François de Vigny |
CHUTE D'où venez-vous, Pudeur, noble crainte, ô Mystère Qu'au temps de son enfance a vu naître la terre, Fleur de ses premiers jours qui germez parmi nous, Rose du Paradis ! Pudeur, d'où venez-vous ? Vous pouvez seule encor remplacer l'innocence, Mais l'arbre défendu vous a donné naissance; Au charme des vertus votre charme est égal, Mais vous êtes aussi le premier pas du mal; D'un chaste vêtement votre sein se décore, Eve avant le serpent n'en avait pas encore; Et si le voile pur orne votre maintien, C'est un voile toujours, et le crime a le sien; Tout vous trouble, un regard blesse votre paupière, Mais l'enfant ne craint rien, et cherche la lumière. Sous ce pouvoir nouveau, la Vierge fléchissait, Elle tombait déjà, car elle rougissait; Déjà presque soumise au joug de l'Esprit sombre, Elle descend, remonte, et redescend dans l'ombre. Telle on voit la perdrix voltiger et planer Sur des épis brisés qu'elle voudrait glaner, Car tout son nid l'attend; si son vol se hasarde, Son regard ne peut fuir celui qui la regarde... Et c'est le chien d'arrêt qui, sombre surveillant, La suit, la suit toujours d'un oil fixe et brillant. O des instants d'amour ineffable délire ! Le cour répond au cour comme l'air à la lyre. Ainsi qu'un jeune amant, interprète adoré, Explique le désir par lui-même inspiré, Et contre la pudeur aidant sa bien-aimée, Entraînant dans ses bras sa faiblesse charmée, Tout enivré d'espoir, plus qu'à demi vainqueur, Prononce les serments qu'elle fait dans son cour, Le prince des Esprits, d'une voix oppressée, De la Vierge timide expliquait la pensée. Eloa, sans parler, disait : Je suis à toi; Et l'Ange ténébreux dit tout haut : Sois à moi ! « Sois à moi, sois ma sour; je t'appartiens moi-même; « Je t'ai bien méritée, et dès longtemps je t'aime, « Car je t'ai vue un jour. Parmi les fils de l'air « Je me mêlais, voilé comme un soleil d'hiver. « Je revis une fois l'ineffable contrée, « Des peuples lumineux la patrie azurée, « Et n'eus pas un regret d'avoir quitté ces lieux « Où la crainte toujours siège parmi les Dieux. « Toi seule m'apparus comme une jeune étoile « Qui de la vaste nuit perce à l'écart le voile; « Toi seule me parus ce qu'on cherche toujours, « Ce que l'homme poursuit dans l'ombre de ses jours, « Le Dieu qui du bonheur connaît seul le mystère, « Et la Reine qu'attend mon trône solitaire. « Enfin, par ta présence habile à me charmer, « Il me fut révélé que je pouvais aimer. « Soit que tes yeux, voilés d'une ombre de tristesse, « Aient entendu les miens qui les cherchaient sans cesse, « Soit que ton origine, aussi douce que toi, « T'ait fait une patrie un peu plus près de moi, « Je ne sais, mais depuis heure qui te vit naître, « Dans tout être créé j'ai cru te reconnaître; « J'ai trois fois en pleurant passé dans l'Univers, « Je te cherchais partout, dans un souffle des airs, « Dans un rayon tombé du disque de la lune, « Dans l'étoile qui fuit le ciel qui l'importune, « Dans l'arc-en-ciel, passage aux Anges familier, « Ou sur le lit moelleux des neiges du glacier; « Des parfums de ton vol je respirais la trace; « En vain j'interrogeai les globes de l'espace, « Du char des astres purs j'obscurcis les essieux, « Je voilai leurs rayons pour attirer tes yeux, « J'osai même, enhardi par mon nouveau délire, « Toucher les fibres d'or de la céleste lyre. « Mais tu n'entendis rien, mais tu ne me vis pas. « Je revins à la Terre, et je glissai mes pas « Sous les abris de l'homme où tu reçus naissance. « Je croyais t'y trouver protégeant l'innocence, « Au berceau balancé d un enfant endormi, « Rafraîchissant sa lèvre avec un souffle ami; « Ou bien comme un rideau développant ton aile, « Et gardant contre moi, timide sentinelle, « Le sommeil de la Vierge aux côtés de sa sour, « Qui, rêvant, sur son sein la presse avec douceur. « Mais seul je retournai sous ma belle demeure, « J'y pleurai comme ici, j'y gémis, jusqu'à l'heure « Où le son de ton vol m'émut, me fit trembler « Comme un prêtre qui sent que son Dieu va parler. » Il disait; et bientôt comme une jeune Reine Qui rougit de plaisir au nom de souveraine, Et fait à ses sujets un geste gracieux, Ou donne à leurs transports un regard de ses yeux, Eloa, soulevant le voile de sa tête, Avec un doux sourire à lui parler s'apprête, Descend plus près de lui, se penche, et mollement Contemple avec orgueil son immortel amant. Son beau sein, comme un flot qui sur la rive expire, Pour