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Poésie française hors de France au temps du romantisme






A quelques rares exceptions près, un Polonius, un Lacaussade, on ne trouve pas durant la période romantique, extra-muros, de poètes majeurs. Pour cela, et surtout en Belgique, il faudra attendre les générations de 1870-1880, pour trouver alors, brusquement, des poètes de la plus haute valeur. Au temps de Lamartine et de Hugo, on n'entrevoit le plus souvent que des reflets lointains, des échos assourdis, des disciples tièdes qui tentent de se réchauffer au rayon central. Fidèle à notre désir de mentionner tout au moins les obscurs et les sans-grade, nous procéderons à une courte revue, ne serait-ce que pour affirmer des présences qui maintiennent et ouvrent la voie à d'autres plus grands, plus significatifs. Et tous ne méritent pas le dédain, comme en témoignent quelques surprises.



En Belgique.



La terre belge, terre de poésie, qui des symbolistes aux surréalistes verra naître des poètes immenses, reste, jusqu'aux environs de 1880, dans une honnête moyenne. Il faudra donc attendre que les Jeunes-Belgique, quatre lustres avant la fin du siècle, lèvent leur drapeau de l'art contre les gardiens de la tradition conservatrice.

Et pourtant, un poète aurait mérité plus de renommée : c'est André Van Hasselt (1805-1874) qui signait Alfred d'Aveline ses récits imités de l'allemand. Né à Maèstricht, il fit ses études à Bruxelles, à Paris, à Heidelberg où la grande université le marqua d'une teinte germanique. Cet érudit a travaillé dans les domaines les plus divers : archéologie, histoire, biographie, critique, et surtout poésie sans parvenir à vaincre l'indifférence de ses contemporains. Certes, sa lyre est hugolienne, et il arrive qu'on le remarque en France. Parmi ses recueils, Primevères, 1835; Poésies, 1852-1857; Études rythmiques, 1867; le Livre des ballades, le Livre des paraboles, 1872, on distingue surtout le plus ambitieux, les Quatre incarnations du Christ, 1867 et 1872. Là, de l'Hymne des vieux siècles à l'Hymne des siècles nouveaux, il déploie une sorte de Légende des siècles en raccourci avec une conviction contagieuse et non négligeable. Ici, c'est la mort :



Notre règne s'éteint.

Nous tombons en ruines,

Arbres déracinés que rongent les bruines

Et la pluie et les vents.

Et cependant,

Seigneur, à votre créature

Nos bras ont dix mille ans tendu sa nourriture

Sur nos dômes mouvants. et là, c'est la vie :



Notre règne est venu.

L'avenir, c'est la vie.

De son chemin d'hier notre vaisseau dévie.



Ô peuples désolés,

Pour guider vers le port vos rames et vos voiles,

Il faut un autre phare, il faut d'autres étoiles

A vos cieux dépeuplés.



Plus originale, moins déclamatoire, la Tache de feu qui fait penser au poème de Nerval, le Point noir :



N'est-ce pas?

Quand on a regardé le soleil,

Il nous reste dans l'oeil une tache de flamme.

Et bien longtemps le spectre éclatant et vermeil

Nous illumine l'âme.



Et de quelque côté qu'on se tourne, partout,

Sur l'arbre qui verdit, sur l'onde qui bouillonne,

Sur les fleurs, sur le ciel, sur la terre, sur tout

L'orbe de feu rayonne.



Ainsi toi, mon enfant, astre éteint dans mes cieux,

Et dont le soir, hélas! toucha presque à l'aurore,

Ton image sans cesse erre devant mes yeux.

Toute vivante encore.



Sa lyre romantique prend tous les accents. Il a aussi tenté comme Baïf jadis, d'appliquer à la langue française la mesure cadencée des Grecs et des Latins, et aussi à introduire des vers de neuf ou onze pieds.

Membre, comme lui, de l'Académie royale de Belgique, Adolphe Mathieu (1804-1876), de Mons, s'écriait vers 1830 : « Des vers, il en pleut, c'est une épidémie! » Il ne sut y échapper, de ses Passe-temps poétiques, 1830, à ses Ouvres poétiques, 1856, ou ses Souvenirs, 1866, sans oublier ses traductions en vers des Épîtres d'Horace.



Accusé d'outrages envers une des puissances alliées du royaume des Pays-Bas, il fut condamné à un an de prison en 1823, ce qui lui valut une popularité qu'il entretint par des contes, fables, romances, satires, poèmes politiques, articles et travaux érudits. Mais qu'il chante la Mère du poète ou que les malheurs de la France en 1870 lui inspirent Sursum corda, il reste terne, gentiment sentimental et mièvre s'il s'adresse A ma petite fille .



Enfant qui du séjour des anges

T'en viens sourire à ton aïeul,

Toi dont le ciel a mis les langes,

Hélas, si près de mon linceul.



Aux deux confins de l'existence

Nous croisant dans le même port.

Comme deux vaisseaux en partance,

Qui vers le Sud, qui vers le Nord...



... Grandis, enfant, laisse ton âme

S'épanouir, lis matinal,

A la candide et chaste flamme

De l'aurore au front virginal;



Que mon doux printemps refleurisse

A ton sourire réchauffant!

Père, mère, aïeul ou nourrice,

Avec toi je veux être enfant.



