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SAINT JEAN DE LA CROIX






Ce qui distingue saint Jean de La Croix de ses grands prédécesseurs, les mystiques du XIVe siècle, c'est que le point de départ de sa pensée n'est pas, comme chez eux, la révélation d'un Dieu appréhendé directement dans sa ténèbre profonde, mais l'âme elle-même se saisissant dans l'infini éloignement où elle se trouve située vis-à-vis de celui qu'elle aurait voulu passionnément approcher. Cette âme, la voici, se découvrant au premier plan de la pensée, sujet immédiat et, pour un instant, exclusif, d'une expérience rigoureusement négative; expérience qui risque d'ailleurs de ne rien accomplir, puisqu'elle n'aboutit nullement chez celui qui la vit à le rapprocher de la divinité. Le sentiment éprouvé alors n'est d'aucune façon celui d'un progrès, d'une espérance, la perception d'une promesse d'union. C'en est exactement l'inverse. Le Dieu désiré est un Dieu qui s'éloigne, qui se retire, et cela infiniment. D'ailleurs tout se retire, tout laisse l'âme désertée dans un abandon peut-être irréparable. Le point de départ est donc dans ce cas le contraire même du mouvement positif par lequel l'âme voudrait se mettre en route vers le bien auquel elle aspire II n'y a pas de mouvement, il n'y a qu'une angoisse statique éprouvée par celui qui découvre toutes les forces actives qui animaient son existence, entraînées dans le même mouvement de retrait que la Divinité elle-même, et par conséquent se détachant de lui. Il y a là un phénomène de dépouillement forcé de soi-même, qu'il faut endurer sans compensation. L'être qui s'en trouve le sujet, se voit soumis à une sorte de désertion par ce qu'il y avait de meilleur en lui-même. Privé de tout, même de soi, il se sent incapable de compenser par l'effort de sa pensée cet exode.



Le vide dont il s'agit ici n'est donc pas un phénomène superficiel. Il ne se limite pas à la disparition de quelques formes. Son action anéantissante est sans limite. Le néant mental qu'elle établit est total. Il abolit toute forme, mais aussi tout principe, toute positivité, toute lumière, et même tout souvenir de la lumière. Plus rien ne reste, sinon l'âme elle-même, vidée de son contenu.



Il serait donc difficile de concevoir une intériorité humaine plus complètement dépouillée de ce qui la meublait. Rien n'en subsiste, pas même, et peut-être surtout, le pouvoir qu'avait la pensée de s'associer aux mille choses particulières dont elle se trouvait entourée, et qui lui permettaient ainsi de distinguer partout en elle et autour d'elle une multitude de formes reconnaissables, s'appuyant en quelque sorte les unes sur les autres et gardant cependant chacune leurs caractéristiques particulières. Une altération étrange se produit dans ce monde devenu nocturne, où les objets perdent leurs contours. De la réalité positive qui étalait devant l'âme ses mille aspects, plus un détail précis ne demeure, une unification illimitée se fait par le truchement de la nuit. Aucune forme déterminée ne saurait, dans cette « nuit de l'âme », résister à l'universel nivellement. La réduction à rien, qui est la conséquence la plus grave de la nuit de l'âme chez saint Jean de La Croix, est le comble même de l'indétermination, poussée à l'extrême.

Mais qu'est-ce que ce rien ? Comment le définir ? Est-il même définissable ? L'indétermination est ici si proche de la nullité absolue qu'il semble impossible de concevoir dans cette nuit qui est absence absolue de formes, une présence quelconque, un sujet. Et pourtant c'est bien ce qui semble avoir lieu. Une pensée existe ou subsiste encore dans l'absence de tout le reste, une pensée qui continue de se percevoir dans la nuit et dans les conditions imposées par la nuit : conditions universellement négatives, absence de Dieu, absence du monde, absence des choses, absence même de tout sentiment de la personnalité propre dont on jouissait. La nuit de l'âme chez saint Jean de La Croix n'a pas d'analogue. L'indétermination qui la constitue est totale. Aucun objet positif n'y peut subsister. Ainsi le sujet qui l'endure est confronté avec le rien. Il est un sujet sans objet, un sujet pur.



