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Poésie venue d'ailleurs






Parfois, au fil de ce panorama, le regret nous prend de ne point parler des grands prosateurs. Alors, nous usons d'un subterfuge et allons, comme nous l'avons déjà fait, chercher les vers ou la poésie chez ceux qui ne sont pas réputés poètes.



L'Histoire naturelle poétique de Michelet.



Nous ne répéterons pas que Chateaubriand ou Sénancour, Nodier ou Lamartine, tant d'autres, peuvent être poètes dans leurs proses. Si nous lisons bien Jules Michelet (1798-1874), nous constatons, chez lui comme chez Ballanche, ce que l'histoire doit à la poésie. Il n'est pas chez Michelet que l'histoire naturelle poétique de l'Insecte, l'Oiseau, la Mer, la Montagne, pour nous faire goûter de vrais poèmes en prose qu'on devrait bien glisser dans les anthologies : dans ses récits historiques, on est sans cesse surpris par les cadences harmonieuses, les suites métriques. S'il décrit ici Jeanne d'Arc, nous trouvons nombre d'alexandrins et d'octosyllabes comme en témoigne ce découpage factice :



Eh! qui ne sait que la meilleure âme de France, celle en qui renaquit la France, la sainte vierge

Jeanne d'Arc, prit sa première inspiration aux marches lorraines, dans la mystérieuse clairière où se dressait, vieux de mille ans, l'arbre des fées, arbre éloquent qui lui parle de la patrie.



et l'on trouvera encore des vers dans ce passage de l'Oiseau :

J'ai maintes fois, en des jours de tristesse, / observé un être plus triste. / que la mélancolie aurait pris pour symbole : / c'était le rêveur des marais. / l'oiseau contemplateur / qui, en toutes saisons, / seul devant les eaux grises / semble avec son image / plonger dans leur miroir / sa pensée monotone.

Ainsi, comme au temps de Lemaire de Belges, il reste des cadences prosodiques dans la prose. Ce découpage, Emile Faguet l'a remarqué : « Des vers blancs à chaque instant. Il y en a un nombre infini, de douze pieds, de huit pieds. C'est qu'il a l'oreille musicale, et que le vers satisfait son besoin de rythme, et qui est admirable pour faire la phrase courte, tassée, vigoureusement détachée du discours. Rien n'est saccadé comme des alexandrins séparés les uns des autres par des points; mille fois plus (car alo»"s point de risque de monotoniE) le vers entre deux points, dans un discours qui n'est point en vers. » Le Dr Coignion, cité par Paul Colonna, a relevé des alexandrins dans Y Histoire de France :



Mais il n'eût pardonné qu'aux dépens de la France...

Mazarin général et vainqueur de Turenne...

Est-ce humanité? Non; prudence et bon sens...

Se moquer de soi-même et mourir en riant... et nous abrégeons, car il faudrait citer encore des distiques d'alexandrins ou un titre de chapitre :



Richelieu donne au roi Cinq-Mars qui le trahit.



Dans l'Oiseau, ils abondent :



Et dès qu'il lui ressemble, il veut aller vers elle...

Le monde des poissons est celui du silence...

Beaucoup pouvaient rester; un aiguillon le pousse... et le citateur nous invite à glaner ainsi en d'autres lieux : ceux de la prose menée à la perfection. La question qu'on peut se poser : quelle fut l'école de Michelet? Il suffit, pour y répondre, de se rappeler que Michelet, dans son extrême jeunesse, alors qu'il se demandait sur quelle mode il chanterait, fit des vers comme ceux de la Jeune Mendiante où l'on trouve, comme dans sa prose, alexandrins, décasyllabes, octosyllabes :



Sous le portique d'une église,

Révélant le besoin qui causait sa douleur,

Pour la troisième fois, par les ombres surprise,

Se plaignait en ces mots la fille du malheur : «

Je me meurs, je le sens; je me meurs, car ma vue

Est d'un voile funèbre obscurcie à moitié.

La charité ne m'a pas entendue,

Et l'aumône de la pitié

A mon secours n'est point venue. et aussi dans un Chant de l'oiseau ces vers de six pieds qui parsèment l'Oiseau en prose :



Je suis le compagnon

Du pauvre bûcheron.