la première fois se soulève et soupire; Son bras, comme un lys blanc sur le lac suspendu, S'approche sans effroi lentement étendu; Sa bouche parfumée en s'ouvrant semble éclore Comme la jeune rose aux faveurs de l'aurore, Quand le matin lui verse une fraîche liqueur, Et qu'un rayon du jour entre jusqu'à son cour. Elle parle, et sa voix dans un beau son rassemble Ce que les plus doux bruits auraient de grâce ensemble; Et la lyre accordée aux flûtes dans les bois, Et l'oiseau qui se plaint pour la première fois, Et la mer quand ses flots apportent sur la grève Les chants du soir aux pieds du voyageur qui rêve, Et le vent qui se joue aux cloches des hameaux, Ou fait gémir les joncs de la fuite des eaux : « Puisque vous êtes beau, vous êtes bon, sans doute; « Car sitôt que des Cieux une âme prend la route, . Comme un saint vêtement, nous voyons sa bonté « Lui donner en entrant l'éternelle beauté. « Mais pourquoi vos discours m'inspirent-ils la crainte ? « Pourquoi sur votre front tant de douleur empreinte ? « Comment avez-vous pu descendre du saint lieu ? « Et comment m'aimez-vous, si vous n'aimez pas Dieu ? » Le trouble des regards, grâce de la décence, Accompagnait ces mots, forts comme l'innocence; Ils tombaient de sa bouche, aussi doux, aussi purs, Que la neige en hiver sur les coteaux obscurs ; Et comme, tout nourris de l'essence première, Les Anges ont au cour des sources de lumière, Tandis qu'elle parlait, ses ailes à Pentour, Et son sein et son bras répandirent le jour : Ainsi le diamant luit au milieu des ombres. L'Archange s'en effraie, et sous ses cheveux sombres Cherche un épais refuge à ses yeux éblouis; Il pense qu'à la fin des Temps évanouis, Il lui faudra de même envisager son maître, Et qu'un regard de Dieu le brisera peut-être; Il se rappelle aussi tout ce qu'il a souffert Après avoir tenté Jésus dans le désert. Il tremble; sur son cour où l'Enfer recommence, Comme un sombre manteau jette son aile immense, Et veut fuir. La terreur réveillait tous ses maux. Sur la neige des monts, couronne des hameaux, L'Espagnol a blessé l'aigle des Asturies, Dont le vol menaçait ses blanches bergeries; Hérissé, l'oiseau part et fait pleuvoir le sang, Monte aussi vite au ciel que l'éclair en descend, Regarde son Soleil, d'un bec ouvert l'aspire, Croit reprendre la vie au flamboyant empire; Dans un fluide d'or il nage puissamment, Et parmi les rayons se balance un moment : Mais l'homme l'a frappé d'une atteinte trop sûre; Il sent le plomb chasseur fondre dans sa blessure; Son aile se dépouille, et son royal manteau Vole comme un duvet qu'arrache le couteau. Dépossédé des airs, son poids le précipite; Dans la neige du mont il s'enfonce et palpite, Et la glace terrestre a d'un pesant sommeil Fermé cet oil puissant respecté du Soleil. Tel retrouvant ses maux au fond de sa mémoire, L'Ange maudit pencha sa chevelure noire Et se dit, pénétré d'un chagrin infernal : « Triste amour du péché! sombres désirs du mal! « De l'orgueil, du savoir gigantesques pensées ! « Comment ai-je connu vos ardeurs insensées ? « Maudit soit le moment où j'ai mesuré Dieu! « Simplicité du cour ! à qui j'ai dit adieu, « Je tremble devant toi, mais pourtant je t'adore; « Je suis moins criminel puisque je t'aime encore; « Mais dans mon sein flétri tu ne reviendras pas ! « Loin de ce que j'étais, quoi! j'ai fait tant de pas! « Et de moi-même à moi si grande est la distance, « Que je ne comprends plus ce que dit l'innocence; « Je souffre, et mon esprit par le mal abattu « Ne peut plus remonter jusqu'à tant de vertu. « Qu'êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes « Quand j'allais, le premier de ces Anges modestes, « Prier à deux genoux devant l'antique loi, « Et ne pensais jamais au-delà de la foi ? « L'éternité pour moi s'ouvrait comme une fête; « Et des fleurs dans mes mains, des rayons sur ma « Je souriais, j'étais... J'aurais peut-être aimé! » Le Tentateur lui-même était presque charmé, Il avait oublié son art et sa victime, Et son cour un moment se reposa du crime. Il répétait tout bas, et le front dans ses mains : « Si je vous connaissais, ô larmes des humains ! » Ah! si dans ce moment la Vierge eût pu l'entendre, Si sa céleste main qu'elle eût osé lui tendre L'eût saisi repentant, docile à remonter... Qui sait ? le mal peut-être eût cessé d'exister. Mais sitôt qu'elle eut sur sa tête pensive De l'Enfer décelé la douleur convulsive, Etonnée et tremblante, elle éleva