REGARDEZ, PAR EXEMPLE, HARPO MARX... - André Delons

Regardez, par exemple, Harpo Marx. Cet acteur déjà légendaire est sans doute celui qui aura poussé le plus loin la folie comique à l'écran. D'abord il est muet et le demeure obstinément, bien que personne ne doute qu'il ait une langue. On croit toujours qu'à la prochaine occasion il parlera. Mais il reste muet comme Buster Keaton reste impassible, par vocation et par entêtement. Ce mutisme enrage le spectateur d'autant plus que ses partenaires, eux, ne s'en soucient guère et semblent le trouver parfaitement naturel. C'est un démiurge; il a l'aspect d'un «pierrot lunaire» qui serait atteint d'optimisme suraigu.



Sa béatitude est à toute épreuve. Il ne subsiste que par l'invention et l'application perpétuelle de trucs qui ne réussissent ou ne ratent qu'aux dépens des autres. Un «procédiste» ne manqueraient pas de dire, comme ils disent, certains psychiatres officiels. Plus exactement c'est un malin. Et comment pourrait-on jamais définir quelle folie est la sienne, il possède à peu près toutes les ficelles de cette science. C'est un maniaque de l'idée fixe, mais ses idées fixes changent toutes les cinq minutes, au hasard des événements. C'est aussi un satyre, un crédule, un brouilleur de piste, un incendiaire, un grand roi, un exhibitionniste, un charlatan, un mime, un rêveur éveillé (éveillé, oh, combien !), un musicien qui ne plaisante pas sur le chapitre de la Harpe, un équilibriste, un contorsionniste, un grossier personnage, un simulateur, un idiot et un monsieur. Vous voyez un peu le diagnostic ?



Enfin si jamais l'expression « faire flèche de tout bois» a un sens, c'est à Harpo Marx qu'elle convient et c'est lui qu'elle désigne comme l'un des plus authentiques héros du rire dévastateur et de la folie contagieuse.