Il se rattache par le sentiment à l'école de Lamartine et souvent, par le choix des sujets, à celle de Victor Hugo, ce qu'on pourrait dire aussi de son collègue à l'Académie belge, Louis-Joseph Alvin (1806-1887), auteur de théâtre, qui parodie Hugo dans les Recontemplations, 1856, bien nommées, ou de Charles Lafont (1809-1864), de Liège, pour les Légendes de la Charité ou le Recueil de poésies, 1858, que couronna l'Académie française. Ses attendrissements sont difficilement supportables, mais nous avons signalé qu'un des poèmes de son premier recueil, les Enfants de la morte, serait la source des Pauvres gens de Victor Hugo.

Pierre de Decker (1812-1891), homme d'état et historien né à Zèle en Flandre orientale, est un poète catholique dans Religion et amour. Il est marqué par Lamartine dont il ne se dégage pas. Bien gris aussi sont Philippe Lesbroussart et le baron de Stassart. André Van Hasselt eut un disciple romantique : Jules Abrassart (1826-1902) qui se signala par d'heureuses transcriptions rythmiques de Goethe, Schiller, Uhland et Burger. Il avait commencé par publier sous le nom de Jules Aiméflor les Abeilles, puis les Illusions. Près de ces disciples romantiques, Walter Debouny (1829-1866) de Rétienne, près de Liège, a sa place :



J'aime les prés où les fleurs d'arbre neigent,

Les blés jaunis déroulant leurs flots blonds,

Les buissons verts que les moineaux assiègent,

L'arbre où le merle épelle ses chansons.



Je cours le long des coteaux, sous les haies,

Jetant au vent mes cheveux et mon cour,

Criant de joie et moissonnant des baies,

Des fleurs, des nids, de l'air et du bonheur.



Un Théodore Weustenraad (1805-1849) est un poète didactique attardé dans le Remorqueur, 1842, la Charité, 1845, le Haut-fourneau, 1844, dont le progrès renouvelle les thèmes, mais non point la façon de les traiter. Il chante ici le Fer :



Jeune et puissant Protée aux formes toujours neuves,

Il vogue, ardent navire, à tous les vents des mers;

S'allonge en ponts hardis sur le lit de nos Meuves

Fend, remorqueur tonnant, le vaste champ des airs ;

Se roule autour du globe en splendide ceinture;

Rampe, en canaux de gaz, sous le sol tourmenté;

Et porte aux nations, avec leur nourriture,

La lumière, la paix, l'ordre et la liberté.



Un Auguste Visschers, fabuliste, sait choisir ses sujets dans la mécanique, disant, par exemple, l'Utilité d'un frein :



Certain mécanicien, encor jeune et novice,

Critiquait du volant l'inutile service : «

Appareil trop massif, marchant avec lourdeur,

D'un moteur énergique il comprime l'ardeur.

- Mal te prendrait, mon fils ! d'enlever ce rouage,

Reparut un vieillard mieux instruit et plus sage.

Crains, en allant trop vite, un danger bien plus grand;

Tu ne seras jamais fort qu'en te modérant. »



Ce poème aurait pu faire sourire celui qui signait Jean Rigoleur ses Epitres, le Bruxellois Lambert-Ferdinand-Joseph Van den Zand (1780-1853), ancien polytechnicien qui mourut à Marseille. Il fit aussi des Fables, 1846, après avoir réuni contes, épîtres et poésies sous le titre les Franjreluches poétiques par un métagraboliseur, 1845.

Signalons deux chansonniers. Le premier, Louis Dechez, dit Jenneval (1800-1830), acteur du théâtre de Bruxelles, est un Lyonnais. Pourquoi figure-t-il dans cette rubrique? Pour un juste hommage. Il se trouvait dans la ville de Bruxelles quand la révolution de 1830 fit de lui une des premières victimes. Il n'avait écrit que quelques couplets épars dans les journaux, mais il écrit ce chant qu'on chante en Belgique conjointement avec la Marseillaise, et qui prend le relais sous le signe de la nationalité belge, la Brabançonne :



Qui l'aurait cru? de l'arbitraire

Consacrant les affreux projets,

Sur nous de l'airain sanguinaire,

Un prince a lancé les boulets.



C'en est fait, oui, Belges, tout change,

Avec Nassau plus d'indigne traité,

La mitraille a brisé l'orange

Sur l'arbre de la liberté. et l'on signale au passage l'importance en Belgique des chansons patriotiques. Dès 1819, elles proclament : « Oui, je suis Belge, moi... » et lors de l'insurrection nationale les chants patriotiques se multiplieront : la Marseillaise des Belges, la Bruxelloise, la Liberté belge, etc.

Le second chansonnier, Antoine Clesse (1816-1888) appartient au peuple. Il est ouvrier-armurier à Mons. Sentimental et socialisant, il exprime sa pitié pour les humbles et enseigne au travailleur ses devoirs sociaux. Il a écrit aussi un poème, Godefroy de Bouillon, 1839, des Poésies diverses, 1841, mais c'est dans les Chansons, 1845-1848, qu'il exprime le mieux sa pensée. Il chante Homère, aveugle et mendiant, qu'il assimile, artiste, aux travailleurs :



Rois, trônes de l'antiquité,

Vain orgueil, splendeur éphémère,

Vous n'êtes pour l'humanité

Que par la parole d'Homère.

Sublime écho des grandes voix,

A travers les temps tu persistes...

Que les peuples fassent des rois :

C est Dieu seul qui fait les artistes.



Etienne Hénaux (1818-1843) est mort trop jeune pour donner la mesure de son talent. Pauline, histoire de tous les jours, 1841, la Statue de Grétry, 1842, le Mal du pays, 1842, contenaient des vers harmonieux et prometteurs.