ses yeux, Plus forte, elle parut se souvenir des Cieux, Et souleva deux fois ses ailes argentées, Entr'ouvrant pour gémir ses lèvres enchantées; Ainsi, qu'un jeune enfant, s'attachant aux roseaux, Tente de faibles cris étouffés sous les eaux. Il la vit prête à fuir vers les cieux de lumière. Comme un tigre éveillé bondit dans la poussière, Aussitôt en lui-même, et plus fort désormais, Retrouvant cet esprit qui ne fléchit jamais, Ce noir esprit du mal qu'irrite l'innocence, Il rougit d avoir pu douter de sa puissance, Il rétablit la paix sur son front radieux, Rallume tout à coup l'audace de ses yeux, Et longtemps en silence il regarde et contemple La victime du Ciel qu'il destine à son temple; Comme pour lui montrer qu'elle résiste en vain, Et s'endurcir lui-même à ce regard divin. Sans amour, sans remords, au fond d'un cour de glace, Des coups qu'il va porter il médite la place, Et pareil au guerrier qui, tranquille à dessein, Dans les défauts du fer cherche à frapper le sein, Il compose ses traits sur les désirs de l'Ange; Son air, sa voix, son geste et son maintien, tout change, Sans venir de son cour, des pleurs fallacieux Paraissent tout à coup sur le bord de ses yeux. La Vierge dans le Ciel n'avait pas vu de larmes, Et s'arrête; un soupir augmente ses alarmes. Il pleure amèrement comme un homme exilé, Comme une veuve auprès de son fils immolé; Ses cheveux dénoués sont épars ; rien n'arrête Les sanglots de son sein qui soulèvent sa tête. Eloa vient et pleure; ils se parlent ainsi : « Que vous ai-je donc fait ? Qu'avez-vous ? me voici. - Tu cherches à me fuir, et pour toujours peut-être. Combien tu me punis de m'être fait connaître ! - J'aimerais mieux rester; mais le Seigneur m'attend. Je veux parler pour vous, souvent il nous entend. - Il ne peut rien sur moi, jamais mon sort ne change, Et toi seule es le Dieu qui peut sauver un Ange. - Que puis-je faire ? hélas ! dites, faut-il rester ? - Oui, descends jusqu'à moi, car je ne puis monter. - Mais quel don voulez-vous ? - Le plus beau, c'est [nous-mêmes. Viens. - M'exiler du Ciel ? - Qu'importe, si tu [m'aimes ? Touche ma main. Bientôt dans un mépris égal Se confondront pour nous et le bien et le mal. Tu n'as jamais compris ce qu'on trouve de charmes A présenter son sein pour y cacher des larmes. Viens, il est un bonheur que moi seul t'apprendrai; Tu m'ouvriras ton âme, et je l'y répandrai. Comme l'aube et la lune au couchant reposée Confondent leurs rayons, ou comme la rosée Dans une perle seule unit deux de ses pleurs Pour s'empreindre du baume exhalé par les fleurs, Comme un double flambeau réunit ses deux flammes, Non moins étroitement nous unirons nos âmes. - Je t'aime et je descends. Mais que diront les Cieux ? » En ce moment passa dans l'air, loin de leurs yeux, Un des célestes chours où, parmi les louanges, On entendit ces mots que répétaient des Anges : « Gloire dans l'Univers, dans les Temps, à celui « Qui s'immole à jamais pour le salut d'autrui. » Les Cieux semblaient parler. C'en était trop pour elle. Deux fois encor levant sa paupière infidèle, Promenant des regards encore irrésolus, Elle chercha ses Cieux qu'elle ne voyait plus. Des Anges au Chaos allaient puiser des mondes. Passant avec terreur dans ses plaines profondes, Tandis qu'ils remplissaient les messages de Dieu, Ils ont tous vu tomber un nuage de feu. Des plaintes de douleur, des réponses cruelles, Se mêlaient dans la flamme au battement des ailes. Où me conduisez-vous, bel Ange ? - Viens toujours. - Que votre voix est triste, et quel sombre discours ! N'est-ce pas Eloa qui soulève ta chaîne ? J'ai cru t'avoir sauvé. - Non, c'est moi qui t'entraîne. - Si nous sommes unis, peu m'importe en quel heu! Nomme-moi donc encore ou ta Sour ou ton Dieu! - J'enlève mon esclave et je tiens ma victime. - Tu paraissais si bon! Oh! qu'ai-je fait ? - Un crime. - Seras-tu plus heureux, du moins, es-tu content ? - Plus triste que jamais. - Qui donc es-tu ? - Satan. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
François de Vigny (1570 - ?) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de François de Vigny | |||||||||
Biografie / cronologieConformément aux préoccupations constamment manifestées par l'écrivain, nous avons étendu cette chronologie dans la direction du passé, à la recherche de la noblesse des ancêtres, et dans celle de l'avenir, à l'écoute des échos de l'ouvre renvoyés par la postérité. Bibliographie |
|||||||||