Je le suis en automne,

Au vent des premiers froids,

Et c'est moi qui lui donne

Le dernier chant des bois.

Il est triste, et je chante

Sous mon deuil mêlé d'or.

Dans la brume pesante

Je vois l'azur encor...



Le secret de la prose poétique de Jules Michelet ne résiderait-il pas dans ces vers si peu connus?



Edgar Quinet le trop éloquent.



Des trois maîtres du Collège de France, Michelet, Mickiewicz et lui-même, Edgar Quinet (1803-1875) est celui qui manie la prose poétique avec le moins de talent. Nous avons évoqué ses longues épopées versifiées qui présentent quelques curiosités. Il aime se mouvoir dans la forêt des symboles avec conviction, et veut « ouvrir de nouvelles voies à l'imagination », mettre ses pouvoirs au service des grandes idées humanitaires, mais il a l'éloquence d'un professeur plus que d'un poète : ses meilleurs moments sont détruits par quelque chose de trop scolaire. Il a beau multiplier les interjections et les antithèses, il est rarement convaincant. Appartenant à la génération éblouie par le moyen âge, il jette ses images sentimentales de grand lettré en vrac, voulant peindre

...le monastère aux clochers élancés, les daines au clair visage, cueillant les fleurs de mai, ou du haut des balcons attendant des nouvelles; l'hermite au fond du bois, qui lit son livre enluminé; la damoiselle sur son fringant palefroi ; le messager, les pèlerins assis à table et devisant dans la salle parée; les bourgeois sous la poterne, le serf sur la glèbe; les pavillons pendus au vent, les enseignes brodées et dépliées, les chasses au faucon, les jugements par le feu, par l'eau, par le duel; tout ce qui accompagnait ou suivait les disputes des seigneurs, défits, pourparlers, injures, prises d'armes, convocation du ban et de l'arrière-ban, machines de guerre, engins, assauts, pluies de flèches, famines, meurtres, tours démantelées; c'est-à-dire le spectacle entier de cette vie bruyante, silencieuse; variée, monotone; religieuse, guerrière; où tous les extrêmes étaient rassemblés.



Comme dans ses longs poèmes en vers, il procède par accumulation, ce que feront plus tard les romanciers naturalistes.



Dans son Merlin l'Enchanteur, on sent encore l'influence de Chateaubriand et de Ballanche, avec quelque chose de véhément dans le style qui semble trahir une impuissance à faire jaillir la poésie. La légende lui apporte ses principaux éléments; il veut en accentuer les symboles, montrer les contrastes entre le visible et l'invisible. Les poètes du moyen âge, avec leur sens du mystère, y parvenaient mieux que lui. Lui remplace le mystère par le flou, il lui manque le don du style et c'est fort dommage : son imagination est poétique, son esprit est philosophique, et l'union se fait mal, peut-être justement parce qu'il a trop d'idées. Mais on peut trouver des idées nouvelles comme lorsque Merlin écrit à Viviane :

Tu regardes, en écrivant, certaines caresses de langage comme une douce musique qui n'a point de signification précise et n'engage à rien celle qui les laisse romanesquement tomber de sa plume de rossignol...

Parfois, entre Chateaubriand et Saint-John Perse, il peut étonner comme dans les versets du Triomphe de Bacchus :

Mais à ce moment s'ouvraient les portes des hymnes; et l'écho en était si puissant, que les sources de vie renaissaient dans son cceur.

Venaient d'abord les peuples affranchis qui marchaient la tête droite, comme s'ils ne l'eussent jamais courbée.

Puis Artus couvert de son bouclier blanc, où se mirait le soleil de justice.

Artus étendait son bouclier autour de lui, et vingt nations en étaient protégées,..



Honoré de Balzac et la fauvette.



Dans une ouvre aussi considérable que celle d'Honoré de Balzac (1799-1850), la poésie se niche en tant d'endroits qu'on ne saurait faire autre chose ici que de l'évoquer. Mme Anne-Marie Meininger nous a rappelé ce passage de Louis Lambert par la voix de qui Balzac rappelle ses premiers essais poétiques au collège de Vendôme :

...je négligeais mes études pour composer des poèmes qui devaient certes inspirer peu d'espérances, si j'en juge par ce trop long vers, devenu célèbre parmi mes camarades, et qui commençait une épopée sur les Incas :

Ô Inca.' ô roi infortuné et malheureux! Je fus surnommé le Poète en dérision de mes essais; mais les moqueries ne me corrigèrent pas. Je rimaillai toujours, malgré le sage conseil de M. Mareschal, notre directeur, qui tâcha de me guérir d'une manie malheureusement invétérée, en me racontant dans un apologue les malheurs d'une fauvette tombée de son nid pour avoir voulu voler avant que ses ailes ne fussent poussées.