Chez Charles Potvin (1818-1902), de Mons, savant, philosophe, historien, si l'on trouve des influences comme celles de Victor Hugo ou d'Auguste Barbier pour la forme, ce sont surtout les tableaux flamands qui l'inspirent, mais ses descriptions sont longues et prosaïques. Il a cru, de bonne foi, qu'arriverait une nouvelle ère poétique post-romantique, ce qui fut certes, mais pas dans le sens vague qu'il imaginait. Il a fait paraître des poésies nationales, intimes ou satiriques, il a voulu rajeunir la poésie du moyen âge, traduisant en vers modernes le Roman de Renart et le Don Juan de Tirso de Molina. Il chante ainsi sa patrie :



J'aime sa vieille histoire et ses liais paysages,

Ses ateliers retentissants,

Ses meetings bien bruyants et ses chambres bien sages,

Et ses citoyens renaissants.

Dans ses annales j'aime à flâner en touriste,

Là, sa gloire est vivante encor,

Et quand la nuit se fait, que le présent s'attriste,

Son histoire a des astres d'or.

J'aime ses coteaux verts, aux flancs gonflés de houille,

Aux sommets ceints de hauts fourneaux,

Ses bois où le poète avec l'oiseau gazouille,

Sa dune où mugissent les flots...



Auteur d'un Dictionnaire historique des peintres, Adolphe Siret (1818-1888) de Beaumont (HainauT) a laissé des Poésies, des pièces de théâtre, mais il fut surtout apprécié comme critique d'art. Signalons encore Edouard de Linge pour ses Poésies champêtres imitées d'Horace et Léon Wocquier (1815-1864) pour ses Poésies, 1847.

Nous sommes durant la période romantique en temps de préparation. Les meilleurs poètes sont des suiveurs. On est heureux quand ils exaltent les mours et la vie de leur patrie ou peignent l'homme d'une manière plus générale, comme Van Hasselt, car c'est un pas vers des préoccupations supérieures. De là se dégageront de grands courants littéraires dépassant les frontières. En ce sens, la Belgique étonnera.



En Suisse romande.



Parmi les poètes lyriques qui représentent le romantisme en Suisse, quelques-uns sont remarquables. Les Alpes sont là pour apporter une inspiration méditative, les pâtres apportent leur note bucolique et le pays aime chanter ses héros.

Le plus connu de tous est Imbert Galloix (1807-1828). Il le doit à Victor Hugo qui consacra à ce lyrique mort jeune des pages publiées dans l'Europe littéraire fin 1833, puis dans Littérature et philosophie mêlées : « Imbert Galloix, écrit-il, est un des plus frappants exemples du péril de la controverse » et il nous apprend que ce jeune homme est mort de misère en « une espèce de suicide ». A dix-neuf ans, à Paris, sans ressources, il apportait la contradiction et le rêve. Le dénuement, la maladie le firent tomber dans le marasme comme en témoigne Hugo : « Il ne voulait plus rien voir, plus rien entendre; en quelques mois, il était tombé de la curiosité au dégoût. » En 1834, des amis, et surtout Jules Petit-Senn, publièrent ses ouvres poétiques à leurs frais. Les romantiques, Hugo, Nodier, Dumas, l'avaient reconnu pour un des leurs. Il appartient encore à leur école et c'est un des plus mélancoliques de tous, qu'il cherche dans sa Nuit de Noël un apaisement religieux ou dans les Rêves du passé les consolations nostalgiques :



Ô mes jours de bonheur!

Ô mes jeunes années!

Entre nous dès longtemps l'adieu s'est prononcé.

J'aime à voir, triste et seul, pâlir mes destinées

Avec les rêves du passé.



Pressy, riant village, asile solitaire,

Le plus cher à mes voux, le plus doux de la terre.

Sous les arbres en fleurs, n'irai-je plus rêver?

Blancs rochers de Salève, où j'ai caché des larmes,

Genève, si chérie et si pleine de charmes,

N'irai-je pas vous retrouver?



Hélas! depuis longtemps je végète et je pleure;

Depuis longtemps, hélas! je redis d'heure en heure :

« Encore une heure de malheur! »

Mais les deux paternels abritaient mieux ma peine;

Et l'étranger n'a pas, aux rives de la Seine,

D'asile pour les maux du cour.



Grand voyageur, apôtre en Suisse du carbonarisme italien, Charles Didier (1805-1864) vécut plus longtemps et eut aussi une fin tragique : aveugle, il se suicida. Lié avec Hugo, Nodier, Sainte-Beuve, collaborateur de la Revue des Deux-Mondes, ses Mélodies helvétiques, 1828, sa Porte d'Ivoire, 1848, montrent un créateur épris de perfection, mélancolique et nocturne, aimant comme le Chamois d'un sonnet retrouver la solitude dans la nature :



Et si parfois le soir, errant dans la vallée,

Près des hameaux en fête il passe à la volée.

Le bal, les chants, les feux, tant d'éclat, tant de voix

L'effarouchent; il fuit, il fend l'air, il regagne,

Encor tout palpitant, la paisible montagne...

Moi, fils aussi des monts, je ressemble au chamois.



Autre romantique, le Vaudois Albert Richard (né en 1807), sera appelé par Marc Monnier « le robuste neveu du Dante ». Non pas élégiaque, mais combattant, du Massacre de Nidwald, 1831, à l'Ossuaire de Stautz, 1842, en passant par l'Appel aux Suisses, 1832, Salut aux Polonais, 1833 ou Hymne à la Suisse, 1832, il jette ses chants patriotiques avec fougue.

