Francis Ponge |
P. ne veut pas que l'auteur sorte de son livre pour aller voir comment ça fait du dehors. Mais à quel moment sort-on? Faut-il écrire tout ce qui est pensé à propos d'un sujet? Ne sort-on pas déjà en faisant autre chose à propos de ce sujet que de l'écriture automatique? Veut-il dire que l'auteur doive rester à l'intérieur et déduire la réalité de la réalité? Découvrir en fouillant, en piquant aux murs de la caverne? Enfin que le livre, au contraire de la statue qu'on dégage du marbre, est une chambre que l'on ouvre dans le roc, en restant à l'intérieur? Mais le livre alors est-il la chambre ou les matériaux rejetés? Et d'ailleurs n'a-t-on pas vidé la chambre comme l'on aurait dégagé la statue, selon son goût, qui est tout extérieur, venu du dehors et de mille influences? Non, il n'y a aucune dissociation possible de la personnalité créatrice et de la personnalité critique. Même si je dis tout ce qui me passe par la tête, cela a été travaillé en moi par toutes sortes d'influences extérieures : une vraie routine. Cette identité de l'esprit créateur et du critique se prouve encore par l'« anch'io son' pittore » : c'est devant l'ouvre d'un autre, donc comme critique, que l'on s'est reconnu créateur. * Le plus intelligent me paraît être de revoir sa biographie, et corriger en accusant certains traits et généralisant. En somme noter certaines associations d'idées (et cela ne se peut parfaitement que sur soi-même) puis corriger cela, très peu, en donnant le titre, en faussant légèrement l'ensemble : voilà l'art. Dont l'éternité ne résulte que de l'indifférence. Et tout cela ne vaut pas seulement pour le roman, mais pour toutes les sortes possibles d'écrits, pour tous les genres. * Le poète ne doit jamais proposer une pensée mais un objet, c'est-à-dire que même à la pensée il doit faire prendre une pose d'objet. Le poème est un objet de jouissance proposé à l'homme, fait et posé spécialement pour lui. Cette intention ne doit pas faillir au poète. C'est la pierre de touche du critique. Il y a des règles de plaire, une éternité du goût, à cause des catégories de l'esprit humain. J'entends donc les plus générales des règles, et c'est à aristote que je pense. Certes quant à la métaphysique, et quant à la morale, je lui préfère, on le sait, pyrrhon ou Montaigne , mais on a vu que je place l'esthétique à un autre niveau, et que tout en pratiquant les arts je pourrais dire par faiblesse ou par vice, j'y reconnais seulement des règles empiriques, comme une thérapeutique de l'intoxication. |
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Francis Ponge (1899 - 1988) |
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