Honoré de Balzac fit d'autres essais, notamment vers 1819-1822, et Maurice Bardèche les a reproduits et commentés. Et il y eut Cromwell, tragédie en vers en cinq actes. Le jeune Honoré de Balzac manie les vers aussi mal qu'Alexandre Dumas, alignant des alexandrins prosaïques et souvent boiteux dans des dialogues lourds. On reconnut cependant que l'apprenti de Corneille connaissait l'art de l'affabulation et de l'intrigue; il y a même quelques moments pathétiques qui participent du bon théâtre romantique. Il y eut d'autres essais de versification : le Mendiant, Esquisse à la Molière, Marie Touchet, et des faux départs théâtraux, Sylla, le Corsaire, Saint Louis, Stella, intéressants, mais qui le rejetèrent heureusement vers le roman. La vocation de poète du Lucien de Rubem-pré des Illusions perdues naît de sa découverte d'André Chénier qui est aussi celle de Balzac. Quand le personnage écrit des sonnets comme la Marguerite, le Camélia, la Tulipe, Balzac fait appel à Delphine de Girardin, Lassailly, Théophile Gautier, peut-être écrit-il lui-même le Chardon, sorte de pastiche. Dans le Député d'Arcis, on trouve une grotesque Bilquéide ou dans l'Israélite un pastiche moyen âge. Écrivant Cromwell, il écrit à sa sour : « Les idées m'accablent, mais je suis sans cesse arrêté par mon peu de génie pour la versification. » Lucide Balzac! et pourtant cette Ode à une jeune fille écrite vers 1827-1828, très romantique, en vaut bien d'autres :



Du sein de ses torrents de gloire et de lumière,

Où, sur des harpes d'or, les esprits immortels,

Aux pieds dejéhova, redisent la prière

De nos plaintifs autels;



Souvent un chérubin, à chevelure blonde,

Voilant l'éclat de Dieu par son front reflété,

Laisse au parvis des deux son plumage argenté,

Et descend sur le monde :



Comprenant du Très-Haut le sublime regard,

Il vient au pauvre à qui tout est souffrance ;

Et, par son tendre aspect, rappeler au vieillard

Les doux jeux de l'enfance.



Il inscrit des méchants les tardifs repentirs;

A la vierge amoureuse, il accourt dire : « Espère. »

Et, le cour plein de joie, il compte les soupirs

Qu'on donne à la misère...



Le grand Honoré de Balzac poète est cependant ailleurs, épars dans son ouvre gigantesque, et qui lit l'Elixir de longue vie, 1830, la Peau de chagrin, 1831, Séraphîta, 1835, Melmoth réconcilié, 1835, Gambara, 1837, par exemple, rejoint la poésie par le fantastique. Il est à noter que le nom de poète revient souvent sous la plume de ceux qui l'admirent. « C'était un aigle qui n'avait pas dans sa prunelie la mesure de son vol », dit Lamartine. « Balzac fut un voyant », dit Gautier. « J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire et visionnaire passionné », dit Baudelaire. « Un grand poète », dit Jules Barbey d'Aurevilly. « Aucun poète n'a jamais été plus absorbé dans son ouvre », dit Stephan Zweig. « Le prestige du magicien de génie », dit Georges Bernanos. « Il a eu le pressentiment de tout », dit François Mauriac. N'est-il pas un point où, sous les ailes du génie, la grande création romanesque, la vision prophétique du monde, une certaine manière de le percevoir sont poésie?



Poètes inattendus.