Son compatriote vaudois Frédéric Monneron (1813-1837) vécut le temps de donner quelques chants de caractère national. C'est un lamartinien qui médite devant les Alpes, un spectateur mystique qui mourut agenouillé sous un arbre, le Nouveau Testament près de lui. C'est un des meilleurs romantiques de la Suisse :



Ces jours où ma jeunesse a fait souffrir les cours,

Je n'en pourrai gémir que seul avec moi-même,

Alors qu'il n'est plus temps de dire à ceux qu'on aime :

« A genoux, me voici! pardonnez-moi vos pleurs. »



Autre poète important, Juste Olivier (1807-1876), Vaudois, s'installa à Paris, ce qui ne l'empêcha pas d'écrire en vers et en prose sur son pays : « Après avoir chanté dans sa jeunesse des refrains qu'ont répétés les échos de l'Helvétie, dit Sainte-Beuve, il a pris en vieillissant une vocation de plus en plus prononcée pour la poésie intérieure et morale. » Ses livres de poèmes : Marco Botzaris, 1825, les Poèmes suisses, 1830, l'Avenir, 1831, l'Évocation, 1833, les Chansons lointaines, 1847. Avec sa femme, Caroline Olivier, auteur de poèmes chrétiens, il a écrit les Deux voix, 1835. Il chante l'Helvétie :



Heureuse et fière, et bientôt consolée

De ne grandir que vers le ciel. et dans tous ses poèmes apparaissent les Alpes rayonnantes, car



Il est doux, il est doux d'avoir une patrie,

Des montagnes, des bois, un lac, un fleuve à soi,

Vignes, vergers, champs d'or, fraîche et verte prairie,

Un cimetière en fleurs, un autel pour sa foi!



Il a su reprendre d'anciens motifs populaires pour faire des chansons comme Frère Jacques, les Marionnettes, la Reine du bal, les Compagnons de la Marjolaine qui ont fait la joie de ses compatriotes.

Jean-François de Sandoz-Travers (1814-1847), de Neuchâtel, mourut jeune. Il y a du Voltaire dans ses longs Contes en vers et qui se marie avec son sens épique de la légende. Il chante ses compatriotes tout en regrettant l'époque des loups, des sorciers et des brigands comme dans son Cabaret de Brot :



Il fut un temps où le

Neuchàtelois Suivait en paix les vieux us de ses pères.

Ne fabriquait ni vin mousseux, ni bois;

Allait parfois voir brûler les sorcières,

Buvait son vin et parlait en patois.



On les pendit, nous apprend la légende.

Au grand gibet tout près de Rochefort.



Le prosaïsme est relevé par des noms de lieux colorés et un ton fantastique. A Neuchâtel encore, c'est Eugène Borel (1802-1867) qui chante les Vieilles arcades en disant ses regrets de l'enfance ou Florian Calame (1807-1863) qui est si lamartinien que cela frise le pastiche. Leur compatriote neuchàtelois, le librairejules Gerster (mort en 1867) dans ses Poésies fugitives joue avec les rythmes, comme dans la Partie de traîneaux :



Hourrah! mon sein palpite L'aquilon qui nous fouette Plein d'ardeur A merci,

La course où l'on va vite Des arbres nous soufflette Précipite Le squelette

Le bonheur. Tout transi...



Les arcades de Neuchâtel ont aussi inspiré Jules-Henri Kramer (né en 1827), traducteur d'ouvres suédoises.

Le Genevois Ernest Naville (1816-1909) pense que « l'art devient un anneau de la chaîne d'or qui relie le ciel à la terre ». Philosophe chrétien, éditeur de Maine de Biran, auteur d'ouvrages pieux, ses poèmes ne cessent de dire : « Regardons vers les cieux » comme dans cette Aurore alpestre :



Plus haut que les vapeurs qui passent sur nos têtes,

Vers l'azur éternel qui brave les tempêtes,

Élevons donc les yeux!

Et, pour illuminer les bonheurs de la terre,

Pour priver la douleur de sa saveur amère,

Regardons vers les cieux.



N'oublions pas qu'Adolphe Monod, déjà cité avec des poètes religieux, appartenait à une famille suisse dont plusieurs membres ont exercé des fonctions sacerdotales.

Mme de Pressensé dont nous avons parlé était suisse. Comme elle mariée à un Français et tournée vers la religion, la comtesse Valérie de Gasparin, née Boissier (1813-1894) en plus de romans, de récits de voyages, de livres de politique et de morale religieuse, est le poète à1 Edelweiss et à'El Sonador.

Un créateur plus intéressant est Etienne Eggis (1830-1867), de Fribourg, neveu par alliance de Senancour, plus ardent et plus vif que la plupart de ses confrères romands. A Paris, il fut un bohème romantique qui se mêla aux milieux littéraires, collaborant avec Charles Monselet à l'Artiste, préparant des romans et des drames aux titres bizarres : Wald, Yohonn, Auréol Bionda. Dans ses recueils En causant avec la lune, 1850, et Voyages au pays du cour, 1852, il montre un style aisé, jetant l'Éclat de rire d'un bohème :



Tout ce qui grouille enfin de vil, d'abject, d'immonde,

Dans ce grand hôpital qu'on appelle le monde,

Et je me dis alors que pour un million,

Ces hommes à genoux baiseraient mon haillon :



Car l'homme des vertus répétant la chimère

Vendrait pour un peu d'or ses enfants et sa mère.

Alors un noble orgueil illumine mon front

Du haut de mon dédain, vierge de tout affront,

Dominant cette foule et penché sur ma lyre,

Je jette au monde entier un vaste éclat de rire.