On pourrait imaginer un sujet pur sous une autre apparence. Ou plutôt, comme nous sommes ici dans un lieu où il n'y a plus d'apparences, on pourrait concevoir un sujet qui aurait pour propriété positive l'inverse, une totale suffisance, c'est-à-dire la certitude de n'avoir besoin d'aucune complétion, de posséder en soi-même sa propre plénitude. On ne saurait imaginer une subjectivité plus directement contraire à celle de saint Jean de La Croix. La subjectivité qui est la sienne est essentiellement celle d'un manque, et ribn d'une plénitude. La nuit de l'âme qui l'affecte est l'extrême d'une privation. Privation de Dieu, privation du monde, privation de soi, puisque la nuit de l'âme ne peut tolérer en l'âme quelque moi déterminé. Or, toute privation est une souffrance. Souffrance ici sans limite, puisqu'elle ne se borne pas à la conscience douloureuse de quelque absence particulière. Tout est perçu comme absent, c'est-à-dire comme refusé à celui qui le pense; et refusé même de façon si définitive qu'il se voit interdit même de concevoir ce qui lui est refusé. Il n'y a pas de tourment plus intolérable que celui de l'être qui ne peut même plus imaginer ce dont pourtant, au plus haut degré, il sent le manque. C'est le tourment de ceux qui poussent jusqu'à l'extrême limite les exigences de la pensée indéterminée. L'indétermination maximum peut et doit se représenter comme l'impossibilité d'accéder jamais à la possession de ce qu'on ne peut même pas concevoir. Il y a là quelque chose de ce que sera la « conscience malheureuse » de Hegel. Telle est la conscience de celui qui, dans la nuit de l'âme, est privé de la présence de Dieu. Privation extrême, et, par conséquent, privation extatique. C'est justement parce que la privation de Dieu est la plus insupportable de toutes les privations qu'elle aboutit à une extase. La privation est une exacerbation. L'être qui est privé de ce qui lui est le plus essentiel, et même de la connaissance de ce dont il est ainsi privé, devient le sujet d'une privation infinie puisqu'il ne peut lui donner aucune forme. Il ne sait plus ce qui lui manque. Il ne sait qui il est, où il est, ni ce qu'il fait. Il est dans une ignorance universelle, il est sans temps, sans lieu, sans lumière, il est dans la nuit. Il est la nuit. C'est à ce point extrême peut-être que Dieu se rencontre. Non plus sous quelque forme déterminée mais dans son indétermination fondamentale : le Dieu sans forme, le Dieu caché dans la nuit de l'être, des grands mystiques germaniques qu'ici Jean de La Croix rejoint.



SAINT JEAN DE LA CROIX : TEXTES



L'âme doit se dépouiller de toutes ces connaissances et imaginations, travailler même à en perdre le souvenir, de telle sorte qu'elle n'en garde aucune impression ni aucune trace et soit dans le dénuement absolu... La mémoire ne peut faire moins que de s'annihiler par rapport à toutes ces formes, si elle doit s'unir à Dieu... Dieu, en effet, n'est pas renfermé dans quelque forme ou représentation distincte... Il n'a ni forme ni image qui puissent être comprises par la mémoire; il s'ensuit donc que quand l'âme est unie à Dieu, comme le prouve l'expérience de chaque jour, elle est comme si elle n'avait ni forme ni figure... La divine union opère le vide dans l'imagination qu'elle purifie de toutes les formes et connaissances pour l'élever à un état surnaturel.

(Montée du Carmel, liv. TTT, chap. I, « Ouvres », P. G. de Saint-Joseph, p. 306-311.)



Selon l'expression de H. Delacroix, dans la nuit obscure, Dieu est donné absent... C'est un absolu de dénuement, et un infini de privation. La voie purgative, quand elle requiert la mort totale de l'esprit, est pire qu'un purgatoire.

(Cl. Estève, L'expérience et la poésie mystiques, Rev.pbil., juillet 1931.)

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