Chez Flaubert, chez Renan, nous trouverons dans des pages futures de beaux exemples de vers dans la prose; chez d'autres, nous aurons l'éclair de poésie inattendue- N'oublions pas que dans Racine et Shakespeare, Stendhal, en proclamant la nécessité d'une révolution poétique nationale indépendante des « rêvasseries » d'outre-Rhin, a apporté une pierre à l'édifice. Sainte-Beuve s'il semble refuser la prose poétique, qui n'est qu'« une extrémité de la prose », reprochant à Chateaubriand de transporter « le centre de la prose de Rome à Byzance, et quelquefois par-delà Byzance, de Rome à Antioche et à Laodicée » faisant dater de lui dans la prose « le style bas-empire », émettant là quelques bizarreries critiques, lorsqu'il écrit Volupté montre une ampleur lyrique :

... Un phosphore si rapide traverse, allume nos regards; de telles irradiations s'en échappent par étincelles, et pleuvent alentour sur les choses; dès que la voix du désir s'élève et à moins qu'une autre voix souveraine n'y coupe court, l'être entier frissonne d'un si magnétique mouvement, que, sur la foi de tant d'annonces, on ne peut croire que l'amour n'est pas là chez nous, prêt à suivre, avec son enthousiasme intarissable, les perfections toujours nouvelles dont il dispose...

Dans cette rubrique récréative de curiosités mêlées, on peut faire entrer Louis XVIII (1755-1824) sans ajouter « profession : roi de France », non pour sa Relation d'un voyage à Bruxelles et à Coblenti, 1823, ou '1 parle prosaïquement de ses mauvais dîners dans les hôtels, mais pour une romance, l'Homme et la femme comme il faut et comme il faudrait, mise en musique par Frantz Liouville :



Toute à la mode nouvelle,

A son mari parlant haut,

Éloignant ses enfants d'elle,

C'est la femme comme il faut.



Leur donnant, selon leur âge,

Et ses vertus et son lait.

Soumise, économe et sage :

Voilà comme il la faudrait. ou, en oubliant des vers de circonstance, la traduction d'une ode d'Horace dans le goût du XVIIIe :



Quand parjure à la loi de l'hospitalité,

Le berger phrygien sur l'orageuse plaine

Entraînait avec lui cette fière beauté,

L'orgueil de Sparte et de Mycène,

Des aquilons Nérée enchaînant la fureur...



Poète et voyageur, Antoni Dufriche (né en 1804) a intitulé Crescendo un « drame maritime en cinq actes et trente-cinq petits vers ». Du prologue à l'épilogue en passant par I. Calme plat, II. Petit frais, III. Bon frais, IV. Grand frais, V. Coup de cape, on va de la vie à la mort au fil de la navigation.

Lucien Berthereau (né en 1812), se prétend « poète humouris-tique » dans la Batrachomyomachie venue pour certains d'Homère, et renouvelée par lui :



Fourier prétend, je crois, que la lune a pâli.

Mais, hors Considérant, qui de nous le relit?



Il passe facilement d'Homère à Virgile :



Hameaux hospitaliers, doux pays de ma mère,

Dont je crois voir les mours en relisant Homère,

Vous ne vous plaindrez pas si vous m'avez nourri,

Que je parle de vous, quand je suis attendri.

Heureux vos paysans, qui mangent dans l'argile,

S'ils savaient leur bonheur!... Le reste est dans Virgile.



Camille Doucet (1812-1895) qui sera secrétaire perpétuel de l'Académie française, a un succès fou au théâtre. Voilà ce que donnait, par exemple, les Ennemis de la maison :



Croyez-moi! croyez-moi! Nous avons là, nous autres,

Au fond du cour, des yeux qui voient mieux que les vôtres.

Je ne suis, pour Nerval, encore qu'une enfant;

Mais il souffre... Sa sour le plaint... et le défend...

D'un ami, d'une mère, il maudit la présence...

Le danger qu'il redoute est ailleurs qu'il ne pense...



Quant à ses Poésies détachées, elles font penser à maints poèmes mnémotechniques :

Comme au premier Sophocle,

Eschyle triomphant, Lamartine à Ponsard avait dit :

« Bien, enfant! » Puis, voyant Marcellus mourir avant

Auguste, Lamartine trouva la mort deux fois injuste.



Il est vrai que dans les livres de colportage on trouve à l'époque de curieux alexandrins : Nouvelle arithmétique appliquée au commerce et à la marine mise en vers ou Nouvelle grammaire française mise en vers par L. Chavignaud.