Il y a des réminiscences de Musset, de Murger et de Heine, et l'on sent aussi un côté Maurice Rollinat ou Jean Richepin. Ce poète qui mourut frappé de phtisie abuse parfois de fanfaronnades et de tours outrés du romantisme déjà un peu passés de mode en son temps, mais il est parfois touchant par ses cris de détresse et par la jeunesse de ses vers. II aime sa ville natale qu'il mêle à son enfance. Vers la fin de sa vie, il a publié une fantaisie en prose, les Schnapsseurs suivie d'une Ode au schnaps et d'un Toast aux poètes. Les Goncourt, Arsène Houssaye et Maxime Du Camp le signalent dans leurs souvenirs.

On a trouvé à Genève au début du siècle François Vernes, qui selon la mode du temps de l'Empire, fait de longues épopées comme la Franciade, seize chants, ou la Création, six chants. Au temps des échanges sur le Rhin allemand où Musset et Lamartine rivalisent, Jules Vuy (né en 1815), patriotiquement, répond à son tour par une pièce, le Rhin suisse, qui fait du bruit :



Les Alpes sont à nous et leurs cimes de neige

Et leurs pics sourcilleux, formidable cortège,

Séculaire berceau du fleuve souverain;

Là, nos pères ont bu sa vague froide et pure.

Il fallait au grand fleuve une grande nature :

Il est à nous le Rhin!



Le pasteur genevois Louis Tournier (né en 1828) chante aussi les Alpes dans le Bonheur :



Oh! c'est lui, c'est bien lui! calme, serein, paisible,

Rose, aux feux du couchant, dans un ciel sombre et bleu;

C'est lui, c'est le bonheur!

- C'est la Jungfrau, mon Dieu...

Elle est inaccessible!



Il se partage entre des poèmes religieux, des poèmes pour la jeunesse et des compositions intimistes élégiaques.

L'éducation de la jeunesse, Jean-Jacques Porchat (1800-1837) s'y consacre aussi par des Fables, 1826, des Fables et paraboles, 1854, posthumes. On l'appela « le La Fontaine vaudois ». Il traduisit Tibulle, Horace, Gcethe, donna un drame, la Mission de Jeanne d'Arc, et des Poésies vaudoises, 1832. Ce don de la Fable, on le retrouve chez Antoine Carteret (né en 1813), familier et spirituel. Mais aucun d'eux ne renouvelle le genre.



La plupart de ces poètes, s'ils n'ont guère de personnalité poétique profonde et originale, ont, du moins, une grande ferveur; on sent qu'ils croient à ce qu'ils écrivent; certains se sentent investis d'une mission nationale; ils émeuvent surtout quand ils chantent leur pays, leur ville ou leur village. Nous citons encore André Verre, Gandy Lefort, Aimé Steinlein, et surtout Henri Blan-valet (né en 1811), disciple de Victor Hugo dans sa Lyre à la mer, 1844, où des poèmes comme la Petite sour (qui cherche son frère mort dans la campagnE) ont pu toucher jadis. Charles-Louis de Bons (né en 1809) est patriotique dans Divicon ou la Suisse patriotique et gracieux dans les Hirondelles, sujet de plusieurs romantiques. Henri Durand (1818-1843) parle comme Lamartine de l'immortalité avec conviction. Le prédicateur vaudois Louis Manuel (1790-1838) publie dans le Mercure un pompeux Tombeau d'Homère ou un gentil Rossignol. Les si peu originales Poésies, 1869, deDavid-Étienne Gide (1804-1869) sont publiées l'année même de sa mort. Il s'agissait de ses ouvres de jeunesse.

Félix Chavannes (1802-1863), Vaudois, publie le Petit oiseau et la Reine Berthe, ou bien, avec son oncle Nicolas Châtelain (1769-1857), il fait des pastiches classiques comme celui de Mmede Sévi-gné. Leur parent Frédéric Chavannes (né en 1803) mêle le lyrisme au didactisme dans ses Poésies chrétiennes, 1846.

On a attribué à l'avocat Salomon Cougnard (1788-1868) la fameuse Complainte de Fualdès; sa chanson Fanfan fut célèbre en Suisse.

Nous terminons ce panorama par deux écrivains assez connus. Le premier,Jules Petit-Senn (1792-1870) est un poète et un écrivain humoristique et satirique. Enjoué et malicieux, sceptique, il y a en lui du Montaigne et du Sterne, avec un grain de Scarron. Dans la satire, il a le talent particulier d'être désinvolte. Il a écrit des pensées fort originales, ce Fantasque, comme il a intitulé un journal. Dans son salon de Chênethonex, il recevait une société cosmopolite à qui il récitait ses compositions burlesques comme les Trois verres de vin qui content le désappointement d'un buveur qui prend pour belle un laideron et l'épouse. Mais ce rieur, parfois cynique, ce railleur pétri d'intelligence qui caricature en vers et en prose ses contemporains, ce glaneur des travers et des originalités sait avoir de la sensibilité quand il chante le Lac de Genève, la Bible de ma mère ou le Cimetière et le rossignol :



Hélas! il chanta comme toi

La nature, l'amour, la foi;

La poésie était sa loi

Et sa folie.



Mais en dépit de ses efforts,

Ainsi que les tiens, ses accords

N'ont retenti que pour des morts,

Puis on l'oublie!



