Essais littéraire |
La mentalité rudimentaire, la psychologie primitive de Grandet, axées sur la possession et l'accumulation de(S) biens terrestres (terres, métairieS) ne sont dominées, tout au long du roman, que par sa passion pour l'argent liquide, pour l'or. L'argent, unique raison d'être, de vivre, de cet usurier enrichi par des spéculations de toute(S) sorte(S), est la véritable idole, la véritable passion de sa vie (la passion qui dévore sa viE). C'est à lui, l'argent, c'est à cette passion dévorante qu'il sacrifie jusqu'au bonheur de sa fille unique. C'est cette passion qui cause la mort de sa femme, suite inévitable des punitions infligées à Eugénie après le départ de son cousin Charles. C'est l'argent qui focalise toutes ses énergies, c'est lui qui réchauffe son cour aux derniers jours de sa vie, quand, vieux et paralysé, incapable de se déplacer, il attend la mort à sa façon: en regardant le métal jaune qui. plus que le soleil, a réchauffé toute sa vie. « - Veille à l'or!... mets de l'or devant moi! Eugénie lui étendait des louis sur une table et il demeurait des heures entières les yeux attachés sur les louis, comme un enfant qui, au moment où il commence à voir, contemple stupidement le même objet: et, comme à un enfant, il lui échappait un sourire pénible. - Ça me réchauffe! disait-il quelquefois en laissant paraître sur sa figure une expression de béatitude. » Son dernier geste d'avare, manifestation de cet amour de l'or, sera la cause immédiate de sa mort. Malgré son art réaliste, l'ironie de Balzac, en décrivant les derniers moments de son héros, est visible, mais le portrait du personnage est brossé de main de maître. Pour parachever ce portrait de l'avare, nous citerons un vers de La Fontaine qui s'applique parfaitement au personnage de Balzac: « [...] Ne possédait pas l'or, mais l'or le possédait » (FABLES, L'Avare qui a perdu son trésoR). En présence de sa fille et du notaire Cruchot, Grandet traverse, sans aucun doute, les moments les plus durs, les plus pénibles de sa vie: non pas à cause de la perte de sa femme '. mais à cause de la peur de perdre la part d'héritage maternel qui, selon la loi, revient/reviendrait à Eugénie. En proie à des émotions violentes, en s'essuyant les gouttes de sueur venues sur son front, obsédé par son désir de conclure «une bonne affaire», car pour lui «la vie est une affaire», cette affaire, il la conclura. Il dépouillera sa fille, grâce à un subterfuge. Malgré l'avertissement du notaire, la jeune Eugénie, dépourvue d'expérience dans les combats durs de la vie, fatiguée et triste, est prête à signer n'importe quel acte, n'importe quel papier, uniquement pour jouir d'un peu de calme après la disparition de sa mère. La "philosophie" du père Grandet se réduit à ces quelques mots que nous nous efforcerons de résumer de notre mieux: «Tout est affaire dans cette vie»; la chose la plus importante pour lui est de conclure la meilleure affaire, même si, pour réaliser cela, il doit ruiner sa propre fille. Chez lui tout: mouvements, gestes, pensées, expressions, tout est orienté dans une seule direction, canalisé par une seule obsession: l'accumulation de l'or, des biens terrestres. Le(S) sentiment(S) paternel(S), cet instinct si naturel à tout autre père, n'existe(nT) pas pour ce personnage qu'on pourrait taxer d'échantillon de l'avarice et du cynisme de l'homme. Dans la vaste galerie des avares du monde de la littérature, à côté de Harpagon (le célèbre personnage de MolièrE), Félix Grandet occupe une place à part. Balzac mentionne d'ailleurs que «quatre phrases exactes autant que des formules algébriques lui servaient habituellement à embrasser, à résoudre toutes les difficultés de la vie et du commerce: Je ne sais pas, je ne puis pas, je ne veux pas, nous verrons cela. Il ne disait jamais ni oui ni non et n'écrivait point.» Rusé et prudent, Grandet dirige ses affaires en véritable spécialiste de l'argent. Mais à la maison, sa famille souffre de froid et de faim, car le vieillard mesure, avec une parcimonie extrême, tout: le pain quotidien, le beurre, le bois, les bougies, etc. Même après la mort de son père, Eugénie ne pourra plus jamais adopter, ni s'adapter à un mode de vie (un modus vivendI) plus "normal". Les habitudes qu'elle avait contractées pendant les longues années, quand, surveillée par son père, elle était obligée de faire des économies extraordinaires, en évitant les dépenses "excessives", ne la quittent plus. Elle vivra modestement, tout en destinant à ses ouvres charitables l'énorme héritage du père Grandet. Par un juste retournement des choses, l'argent pris (volé) aux hommes, leur reviendra sous une autre forme. |
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