Henri Dottin (né en 1816), de Beauvais, donne des Épîtres humoristiques :



Irons-nous demander à dame poésie

De ses adorateurs les succès et les noms?

Ah! pour parler de vers l'époque est mal choisie,

Car le soleil de l'art n'a guère de Memnons.



Le Breton Eugène Mathieu (né en 1821) fit ses études au lycée polymathique dirigé par Denizard-Hippolyte-Léon Rivail, connu plus tard sous le pseudonyme d'Allan Kardec (1803-1869), spirite. Il a parodié Fénelon en vers : Télémaque dans l'île de Calypso. Là, il a multiplié les tours de force. Voici comment Calypso reproche sa froideur au fils d'Ulysse :



Tu te tais, tant te tient ton tuteur tortueux,

Dans d'odieux dédains des doux dons d'un des dieux.



Quant à Paul Auguez, propagandiste du spiritisme comme Kardec, il a donné un recueil de Parfums et caprices, mais fut plus connu pour une idée originale : il s'agissait très sérieusement de donner un uniforme aux gens de lettres!

En son temps, Louis-Cincinnatus-Séverin-Léon Hussenot fut tenu pour fou. Il inventa, dans ses Provinciales, 1843, un « système de traduction inouïe sans points ni virgules ». Fou? Non, précurseur. Quant au dentiste Pical, pas fou du tout, dans les Dentistes peints par eux-mêmes, 1845, il apparaît comme un précurseur des « loisirs de la poste » chers à Mallarmé et comme un ingénieux publicitaire :



L'auteur demeure aussi, comme ses chers confrères,

Au premier, à deux pas de tous les ministères;

Dans le noble faubourg; l'omnibus y conduit;

Dirai-je, rue du Bac, numéro trente-huit?



Nous nous rapprochons du plus farfelu des utopistes, Paulin Gagne (1808-1876), de Mormoiron, esprit entreprenant qui rêva d'une langue universelle, la Gagne-Monopanglotte, composa des milliers "et des milliers de vers apocalyptiques : le Suicide, Martyre des rois, l'Océan des catastrophes, l'Empire universel, Voyage de Napoléon, l'Unitéide, le Calvaire des rois, le Supplice du mari, la Grévéide, « drame grévicide universel des grèves en cinq éclats », etc. Il fonda une société : la Philantropophagie. Pendant les disettes, ceux qui ne voudraient pas mourir offriraient un de leurs membres pour nourrir autrui. On en parla en 1870, ce qui fit écrire à Victor Hugo :



Je lègue au pays non pas ma cendre,

Mais mon beefsteack, morceau de roi!

Femmes, si vous mangez de moi,

Vous verrez comme je suis tendre.



Paulin Gagne a fondé des journaux comme l'Archisoleil, lefouma-lophage, l'Uniteur du monde visible et invisible, etc. Les vers de cet excentrique, que sa femme Élise Gagne aida beaucoup pour ses grandes compositions versifiées, sont d'une rare platitude. Aujourd'hui, les fervents de l'humour noir, les amateurs de curiosités, ceux qui cherchent une psychologie approfondie jusque dans les déviations de la pensée s'intéressent à celui qu'on peut prendre comme un ancêtre de Philibert Besson et de Ferdinand Lop ou comme un esprit original. Entre autres, André Blavier a fait d'intéressantes études au sujet de ce cas.

La Némésis de Barthélémy fut beaucoup imitée. Par Jean-Baptiste Bouché (né en 1815) avec le Scorpion politique, satire hebdomadaire en vers, les Scapins de la politique, épopée en 32 chants. Par Collin de Plancy (né en 1793), l'auteur du Dictionnaire infernal, avec un Chansonnier du chrétien, attaques rimées des philosophes. Par Des-tigny (mort en 1864) avec la Némésis incorruptible que ses lecteurs appellent « la Némésis illisible ». Par Gustave Naquet (né en 1819) avec sa Némésis normande, par la Némésis ouvrière, la Némésis médicale, etc. D'autres satiriques sont Eugène Yvert (né en 1794) avec notamment Ma Gazette, 1844, imité de la IX' Satire de Boileau ou Alphonse Karr (1808-1890) qui, dans les Guêpes manie volontiers l'alexandrin :



Je crois à la sagesse en riant des sophistes.