Tôpffer illustra son premier livre, la Griffonnade, 1817. Il publia ensuite la Miliciade, Paysages poétiques, Netienne (contre la guerrE), et sa meilleure ouvre, les Perce-neige, 1847. Il termina, lui qui disait : « Respectons les cheveux blancs, mais surtout les nôtres » par un recueil mélancolique, Cheveux blancs. Dans ses Bigarrures littéraires ou ses Bluettes et boutades, il n'est jamais lourd et ne semble jamais se prendre au sérieux. Il trouve aussi le moyen de mettre des idées originales dans des poèmes humoristiques comme celui où il s'imagine en l'an deux mille écoutant un littérateur qui le flatte tandis qu'un passant devant sa porte l'appelle « poète rococo, classique rossinante ». Se moquer de soi-même est chose rare en poésie!

Le second, Alexandre-Rodolphe Vinet (1797-1847), Vaudois, professeur de français, théologien, critique, auteur d'une Chres-tomathie française, 1829-1830, et d'études littéraires remarquables, notamment sur les grands romantiques français, fut l'ami de Sainte-Beuve qui parle ainsi de son enseignement : « Jamais je n'ai goûté autant la sobre et pure jouissance de l'esprit, et je n'ai eu plus vif le sentiment moral de la pensée. » Il a écrit des poèmes graves et moralisateurs et d'autres, de mètres courts, petites élégies romantiques sur le Renouvellement de l'année ou la Mort de ma fille :



Pourquoi reprendre,

Ô Père tendre,

Les biens dont tu m'as couronné?

Ce qu'en offrandes



Tu redemandes

Pourquoi donc l'avais-tu donné?

Parle, Seigneur, tes ouvres sont si grandes,

Et mon regard est si borné!



Après 1850, d'autres poètes apparaîtront comme Marc Monnier, comme Henri-Frédéric Amiel plus connu pour son Journal intime. Nous ne manquerons pas de suivre les étapes de la poésie de langue française en pays helvétique, en attendant les parfaites réussites du siècle qui est le nôtre.



Poètes français de partout.



Tandis qu'au Canada, la poésie ne connaîtra son éveil qu'après 1860 avec Octave Crémazie, Louis Fréchette, William Chapman, Pamphile Le May, Alfred Garneau, Nérée Beauchemin, en attendant l'École de Montréal, et surtout le génial Emile Nelligan, d'autres encore avec qui nous prenons rendez-vous, des poètes de langue française, en terre lointaine, parlent.

Dans les keepsakes de 1827 à 1829, des poèmes signés Jean Polo-nius surprirent. Rien ne révélait un étranger : la langue était pure, la prosodie parfaite, le contenu d'époque. On ne sut la véritable identité de cet inconnu qu'en 1839 quand parut un poème en six chants, Erostrate, signé cette fois d'un noble polonais, le comte Xavier Labenski (1790-1855). Ses Poésies diverses, 1827, et sa Vision d'Empédocle, étaient endossées par Jean Polonius. Si Erostrate ressassait le dégoût du siècle, les soupirs languissants des recueils mélancoliques, avec quoi la génération de 1830 avait pris du recul, la Vision d'Empédocle avait, malgré l'éloignement, plus d'originalité, Poloruus valait mieux que Labenski. Charles Asselineau lui a reconnu une place entre Auguste Barbier dont il fut l'émule et Lamartine dont il fut l'élève. On pourrait aussi parler de Millevoye. Il a de l'harmonie et de la facilité, quoique ses vers irisent le pastiche. Lamartine aurait pu les signer sans qu'on fît la différence :



Si, saisi du dégoût des choses de la terre,

Jetant sur la nature un oil désenchanté,

Il écartait de lui la coupe trop amère

De l'immortalité.



Qu'à ton seul souvenir il reprenne courage!

Qu'il sache que l'injure ou l'oubli des humains

Ne lui raviront pas le sublime héritage

Qu'il reçut de tes mains!



Le peuple des oiseaux, quand le temps les dévore,

Tombe, et reste englouti dans l'éternel sommeil;

Le phénix sait revivre et s'élancer encore

Aux palais du soleil.





Un Russe, le prince Elim-Petrovitch Metcherski (1808-1844), traduit pour une anthologie les Poètes russes en vers français et l'on publie les Roses noires, 1845, après sa mort. Un autre Russe surprendra ici. Il se nomme Alexandre Sergueievitch Pouchkine (1799-1837), oui, le grand Pouchkine! sang mêlé comme Dumas, qui reçut une éducation française par le comte de Montfort. Il écrivit une bluette, l'Escamoteur, qui ne réussit pas, ce dont il se consola par une épi-gramme :



Dis-moi, pourquoi l'Escamoteur

Est-il sifflé par le parterre?

Hélas! c'est que le pauvre auteur

L'escamota de Molière.



Il a fait, sur le ton badin du XVIIIe siècle, son portrait en vers français de huit et six pieds entrecroisés, peu poétique, mais témoignant d'un sens parfait de la prosodie et de la langue :



Je suis un jeune polisson

Encore dans les classes;

Point sot, je le dis sans façon

Et sans fades grimaces.

Or, il ne fut de babillard

Ni de docteur en Sorbonne

Plus ennuyeux et plus braillard

Que moi-même en personne.

Ma taille à celle des plus longs

Ne peut être égalée,

J'ai le teint frais, les cheveux blonds

Et la tête bouclée...



En Roumanie où l'influence française était prépondérante, de nombreux poètes de langue française apparaîtront, mais au temps de la reine Carmen-Sylva, d'Hélène Vacaresco, d'Alexandre Sturdza.

