Essais littéraire |
Pour Villiers, disciple, mais disciple hétérodoxe, de Hegel, la grande préoccupation de notre pensée est de se ramener à son état de pureté originelle, lorsqu'elle n'était encore que virtuelle, c'est-à-dire latente, mais prête à user de toute sa force, intacte, non encore obscurcie ou étouffée par les applications qui en auraient été faites par la suite. C'est en se dégageant de l'actuel qu'on pourra recouvrer chaque fois le caractère initial de l'Idée, et revenir ainsi à cet état spirituel primitif, plus hypothétique peut-être que réel, mais merveilleusement fécond, qui, pour Villiers, se trouverait être le foyer primitif de l'Idée, pour ensuite, il est vrai, au cours des temps, par corruption ou épuisement, s'avérer dénaturée. Il n'y a donc pas d'autre moyen pour lui restituer toute sa force que d'adopter une démarche proprement négative, qui, par un mouvement rétrograde d'abord, par l'initiation à de nouvelles actions ensuite, lui rendrait sa vitalité affaiblie. L'acte premier de l'esprit doit donc être pour Villiers un acte de rejet, de désactualisation. La pensée rajeunie doit se retrouver capable de puiser de nouveau dans son capital de force. Chaque existence nouvelle implique donc nécessairement un mouvement opérant à rebours, la renonciation à une actualité épuisée, le remplacement de celle-ci par une actualité nouvelle qui aurait pour condition la ressuscitation d'un passé profond. L'idée s'affirme d'abord, puis elle se nie, et en se niant, elle se libère, et atteint une représentation plus pure d'elle-même. Cette libération est donc comparable à une sorte de mort temporaire. La mort, c'est-à-dire le rejet et la destruction de l'actualité révolue, est la « négation » indispensable, par laquelle il faut passer pour que l'Idée puisse se détacher des pensées figées ou épuisées, et s'élever à un niveau supérieur, qui est celui où règne l'Esprit. L'être qui s'élève jusqu'à ce niveau devient impersonnel. En se débarrassant de ses préoccupations habituelles, il se dépersonnalise. Grâce à cette dépersonnalisation, il rompt avec la routine de son existence, et retourne à l'état primitif, celui où, dans le silence, la liberté retrouvée de la pensée, l'Idée s'étant niée, il se retrouve tel qu'il avait commencé d'être. Quelle que soit donc la nature exacte de cet état primitif retrouvé, c'est par la voie négative seule qu'il est possible de l'atteindre. D'où chez celui qui la pratique, la volonté d'anéantir tout ce que sa pensée a pu avoir d'étroitement actuel. « L'Idée, dit Villiers, reprenant Hegel, ne croît qu'en se retrouvant en sa négation. » Le thème de la négation joue donc ici un rôle particulièrement important. C'est de lui que dépend tout développement, tout renouvellement. Il n'est pas seulement une étape transitoire : il est le pouvoir propulseur par lequel une nouvelle actualité a chance de sortir de l'ancienne. C'est d'une suppression que sort une affirmation. D'où, chez Villiers, un mouvement répété, de reprises et d'élans, de ré-émergence à partir d'un vide. Le vide est donc un vide fécond. L'indétermination prend un caractère essentiellement dynamique. Pour parvenir à l'être, c'est-à-dire à une détermination nouvelle, il s'agit de retrouver toujours toute sa force créatrice. Or celle-ci dépend toujours d'une élimination des forces usées. Il faut donc retourner à l'indéterminé, à la nouveauté. Le néant est toujours neuf. VILLIERS DE L'ISLE-ADAM: TEXTES Le Néant : Mais c'est chose si utile que Dieu lui-même ne dédaigne pas d'y recourir pour en tirer le monde... Nous ne sommes qu'un « n'étant plus » perpétuel. L'idée se nie elle-même pour se prouver son être... Elle ne croît qu'en se retrouvant en sa négation. La Mort, c'est l'Impersonnel... Ce que nous appelons la Mort n'est en effet que le moyen terme, ou, si vous préférez, la négation nécessaire, posée par l'Idée pour se développer jusqu'à l'Esprit, à travers la Pensée. Hegel, en son prodigieux processus antinomique, a démontré qu'en l'idée pure de l'Etre, la différence entre celui-ci et le pur Néant n'était qu'une simple opinion. Hegel..., je l'ai étudié pendant de longues nuits... (lettre à Mallarmé.) |
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