Je crois à la morale et crains les moralistes,

Je hais les raisonneurs, et crois à la raison;

Et, quand je vois la flamme envahir la maison.

Sans varier mes mots, en dépit des puristes,

Je crie : Au feu! au feu! au feu! accourez sus!

Sans me préoccuper de mes trois hiatus.



Et, pourquoi pas? Napoléon III (1808-1873) qui écrivit en 1833 une Épître en vers à Chateaubriand sur la duchesse de Berry. Il aimait les belles phrases : « Marchez à la tête des idées de votre siècle, ces idées vous soutiennent; marchez à leur suite, elles vous entraînent; marchez contre elles, elles vous renversent. » Et aussi Louis Ier de Bavière : après son abdication, il s'adonnera à la peinture et à la poésie, écrivant des poèmes français, notamment des strophes pour Lola Montés.



Sait-on qu'Auguste Comte (1798-1857) méditait un poème en vingt-quatre chants sur la philosophie positive? Il s'arrêta dès le premier vers : « Agir par affection, et penser pour agir » quand on lui fit remarquer que son alexandrin avait treize pieds. Son disciple, Emile Littré (1801-1881), avant de mettre l'Enfer de Dante en vieux langage français, 1879, avait écrit des poèmes comme la Terre qui témoignent d'un honnête savoir-faire :



Ô terre, mon pays, monde parmi les mondes,

Où mènes-tu tes champs, tes rochers et tes ondes,

Les bêtes, leurs forêts; les hommes, leurs cités?

Où vas-tu déroulant ton orbite rapide.



Sans repos dans le vide

Des cieux illimités?

Ah! c'est grandeur à moi, chétive intelligence,

De me dresser pour prendre à ton voyage immense

Une part toute pleine et d'extase et d'effroi;

Et sentant sous mon ciel l'abîme et son mystère,

Courir même carrière

Un moment avec toi.



Célèbres à d'autres titres sont aussi Adolphe-Laurent Joanne (1813-1881), l'auteur des Guides Diamant et des Géographies départementales, qui publia des poèmes, Fleurs des Alpes, 1852; le grammairien Prosper Poitevin (1804-1884) qui fit le poème Ali-Pacha et Vasiliki, 1833; son confrère Louis-Nicolas Bescherelle (1802-1884) qui fera sur le tard une épopée en douze chants, la Christéide, 1874; le romancier Paul de Kock (1794-1871) qui taquina la muse dans des Contes en vers; l'historien des Chouans, Jacques Crétineau-Joly (1803-1875) qui écrivit Chants romains, 1823, et Inspirations poétiques, 1829. Tous avaient mieux à faire...



Deux remarquables contemporains.



André Neher a fait le portrait d'Alexandre Weill (1811-1899) qui a sa place ici non seulement comme poète, mais pour avoir eu une influence « parfois souterraine, mais toujours très forte » sur Henri Heine, Gérard de Nerval, Victor Hugo, la pensée religieuse de ce dernier lui devant beaucoup : « Journaliste, publiciste, conteur, romancier, poète, philosophe, occultiste, utopiste, fondateur d'un monde nouveau dont il était à la fois le mage et le seul citoyen, cet homme extraordinaire a vécu dix vies, a touché à tout et, il faut bien le dire, a gâché simultanément ses vies et ses ouvres. » Dans son ouvre juive, on distingue surtout la partie narrative et folklorique. André Neher nous dit : « Cette dernière est d'autant plus importante dans l'histoire de la littérature française, qu'Alexandre Weill prétendait être l'inventeur du genre rustique et avoir été le premier auteur français à composer des idylles romancées... », ce qui paraîtra bien curieux, et Neher poursuit : « Il a rédigé en effet une Petite Fadette avant George Sand, un Ami Fritz avant Erckmann-Chatrian, mais que n'a-t-il pas rédigé? » Des nouvelles, comme Couronne ou Émeraude, sont de bonne qualité et marquées par des influences allemandes. Son recueil de vers, Amour et blasphèmes, publié à Bruxelles en 1862, fut interdit en France. Il a traduit de l'hébreu les Mystères de la création, 1852, écrit un drame en vers, Une Madeleine, 1853, une étude sur Schiller, 1854, et une masse de livres d'actualité, de polémique, de religion. Neher affirme : « S'il fallait lui chercher un pair dans les lettres romantiques, c'est à Jean-Paul que l'on penserait, et ce n'est pas amoindrir le mérite littéraire d'Alexandre Weill que d'affirmer que son ouvre peut soutenir la comparaison avec l'exubérant antipode de Goethe. » Il reste à découvrir.

