, au contraire, tente de le faire à tout coup. Le commencement et la fin, le réel et l'irréel, le moi et le non-moi, le plein et le vide, la vie et la mort se joignent dans son ouvre et se fondent. A chaque instant, surgissant du vide, le vers hugolien s'installe dans l'être. Et si, inversement, il s'installe dans le vide, c'est pour rîbus faire entrevoir ce dernier comme le soubassement d'une réalité positive. Entre le oui et le non la poésie de Hugo oscille, non pour opter entre l'un ou l'autre, mais pour en faire confusément un tout et le contraire d'un tout.

Hugo le dit de façon répétée : notre croyance repose sur une ignorance.. Celle-ci est à la fois séparation et union. Si elle se perd dans le vide, elle émane de nous-mêmes. Le vide et le moi se confondent et mutuellement se donnent substance :



J'interroge l'abîme, étant moi-même gouffre...

Tout être, quel qu'il soit, du gouffre est le milieu.



Situé au centre même du gouffre, sans pouvoir lui donner de limites précises, l'homme n'a « aucun Heu définitif où poser l'esprit ». L'indétermination de ce lieu, et, par conséquent, de ce moi, est totale. Tout ce que l'homme peut faire, c'est s'interroger (ou interroger le monde, cela revient au mêmE).

Inlassablement le poète interroge :



Je suis celui qui veut savoir pourquoi.



Mais il est aussi celui qui, finalement, ne sait plus pourquoi il voulait « savoir pourquoi ». « Qu'ai-je fait là, écrit-il. Je ne sais plus. A quoi pensais-je ? Ne me le demandez pas. Il y a des instants, vous le savez, où la pensée flotte, comme noyée dans mille idées confuses. »

Certains, constatant que Hugo, sans trêve, en revient à son ignorance et à l'immense confusion qui, chez lui, en résulte, n'ont pas caché leur mépris pour cette philosophie, il est vrai, la plus rudimentaire de toutes. Mais, dans un sens, c'est aussi la plus authentique. C'est celle même qu'on trouve au fond de toute pensée interrogative, celle qui se trouvait jadis dans la pensée de saint Augustin, comme aujourd'hui dans celle de Nietzsche ou de Jaspers. Dans une pensée de cette sorte, l'indétermination joue un rôle essentiel : rôle qui consiste à ramener toujours l'esprit à une ignorance originelle. C'est à partir d'une inconnaissance fondamentale que surgit toujours l'impossibilité de donner à quelque objet de la pensée que ce soit un caractère déterminé. A chaque instant la pensée est renvoyée en arrière à son ignorance. Hugo est tout simplement celui qui, avec la plus admirable naïveté, n'a cessé de rappeler la nécessité de répéter sans cesse la question fondamentale. Admirable naïveté, car le caractère anxieusement interrogateur de cette ignorance n'apparaît jamais dans toute sa profondeur que lorsque la question qu'elle pose s'avère destinée à se perdre dans le silence. Il est infiniment moins important de lui trouver - si on la trouve - une réponse, que de formuler la demande en lui donnant toute sa force. C'est ce que Hugo, comme Augustin, avec la même intensité qu'Augustin, a su faire. Si même à sa question il n'a jamais pu obtenir de réponse, ni tirer de celle-ci une sorte d'assise, au moins il lui doit d'avoir été préservé par elle de toute fausse assurance. Ne sachant rien, il sait, grâce à elle, qu'à la racine de la connaissance humaine il y a cette ignorance, et, par conséquent aussi, l'impossibilité de considérer l'objet apparent de la question, quel qu'il soit, comme limité. Toute question concerne un être et un non-être. Susceptible de prendre toutes les formes, en elle-même elle est informe. Toute question comprend, avec l'espoir d'une détermination, la conscience d'une indétermination.



La première et la plus importante de ces indéterminations, c'est l'immensité qu'elle révèle : immensité à la fois extérieure et intérieure. Incluant tout, rien au-dehors ne la limite. Ne pouvant se préciser, aucune pensée au-dedans ne peut lui donner une forme. Entre ces deux absences de limite et de forme, il y a l'ombre elle-même du poète, qui semble planer sur tout ce qu'il voit ou qu'il rêve, comme une présence gigantesque mais imprécise, qui se confond avec l'étendue où se perd sa contemplation.