Au Caire, Joseph Agoub (1795-1852) apprend le français, ce qui lui permet d'écrire un Dithyrambe sur la mort de Mm' Dufrénoy, 1825. En Allemagne, Adolphe-Michel Birmann (1810-1868) met en vers français des poèmes de Schiller.

En Haïti, quelques poètes font attendre le meilleur des poètes haïtiens, Oswald Durand (1840-1906) et quelques poètes lyriques, et puis, en 1898, l'école groupée autour de la revue la Ronde. Des journaux donnent une place à une poésie souvent mondaine et galante dans le goût du siècle passé : ce sont l'Observateur de 1819, puis l'Abeille haïtienne de 1827. Dans la période qui nous intéresse, on rencontre de nombreux auteurs de drames historiques ou bourgeois, de comédies, de tragédies qui se nomment Fligneau (l'Haïtien expatrié, 1804), Dupré {Odéide ou la honte d'une mère, 1813, la Mort du général Lamarre, 1815), Juste Chanlatte comte des Rosiers (une tragédie en l'honneur d'Henri Christophe, ancien esclave devenu roi en 1811), le général-comte Pierre Faubert (Ogé ou le préjugé de couleur, 1856), Alibée Féry, Eugène Nau, Liautaud Ethéart. Un renouvellement se produira dans la deuxième partie du siècle.



Pour la poésie, nous trouvons François Romain, dit Lhérisson (1798-1858), poète en tous genres : satirique, politique, galant, etc., mais qui comprend la valeur poétique du créole qu'il transcrit, ce qui lui permet de se dégager des modèles français. Ignace Nau (1808-1839) et son frère Emile Nau (1812-1860) fondateur de journaux comme le Républicain et l'Union, vers 1836, laissent entrevoir un romantisme haïtien qui mêlerait l'inspiration française et le génie local. Coriolan Ardouin (1812-1835) mourra très jeune de phtisie. Ses élégies seront publiées en 1837 sous le titre de Reliquaire. Les poèmes de Pierre Faubert ne seront publiés qu'en 1869, l'année qui suit sa mort. Malgré une pointe de romantisme, il s'apparente encore à l'école néo-classique :



Beau lac de ce désert, combien j'admire et j'aime

Tes flots bleus endormis sous ces monts orgueilleux,

Que ce site, à la fois doux et majestueux,

Parle haut à mon cour de l'artiste suprême!

Pour lancer jusqu'au ciel ces cônes de granit,

Pour briser sur le roc la cascade grondante,

Un seul mot, Dieu puissant, un signe te suffit...



C'est le cas de Jean-Jacques Lérémond (1823-1844), d'Abel Elie ou d'Hippolyte Ducas qui tentent d'imiter les romantiques en ressemblant plutôt à ceux qui les ont précédés. A la fin du siècle, nous trouverons une grande floraison de poètes français haïtiens.

Auguste Viatte, dans son Histoire littéraire de l'Amérique française, a montré la présence de nombreux poètes en Louisiane. Après lui, signalons Tullius Saint-Céran (1800-1855), né à la Jamaïque, qui supprima sa particule. Ses premières ouvres, Chansons et poésies diverses, 1836, marquent un retard évident sur la poésie de l'époque en France et ce retard ne se rattrapera pas avec ses ouvres suivantes. On hésite à l'époque entre le néo-classicisme et le préromantisme, ce qui se voit, soit dit au passage, chez maints poètes vivant en France. D'autres poètes louisianais sont Camille Thierry (1814-1875) qui collabore au recueil poétique des Cenelles publié en 1845 par des poètes de couleur. L'année qui précède sa mort, il publie à Paris les Vagabondes, 1874, Viatte le situe parmi les romantiques frénétiques; Alexandre Latil (1816-1861) qui mourra lépreux : son recueil les Éphémères, 1841, est, selon l'historien de l'Amérique littéraire française, « mêlé de beaucoup de fadeurs qui contrastent avec le pauhétique de son destin », ce qui nous éloigne de la force des Congés d'Arras au moyen âge.

Les plus connus sont les frères Adrien (1813-1887) et Dominique Rouquette (1810-1890). Le premier a fait ses études en France où ses débuts ont été remarqués; avant de se faire prêtre, il a connu de multiples amours. Devenu missionnaire chez les Indiens Chactas, sa poésie célèbre la nature et la foi; comme beaucoup d'exilés, il cherche à créer une littérature française puisant son inspiration sur la terre d'accueil. En français, il écrit ses poèmes lyriques, les Savanes, 1841, ou religieux, la Thébaïde en Amérique, 1852, l'Antoniade, 1860, son roman la Nouvelle Atala, bien plus tard, en 1879 (signé de son pseudonyme indien Chata-ImA), prolongeant ainsi Chateaubriand. En anglais, il a laissé ses Fleurs sauvages, 1858. Son frère Dominique est essentiellement romantique dans les Meschacébéennes, 1839 et Fleurs d'Amérique, 1856. Selon Viatte : « Il chante à la fois la solitude et le voyage, la Louisiane et la France; certains de ses vers présagent les accents de Baudelaire et de Mallarmé. »

A leur école, on trouve Charles-Oscar Dugué (1821-1872), auteur d'Essais poétiques, 1847, de Mile ou la mort de La Salle, 1852, d'Homo, 1872, poème philosophique. Exilé, Alexandre Barde écrit surtout des romans et donne aux journaux des poèmes à la manière du Victor Hugo satirique. Bien plus tard, on trouvera en Louisiane Albert Delpit (1849-1893) qui fut secrétaire d'Alexandre Dumas, exilé de la Commune, dont les poèmes l'Invasion parurent en 1871 avec succès, avant les Dieux qu'on brise, 1881. Romancier, auteur dramatique, poète, il nous fait quelque peu anticiper, comme aussi son frère Edouard Delpit (1844-1900), auteur de Mosaïques, 1871, de drames et de romans. Plus tard encore, Georges Dessommes (1855-1929) publiera des poèmes dans l'Athénée loui-sianais.

