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Ramon Fernandez






Il est difficile de trouver contraste plus grand que celui qui existe entre Charles Du Bos et Ramon Fernandez. Du Bos, dès ses débuts, se sent dépendre d'une activité spirituelle donatrice d'être. Si, pendant une assez longue partie de sa jeunesse, il est forcé d'attendre ce secours, à partir du moment où celui-ci lui est donné par ce qui n'est rien d'autre qu'une véritable grâce inspiratrice, il en tire le maximum de secours et de réconfort. Bref, dès le moment où il se met à penser, il est en contact avec une activité bienfaisante qui raffermit sa propre personne. Mais comment pourrait-il en être de même avec Ramon Fernande2 ? Mexicain arraché très tôt à son pays natal, transporté dans une Europe pour lui inconnue, n'ayant pas à ses débuts la faculté de trouver appui dans un monde avec lequel il est naturellement sans attache, Fernandez commence par ne pas avoir de personnalité définie ni de caractéristiques déterminées. Mentalement il se sent impersonnel : « Nouvellement agrégé à l'Europe, écrit-il, après les rêves planétaires de l'enfance, je réapparaissais à moi-même comme un personnage pâlissant et fuyant, perdant sans cesse ses contours. »



Si Fernandez donc commence par « perdre ses contours », c'est que rien dans son entourage ne lui permet de les arrêter et de les affermir. Il y a chez cet homme qui écrira un jour un livre sur la personnalité, un manque initial de personnalité qu'il reconnaît dès sa jeunesse. Il se découvre une passivité sans contrepoids qui l'afflige et qui lui fait honte. Une idée alors se précise peu à peu en lui, celle d'acquérir par un effort propre ce dont il constate en lui l'absence. D'où la sévérité avec laquelle il est disposé à juger ceux qui ne font pas cet effort. C'est le cas en particulier pour Proust, coupable, selon lui, d'en être resté à l'état premier, passif, de l'expérience sensible : « Proust, écrit-il dans Messages, a souffert d'une impuissance à prendre conscience de la vie autrement que dans des conditions de réceptivité purement passives. » Et ailleurs : « Proust nous décrit seulement ce qui arrive à l'individu lorsqu'il se détend complètement et devient le jouet passif des forces qui le traversent sans le consolider. » La passivité est donc condamnable. Le fait qu'elle se présente comme le meilleur état possible à un être qui voudrait se borner à dépendre exclusivement de ce qui lui est donné d'éprouver ne constitue pas pour Fernandez une excuse valable. Fernandez ne pardonne pas à Proust de se faire l'esclave docile d'impressions multiples et successives, qui finalement, en raison de leur nombre et de leur apparente équivalence, ne se distinguent plus les unes des autres et constituent ce que Du Bos appelle une « multiplicité étalée ». Au fond, le reproche essentiel que Fernandez fait à Proust, c'est de se mettre dans une situation où il devient possible de recevoir mille impressions, et impossible d'en garder aucune : « Proust, remarque-t-il, reçoit mais ne garde pas, ou plutôt il garde d'une manière très particulière, et il serait peut-être plus exact de dire qu'il est gardé par l'objet de son impression. » Ce qui choque donc Fernandez, c'est que Proust (comme Du BoS) accepte de dépendre entièrement de l'impression primitive. Lui, voudrait au contraire qu'à l'activité de l'expérience donnée, l'esprit oppose ou superpose son activité propre : « Je crois, écrit-il, en la nécessité d'une intense concentration si nous voulons vraiment atteindre notre être qui ne nous est pas donné, que nous devons gagner à la sueur de notre front. »

On ne saurait parler plus explicitement, ni se situer plus nettement dans une position plus contraire à celle de Du Bos. Pour ce dernier, notre être profond nous est donné, c'est-à-dire nous est procuré par l'entremise d'autrui. Pour Fernande2, il est obtenu par nous-mêmes. En d'autres termes, loin d'être formés par l'action d'autrui, nous parvenons par notre activité exclusive à nous donner une personnalité qui ne provient de personne d'autre que de nous.



Nous y parvenons, et cela, non d'emblée, instantanément, mais en raison d'un effort soutenu qui se dispose sur un temps plus ou moins long. Là encore éclate une grande différence avec Du Bos. Pour ce dernier, le don de l'être, nous étant divinement conféré et nous faisant dépositaires d'un temps nouveau, d'une nouvelle façon de vivre, constitue un authentique point de départ. Je nais à l'instant où m'est donnée la vie. Mais il n'en va pas de même pour Fernandez. Si, selon celui-ci, nous parvenons finalement à nous donner une existence authen-tiquement personnelle, ce ne peut être d'emblée, mais à la suite d'une concentration volontaire de nos forces. Il s'agit de « réaliser une unité qui n'existe pas au départ ». Au départ, il y a tout simplement la pluralité anarchique des expériences sensibles. Au point d'arrivée, au contraire, il y a une unité conférée par le sujet lui-même au complexe de sensations qui avait été l'état dans lequel il avait commencé à exister. Entre ces deux états toute une durée s'insère, tout un long développement temporel poursuivi par l'effort unificateur. Du moi multiple du début au moi unifié et volontaire de la fin, un progrès a lieu et une opposition se marque; opposition, dit Fernandez, « que l'ana

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