Cette première indétermination, toutefois, ne saurait être confondue absolument avec le néant lui-même. Si celui-ci est purement négatif, l'immensité, elle, qu'elle soit externe ou interne, n'est pas le vide pur. C'est une plénitude, ou une présence totale, qu'aucun détail défini cependant ne vient déterminer. Présence indéfinie, mais non creuse, vaste masse indéfinissable et comparable à cette « forme sans forme », que, selon Du Bartas, Dieu a voulu créer d'abord, avant que de créer la multitude des choses. Hugo, lui-même, ressemble assez bien à ce Dieu créateur, suspendant pour un temps son action, afin de regarder, songeur, la masse indifférenciée, « contemplant », comme le dit Hugo (est-ce de Dieu ou de lui-même ?), « l'obscur, l'inconnu, l'invisible », et regardant « trembler l'qmbre indéterminée »./

L'ombre indéterminée ! Point de départ essentiel de la pensée hugolienne,; comme, d'ailleurs, de bien d'autres pensées depuis l'Aréopagite jusqu'à Hegel. Elle évoque l'image d'une pensée divine ou humaine, non encore engagée dans la réalisation de son rêve, et le laissant planer ou flotter en elle-même, avant de lui donner forme. Donc encore aucune forme, rien qu'une immensité nue, dont l'absolue simplicité n'est pas encore troublée, mais qui existe devant le regard, avant même la naissance d'un temps ou d'un lieu quelconque, comme l'indétermination parfaite, celle qui embrasse le tout, sans prendre soin du détail.'Le regard panoramique, peu de penseurs ou de poètes sont capables de l'avoir. Hugo, lui, l'a, et en use magnifiquement.



Parfois, pour donner à l'espace ainsi embrassé, non une forme - à ce stade, le plus primitif, il n'en a pas -, mais un aspect plus concret, plus perceptible, plus digne de sa grandeur, Hugo en fait une sorte de brume universelle :



L'effrayant fond brumeux d'où les visions pleuvent,

Sur qui confusément les atomes se meuvent.



Cette brume hugolienne - est-il besoin de le dire ? - n'a rien à voir avec la brume que l'on rencontre si souvent, par exemple, dans les écrits de George Sand. Pour la romancière de ha mare aux diables, la brume n'est qu'un voile, le plus léger possible. Elle estompe, elle suspend, elle interrompt provisoirement la vue, comme un rideau de théâtre. Elle ne ramène pas les formes à une nue simplicité. Pour Hugo, au contraire, l'immensité est l'étendue première, libre encore de toutes formes, d'une sobriété grandiose, apparition initiale de l'être, bien qu'il soit juste de dire que c'est encore un être sans être, une figure sans figure. Il n'est donc pas faux de le représenter par ces grandes formes vagues que sont l'espace, le ciel, la brume, les ténèbres. Elles sont, elles aussi, indéterminées. On ne peut donc essayer de donner de la poésie de Hugo une image, même approximative, sans évoquer l'une ou l'autre de ces grandioses entités métaphysiques. C'est seulement après leur avoir alloué la place initiale qu'on peut passer à un autre stage et y chercher d'autres exemples, d'autres images, où le déploiement de l'étendue indéterminée, toujours présente, n'aura plus cependant la même simplicité.



Dans le second stage, que nous distinguons à grand-peine du premier, l'espace est toujours là, déployé, le même en apparence, mais n'offrant plus au regard l'aspect de vaste continuité indéfinie que, sous le nom d'immensité, nous l'avons vu prendre initialement. Par là même, la poésie de Hugo se démarque d'autres poésies de l'infini, comme celle de Lamartine, de Shelley, ou de Leopardi. Au lieu de devenir de plus en plus aérienne, comme une substance qui s'allège, et, en s'allégeant, s'évapore et renonce à toute existence substantielle, la poésie de Hugo cherche à solidifier sa substance, à l'alourdir, à lui donner un caractère massif, presque matériel. Elle prend de l'épaisseur. Mais par là même aussi, elle perd la propriété que d'abord elle avait de s'identifier avec les grandes choses pures, espace, ciel ou brume. Elle devient divisible : sorte de masse formant bloc, mais dont le volume toujours énorme se révèle peu à peu comme étant composé de formes isolables qui peuvent être perçues séparément.