Puisque nous sommes de l'autre côté de l'Océan, signalons Félix de Courmont en Martinique qui écrit ses poèmes vers 1846.

Nous terminerons en beauté avec Auguste Lacaussade (1817-1897) né en l'île de la Réunion. Il vivra en France, mais sera sans cesse inspiré par son île natale comme en témoignent ses premiers vers, les Salétiennes, 1839 (du nom du massif des SalazeS) et tant d'autres poèmes. En 1842, il retourna dans son île pour mener une campagne contre l'esclavage des Noirs; toute sa vie, il combattra, notamment aux côtés de Schoelcher, pour l'émancipation des peuples : l'honneur des poètes... Il traduisit Ossian et Leopardi avec bonheur. Ses principaux recueils sont, après les Saléziennes, Poèmes et paysages, 1851, les Épaves, 1861, Cri de guerre, Vae vidoribus, 1870, le Siège de Paris, 1871, Stances à Leopardi, Ultima verba, 1890, les Epaves, 1896, qui contiennent ses poèmes contre Napoléon III. S'il touche au romantisme, il est souvent plus près des parnassiens comme Leconte de Lisle : on pourrait comparer l'Heure de midi au Midi de ce dernier. Ce début de poème en témoigne :



Midi! l'heure de feu! l'heure à la rouge haleine.

Sur les champs embrasés pèse un air étouffant :

Le soleil darde à pic: ses flammes sur la plaine,

Le ciel brûle, implacable, et la terre se fend.



La Nature n'a plus ni brises ni murmures;

Le flot tarit; dans l'herbe on n'entend rien frémir;

Les pics ardents, les bois aux muettes ramures,

D'un morne et lourd sommeil tout semble au loin dormir.



L'immobile palmier des Savanes brûlantes,

Abritant les troupeaux sous les rameaux penchés,

Courbe languissamment ses palmes indolentes

Sur les boufs ruminant dans son ombre couchés.



On pourrait encore le rapprocher d'un Midi au village de Sully Prudhomme. De Lacaussade, Sainte-Beuve (dont il fut le secrétairE) a écrit : « Il a senti profondément la nature tropicale et il a mis sa muse tout entière au service et à la disposition de son pays bien-aimé. Il prend l'homme avec tous ses sentiments de père, de fils, d'époux et d'ami et il le place dans le cadre éblouissant des Tropiques. Cette nouveauté de situation produit dans l'expression des sentiments naturels et simples un véritable rajeunissement. » L'exotisme n'est pas tout chez Lacaussade : il a une manière particulière, désabusée et tendre, de chanter les désillusions de la vie et les peines perdues. La terre lui apporte sa mélancolique consolation :



Ô changeantes saisons! ô lois inexorables!

De quel deuil la nature, hélas! va se couvrir!

Soleil des mois heureux, printemps irréparables,

Adieu! ruisseaux et fleurs vont se taire et mourir.



Mais console-toi, terre! ô nature! ô Cybèle!

L'hiver est un sommeil et n'est point le trépas :

Les printemps reviendront te faire verte et belle;

L'homme vieillit et meurt; toi, tu ne vieillis pas!



Comme Théophile Gautier, Lacaussade procède de cet art parnassien dont nous allons parler, celui de Leconte de Lisle, de Théodore de Banville, de José-Maria de Heredia, dont la forme reste chez Baudelaire et Mallarmé, avant d'en venir à un mouvement plus vaste, le symbolisme, qui s'exprime à travers tous les arts, musique, peinture, théâtre, poésie, et est en cela comparable au romantisme ou au surréalisme.



Un Entracte.



Le phénomène romantique se poursuit tout au long du siècle et au-delà. Dans la seconde partie de ce tome consacré à la Poésie du XIX' siècle, le lecteur retrouvera le romantisme, les romantismes selon leurs nouvelles métamorphoses. C'est le temps où naîtra la poésie moderne, avec des poètes comme Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, et tant d'autres parfois considérables, souvent peu connus ou mal connus. A la richesse poétique du quadrige fameux Hugo-Vigny-Lamartine-Musset, à celle des sur-romantiques comme Gérard de Nerval et maints bousingots, à celle des maîtres du poème en prose comme Aloysius Bertrand ou Xavier Forneret, va succéder une richesse plus grande encore par une infinie variété, par des options nouvelles, des directions inconnues et peu imaginables jusqu'alors, des éclatements, des révolutions. Les écoles, les individualités, nous tenterons de ne rien omettre, et non plus le félibrige, les poètes populaires, les chansonniers, la poésie francophone. Sait-on que dans ce siècle qui nous est si proche, des remises en question sont nécessaires, des réhabilitations, des découvertes sont possibles?



Nous aurions aimé que ce XIXe siècle, pour n'apporter aucune coupure, fût réuni en un seul volume. Pour des raisons pratiques (un ouvrage trop épais serait peu facile à manieR), l'ampleur de la matière poétique ne l'a pas permis. Passant d'un volume à l'autre, que le lecteur pense qu'il ne fait que tourner la page et que l'histoire que nous racontons est ininterrompue...

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