François de Vigny |
Idylle dans le goût de Théocrite Vois-tu ce vieux tronc d'arbre aux immenses racines ? Jadis il s'anima de paroles divines; Mais par les noirs hivers le chêne fut vaincu, Et la Dryade aussi, comme l'arbre, a vécu. (Car, tu le sais, berger, ces Déesses fragiles, Envieuses des jeux et des danses agiles, Sous l'écorce d'un bois où les fixa le sort, Reçoivent avec lui la naissance et la mort.) Celle dont la présence enflamma ces bocages Répondait aux pasteurs du sein des verts feuillages, Et par des bruits secrets, mélodieux et sourds, Donnait le prix du chant ou jugeait les amours. Bathylle aux blonds cheveux, Ménalque aux noires [tresses, Un jour lui racontaient leurs rivales tendresses. L'un parait son front blanc de myrte et de lotus; L'autre, ses cheveux bruns de pampres revêtus, Offrait à la Dryade une coupe d'argile; Et les roseaux chantants enchaînés par Bathylle, Ainsi que le dieu Pan l'enseignait aux mortels, S'agitaient, suspendus aux verdoyants autels. J'entendis leur prière, et de leur simple histoire Les Muses et le temps m'ont laissé là mémoire. MÉNALQUE O Déesse propice ! écoute, écoute-moi ! Les Faunes, les Sylvains dansent autour de toi, Quand Bacchus a reçu leur bruyant sacrifice; Ombrage mes amours, ô Déesse propice! BATHYLLE Dryade du vieux chêne, écoute mes aveux! Les vierges, le matin, dénouant leurs cheveux, Quand du brûlant amour la saison est prochaine, T'adorent; je t'adore, ô Dryade du chêne! MÉNALQUE Que Liber protecteur, père des longs festins, Entoure de ses dons tes champêtres destins, Et qu'en écharpe d'or la vigne tortueuse Serpente autour de toi, fraîche et voluptueuse. BATHYLLE Que Vénus te protège et t'épargne ses maux, Qu'elle anime, au printemps, tes superbes rameaux; Et si de quelque amour, pour nous mystérieuse, Le charme te liait à quelque jeune yeuse, Que ses bras délicats et ses feuillages verts A tes bras amoureux se mêlent dans les airs. MÉNALQUE Ida! j'adore Ida, la légère bacchante : Ses cheveux noirs, mêlés de grappes et d'acanthe, Sur le tigre, attaché par une griffe d'or, Roulent abandonnés; sa bouche rit encor En chantant Evoë; sa démarche chancelle; Ses pieds nuds, ses genoux que la robe décèle, S'élancent, et son oil, de feux ttincelant, Brille comme Phébus sous le signe brûlant. BATHYLLE C'est toi que je préfère, ô toi, vierge nouvelle, Que l'heure du matin à nos désirs révèle! Quand la lune au front pur, reine des nuits d'été, Verse au gazon bleuâtre un regard argenté, Elle est moins belle encor que ta paupière blonde, Qu'un rayon chaste et doux sous son long voile inonde. MÉNALQUE Si le fier léopard, que les jeunes Sylvains Attachent rugissant au char du Dieu des vins, Voit amener au loin l'inquiète agresse Que les Faunes, troublés par la joyeuse ivresse, N'ont pas su dérober à ses regards brûlants, II s'arrête, il s'agite, et de ses cris roulants Les bois sont ébranlés; de sa gueule béante L'écume coule à flots sur une langue ardente; Furieux, il bondit, il brise ses liens, Et le collier d'ivoire et les jougs phrygiens : Il part, et, dans les champs qu'écrasent ses caresses, Prodigue à ses amours de fougueuses tendresses. Ainsi, quand tu descends des cimes de nos bois, Ida ! lorsque j'entends ta voix, ta jeune voix, Annoncer par des chants la fête bacchanale, Je laisse les troupeaux, la bêche matinale, Et la vigne et la gerbe où mes jours sont liés : Je pars, je cours, je tombe et je brûle à tes pieds. BATHYLLE Quand la vive hirondelle est enfin réveillée, Elle sort de l'étang, encor toute mouillée, Et, se montrant au jour avec un cri joyeux, Au charme d'un beau ciel, craintive, ouvre les yeux; Puis, sur le pâle saule, avec lenteur voltige, Interroge avec soin le bouton et la tige; Et sûre du printemps, alors, et de l'amour, Par des cris triomphants célèbre leur retour. Elle chante sa joie aux rochers, aux campagnes, Et, du fond des roseaux excitant ses compagnes : « Venez! dit-elle; allons! paraissez, il est temps! Car voici la chaleur, et voici le printemps. » Ainsi, quand je te vois, ô modeste bergère! Fouler de tes pieds nuds la riante fougère, J'appelle autour de moi les pâtres nonchalants, A quitter le gazon, selon mes voux, trop lents, Et crie, en te suivant dans ta course rebelle : Venez! oh! venez voir comme Glycère est belle! MÉNALQUE Un jour, jour de Bacchus, loin des jeux égaré, Seule je la surpris au fond du bois sacré : Le soleil et les vents, dans ces bocages sombres, Des feuilles sur ses traits faisaient flotter les ombres; Lascive, elle dormait sur le thyrse brisé; Une molle sueur, sur son front épuisé, Brillait comme la perle en gouttes transparentes, Et ses mains, autour d'elle, et sous le lin errantes, Touchant la coupe vide et son sein tour à tour, Redemandaient encore et Bacchus et l'Amour. * BATHYLLE Je vous adjure ici, Nymphes de la Sicile, Dont les doigts, sous des fleurs, guident l'onde docile; Vous reçûtes ses dons, alors que sous nos bois, Rougissante, elle vint pour la première fois. Ses bras blancs soutenaient sur sa tête inclinée L'amphore, ouvre divine aux fêtes destinée, Qu'emplit la molle poire, et le raisin doré, Et la pêche au duvet de pourpre coloré; Des pasteurs empressés l'attention jalouse L'entourait, murmurant le nom sacré d'épouse; Mais en vain : nul regard ne flatta leur ardeur; Elle fut toute aux Dieux et toute à la pudeur. Ici je vis rouler la coupe aux flancs d'argile; Le chêne ému tremblait, la flûte de Bathylle Brilla d'un feu divin; la Dryade, un moment Joyeuse, fit entendre un long frémissement, Doux comme les échos dont la voix incertaine Murmure la chanson d'une flûte lointaine. |
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François de Vigny (1570 - ?) |
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Portrait de François de Vigny | |||||||||
Biografie / cronologieConformément aux préoccupations constamment manifestées par l'écrivain, nous avons étendu cette chronologie dans la direction du passé, à la recherche de la noblesse des ancêtres, et dans celle de l'avenir, à l'écoute des échos de l'ouvre renvoyés par la postérité. Bibliographie |
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