Il y a donc deux sortes de formes qui apparaissent avant toutes les autres, dans la masse des poèmes hugoliens. Les premières, à peine formelles, l'espace, le ciel, les ténèbres, quelques autres encore, ne se distinguent qu'à peine les unes des autres ou de l'ensemble qu'elles réalisent. Parfois pourtant Hugo laisse entr'apercevoir, dans leur masse, une quantité incalculable d'autres formes, celles-ci non plus simplement ébauchées mais fragmentaires. Ce phénomène se reproduit souvent chez lui. Il nous met en présence de multiples fragments, vaguement amalgamés. L'amalgame, en effet, plaît à Victor Hugo. « Mêler le haut et le bas, c'est le chaos », dit un de ses personnages. Et il ajoute : « Le chaos me plaît. » Sans doute, le chaos, en tant que paysage cosmique, n'a plus dans le langage de Hugo la grandeur de l'étendue pure, mais il a acquis en revanche l'attrait tourmenté de la multiplicité. Hugo aime ce qui est simple. Il aime encore plus ce qui est multiple et multiforme. Il aime le vide, mais il aime aussi à voir ce vide rempli par une foule. C'est que la foule, comme le chaos, présente un ensemble à la fois un et plural. Toute l'ouvre de Hugo est pleine d'emmêlements, d'entrecroisements, d'amalgames de toutes sortes. Le propre de ces images, c'est qu'elles introduisent dans la simplicité de l'étendue mère qui leur sert d'asile une prolifération de formes qui, sans nécessairement nuire à la perfection globale, permettent de percevoir à la fois, comme faisant partie d'un même tout, les cléments qui s'y trouvent associés les uns aux autres. Dans la pensée de Hugo, les choses prennent volontiers l'aspect de l'amas, de l'entassement, de la grappe, de l'essainu'Ennn, cette multiplication d'objets partiellement indépendants les uns des autres, ces enchevêtrements, ces agrégations de formes, de couleurs et de substances, ces « entrelacements, comme dit Hugo, de larmes et d'âmes », ont un mérite supplémentaire, que ne possède peut-être pas, à ses yeux, la lisse indétermination monotone de l'espace pur, c'est la confusion!



La confusion, pour Hugo, n'équivaut donc pas à la fusion absolue. C'est essentiellement un assemblage imparfait de parties qui, tout en étant explicitement associées les unes aux autres, n'ont pas perdu, du moins entièrement, leur indépendance. Elles forment une masse commune, dont on aurait peine à distinguer les ingrédients qui la composent, non qu'ils soient de même nature, mais au contraire, parce que en gardant quelque chose de leur nature propre, ils se trouvent pourtant si enchevêtrés les uns dans les autres que cette proximité leur enlève une grande part de leur individualité. De ce point de vue, les formes jetées pêle-mêle par Hugo dans les vastes énumérations dont il a la coutume, ces « entrelacements de larves et d'âmes », comme il les appelle avec un enthousiasme non déguisé, ont dans son esprit, sur la monotone indétermination de l'espace, un avantage considérable, mais inattendu, celui de la confusion.



Ceci nous rappelle que mots et choses ont une similarité essentielle dans l'esprit du poète. Ils se meuvent souvent de la même façon, c'est-à-dire, sous l'aspect d'une multitude de formes à la fois serrées et confuses. Tout s'y présente, non comme un ensemble déterminé, représenté par une forme unique, mais comme une association de termes ou d'images mobiles, en grand nombre, qui s'agglomèrent. L'exemple le plus fréquent de ce phénomène collectif serait la forêt.

Décrivant le cortège que forment à ses yeux les mots « roulant pêle-mêle au gouffre obscur des proses », Hugo y voit « une orageuse forêt », celle des vers. Ailleurs, il parle de « l'obscur taillis des êtres et des choses ». De même, « au milieu de la diffusion nocturne des songes », il perçoit des « effets de forêt ». Pour qui marche seul, la nuit, dans la forêt, « une réalité chimérique apparaît dans la profondeur indistincte ». Passage particulièrement révélateur, puisqu'on y trouve joints deux traits presque toujours associés par le poète, la multiplicité de la pensée représentée par la multiplicité d'un lieu sylvestre, et l'unité contradictoire de cette même pensée, représentée par la nuit.