Amédée Pommier (1804-1877), Lyonnais, poète, critique, latiniste, érudit, est tantôt classique, tantôt d'un romantisme effréné, forcené, à la recherche d'images frappantes et d'expressions exagérées, disant lui-même :



... Pour rendre mon vers plus sonore et plus riche,

Il n'est d'expression que ma main ne déniche.



Dans ses Colères, 1834, où il est satirique à la manière de Barthélémy, dans la République ou le livre du sang, dans Paris, dans l'Enfer surtout, il va d'extravagances en extravagances sans parvenir à rejoindre la grande poésie. Voilà que dans le Voyageur, poème géographique, il se met à nommer :



J'aime de mon pays tous les fleuves, en somme,

Somme, Charente, Meurthe, Allier

Rhône qui n'est pas doux,

Doubs;

J'aime l'Eure, l'Escaut, la Sarthe, la Villaine,

L'Aisne, Le Furens, fils des monts qui sont ton boulevard,

Var!



Il s'est exercé dans le genre monosyllabique, a écrit une Ode à la rime pour se saluer lui-même :



J'en décore mes ballades,

J'en compose mes roulades,

Je dispose en enfilades

Leur assortiment coquet.



En longs colliers je les noue,

Je leur dis : Faites la roue.

Avec elles je me joue

Comme avec un bilboquet.



A défaut de mirliton... Théophile Gautier aurait pu le prendre comme un Grotesque, mais l'Enfer l'a impressionné d'une certaine façon : « L'auteur trouvant qu'on spiritualisait un peu trop l'enfer, l'a épaissi, comme disait Moe de Sévigné à propos de la religion, par quelques bons supplices matériels, tels que chaudières bouillantes, jets de plomb fondu, cuillerées de poix liquide, lits de fer rougis, coups de fourches et de lanières à pointe, introduisant les diableries de Callot dans les Cercles du Dante. » Il a même inventé un supplice, celui du tête-à-tête avec un être détesté :



L'éternité du tète-à-tète

Ne pouvait manquer à l'enfer!



Dans la Liberté, les Choses du temps, il trouve des saillies, donnant ce conseil aux académiciens :



Instituez des prix pour les hommes de bien

Qui se tiennent en paix et qui n'écrivent rien. mais il est lui-même souvent couronné aux grands concours, par exemple avec la Découverte de la vapeur, comme Laprade. Il aime les néologismes à l'école de Du Bartas tels que le flot rumoreux, extuant, les rocs jluctisonnants, les fleurs immarescibles, qu'on trouve dans ses Océanides. Il aime saluer la phalange féminine :



Honneur à vous aussi, phalange féminine,

Salm, Desbordes, Tastu, Collet, Denoix, Delphine,

Robert, Moreau, Guinard, Mollard, Waldor, Favier,

Lesguillon, Ségalas, vous que peut envier

Le tendre rossignol, qui, caché sous l'ombrage,

De sa plainte nocturne enchante le bocage!



Comme « le prosaïsme gagne », il jette ainsi un Appel aux femmes poètes. Il aime scruter le fond des océans :



Oh! qui me donnera d'assez bons yeux pour voir

Tout ce que l'Océan cache en son gouffre noir;

Pour trouver les talents, les vertus que le monde

Retient ensevelis dans une nuit profonde?



Mais « les métaux inconnus, les perles de la mer », ce n'est pas dans ses Océanides qu'on les trouvera. Ce poète en partie double, ronronnant ou exalté, tint une place en son temps.



Lacenaire, assassin et poète.

Alors que le fameux assassin qu'a popularisé le film de Marcel Carné, les Enfants du paradis, Pierre-François Lacenaire (1800-1836) était déjà condamné a être exécuté, il suscita une vive curiosité chez les contemporains. Il avait une réputation de poète et d'écrivain qui fit se déplacer pour le visiter nombre de ses illustres confrères en écriture. Hégésippe Moreau, ému par un tel engouement, composa même une satire :

Ah! sur tes échos sourds la lyre est sans pouvoir! Il faut des condammés à mort pour t'émouvoir, Paris! Eh bien! écoute...