Ce mariage, non du ciel et de l'enfer, comme chez Blake, mais de l'un et du multiple, trouve mille occasions de se reproduire chez Hugo. Nous venons de citer en exemple le promeneur découvrant une profondeur indistincte dans la forêt nocturne. On retrouve une image analogue dans le thème fameux de la pensée errante et flottante. Ce thème dir-flottement est perpétuellement associé chez Hugo à celui de l'évanouissement. La « pente de la rêverie » est un sujet inlassablement repris par lui. On y trouve le glissement des images allant d'une multiplicité confuse vers une trouble unité.



Mais la pente de l'esprit se prolonge encore au-delà. La confusion, si nous tâchons de la comprendre à la façon de Hugo lui-même, ne peut pas nous apparaître comme la fin du mouvement spirituel. Ce n'est, comme la pensée vague, errant et flottant dans l'indécision, qu'un état intermédiaire, au-delà duquel l'indétermination devient plus profonde encore et sans limite. On pourrait, à ce propos, relever dans l'ouvre de Hugo une longue série de textes, reprenant le thème du glissement, de la pente, mais en l'aggravant. Ce sont tous les poèmes où apparaît ce qu'on pourrait appeler le phénomène de Y enfoncement. La pensée est une vrille sans fin. Il y a des périodes de repos, d'autres où le mouvement descendant recommence et s'accentue. « Tout se creuse sitôt que tu tâches de voir », écrit Hugo. Il se représente lui-même comme le personnage de Piranèse, « descendant les spirales de l'approfondissement pensif ». - « Je suis l'escalier ténèbres, écrit-il encore, dans mes spirales funèbres l'ombre ouvre ses vagues yeux. »

Ouverture dernière : il est caractéristique qu'à l'extrémité de sa course Hugo ne prévoie pas une fermeture mais une ouverture. Sa pensée se refuse à une clôture totale.



HUGO : QUELQUES TEXTES



Je suis un grand regardeur de toutes choses, rien de plus...

Je suis le regardeur formidable du puits...

Je suis celui qui veut savoir pourquoi.

On voit les grandes âmes comme on voit les grandes montagnes. Donc elles sont.

Mais ici l'interrogation insiste ; l'interrogation, c'est l'anxiété.

D'où viennent-elles ? Que sont-elles ?

Qu'ai-je fait là ? je ne le sais plus...

J'ai erré, j'ai songé, j'ai adoré, j'ai prié.

A quoi pensais-je? Ne me le demandez pas.

Nous regardons trembler l'ombre indéterminée.

Notre sombre immensité intérieure...

On est en présence de tout...

L'unité de l'ombre contient un multiple.



Il y a des instants où la pensée flotte comme noyée dans mille idées confuses...



Et dans l'obscur taillis des êtres et des choses...

Une espèce d'étrange et morne entassement...

Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas.

Lui-même creuse donc son propre trou.

Là, dit-il, c'est la fin de l'être et de l'espace ; là se consomme l'aboutissement, l'enfoncement piranésien de l'être, jusqu'à un endroit où il n'y a plus de forme aucune :



On est ce qui n'est plus, ce qui s'en va, ce qui se tait.

Ce lieu, Hugo l'appelle « le dessous ténébreux des choses », c'est à n'en pas douter le point à partir duquel il n'y a plus de détermination aucune.



Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles...

Elle arrive à pas lents par une obscure rampe.

Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur.

Toute rive s'efface. La rêverie est un creusement.

Un trou s'offre, il y plonge, et, rampant

Dans un vide où l'effroi du tombeau se répand,

Il voit sous lui de l'ombre et de l'horreur...

Tout prend l'aspect et la forme D'une horrible ébauche énorme

Le dessous ténébreux des pas de tous les hommes...

Rien n'avait plus de forme

L'espace...

Où l'informe à jamais flotte, passe et repasse.

On est dans l'absence.

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