Après la mort de Lacenaire, on imprima ses Mémoires, ses poèmes, sa correspondance, son drame, l'Aigle de la Sélléide. De son vivant, on avait imprimé dans les journaux une pièce de vers Insomnie d'un condamné, mais Lacenaire réclama contre cette attribution. On peut tenir pour vrais les vers composés la veille de son exécution et qui se terminent ainsi :

Dieu..., le néant..., notre âme..., la nature.... C'est un secret...; je le saurai demain.

On peut citer encore le poème Dans la lunette :



Quand vient le moment, lorsque la tête roule

Sous le choc du pesant couteau,

Il ne reste plus rien pour amuser la foule

Que le coup d'ceil au tombereau

Et quelque peu de sang qui lentement s'écoule;



Tout est fini, chacun se lait et part,

Hors une voix qui répète : « A Clamart! »

Plus curieux est ce poème en argot :



Pègres traqueurs qui voulez tous du fade,

Prêtez l'esgourde à mon dur boniment.

Vous commencez par tirer en valade,

Puis au grand truc vous marchez en tafant.

Le pante aboule,

On perd la boule.

Puis de la toile on se crampe en rompant,

On vous roussine,

Et puis la une Vient remoucher la butte en rigolant.



« Qu'on y consente ou non, dit Victor Hugo, l'argot a sa syntaxe et sa poésie. C'est une langue. Si, à la difformité de certains vocables, on reconnaît qu'elle a été mâchée par Mandrin, à la splendeur de certaines métonymies on reconnaît que Villon l'a parlée. »



Gavarni le Protée.



Celui dont parlent tant les Goncourt dans leur Journal, celui que cite Baudelaire dans ses poèmes, Guillaume Chevalier, dit Gavarni (1804-1866) fit des vers pour prouver qu'il était aussi capable d'en faire. Avant de prendre le nom de la célèbre chute à la suite de l'erreur d'un graveur qui avait pris le nom du lieu pour celui de l'artiste, il avait gravé des plans pour les Ponts et Chaussées, du pont de Bordeaux à de nombreuses machines. A force de fréquenter des littérateurs, il put dire : « Moi aussi je sais faire des romans! » et ce fut une nouvelle, Madame Acker, dont Sainte-Beuve fit grand cas. Même affirmation pour les poèmes et cela donne la Pie de la prison :



Du grain qu'ils ont semé laissez la Heur éclore

Allez, Margot, la loi leur a permis des fleurs.

Eh quoi! méchant oiseau, vous revenez encore

De ce triste jardin becqueter les primeurs.



N'en privez pas, au moins, leurs jours que rien n'abrège;

Les ans laissent ici de bien longues saisons,

Margot! et de l'hiver ils n'ont eu que la neige;

N'allez pas au printemps leur ôter les bourgeons;



Et qu'au moins du soleil un bouquet les console;

Demain, le savez-vous, ils attendraient en vain

Ce printemps qu'aujourd'hui votre audace leur vole.

Margot! les prisonniers vous donnent de leur pain.



C'est la faim d'être libre. Un oiseau mord sa cage;

Vous vouliez à la vôtre attacher ce rameau,

Souvenir des jardins dont vous aimiez l'ombrage,

Amis, et vous coupez les ailes d'un oiseau. ou encore A Louise, joliment romantique :



Nous aurons sous nos pas des fleurs à chaque aurore.



Oui, mon âme, à demain! Mais dans ces fleurs d'hier laissez-moi voir encore

Où passait mon chemin. et qui se- termine ainsi :

Doux fantôme! à le voir si brillant et si frêle,

En son vol arrêté,

On dirait qu'aux feuillets il s'est pris par une aile

Un phalène argenté.



Gavarni étonnera encore, non seulement par son art, mais par ses connaissances mathématiques. Quand Joseph Bertrand déposa sur le bureau de l'Académie des sciences la solution d'un problème : « la généralisation de la série des sinus en fonction de l'arc », on fut bien étonné en entendant le nom du savant : Gavarni, peintre, dessinateur, inventeur, mathématicien, romancier et poète.

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