François Maynard |
Cloris, que dans mon cour j'ai si longtemps servie Et que ma passion montre à tout l'univers, Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ? N'oppose plus ton deuil au bonheur où j'aspire, Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ? Sors de ta nuit funèbre, et permets que j'admire Les divines clartés des yeux qui m'ont brûlé. Où s'enfuit ta prudence acquise et naturelle ? Qu'est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur? La folle vanité de paraître fidèle Aux cendres d'un jaloux, m'expose à ta rigueur. Eusses-tu fait le vou d'un éternel veuvage Pour l'honneur du mari que ton lit a perdu Et trouvé des Césars dans ton haut parentage, Ton amour est un bien qui m'est justement dû. Qu'on a vu revenir de malheurs et de joies, Qu'on a vu trébucher de peuples et de rois, Qu'on a pleuré d'Hectors, qu'on a brûlé de Troies Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois ! Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête, Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris, Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris. C'est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née, C'est de leurs premiers traits que je fus abattu ; Mais tant que tu brûlas du flambeau d'hyménée, Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu. Je sais de quel respect il faut que je t'honore Et mes ressentiments ne l'ont pas violé. Si quelquefois j'ai dit le soin qui me dévore, C'est à des confidents qui n'ont jamais parlé. Pour adoucir l'aigreur des peines que j'endure Je me plains aux rochers et demande conseil A ces vieilles forêts dont l'épaisse verdure Fait de si belles nuits en dépit du soleil. L'âme pleine d'amour et de mélancolie Et couché sur des fleurs et sous des orangers, J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie Et fait dire ton nom aux échos étrangers. Cloris, la passion que mon cour t'a jurée Ne trouve point d'exemple aux siècles les plus vieux. Amour et la nature admirent la durée Du feu de mes désirs et du feu de tes yeux. La beauté qui te suit depuis ton premier âge Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser, Et le temps, orgueilleux d'avoir fait ton visage, En conserve l'éclat et craint de l'effacer. Regarde sans frayeur la fin de toutes choses, Consulte le miroir avec des yeux contents. On ne voit point tomber ni tes lis, ni tes roses, Et l'hiver de ta vie est ton second printemps. Pour moi, je cède aux ans ; et ma tête chenue M'apprend qu'il faut quitter les hommes et le jour, Mon sang se refroidit, ma force diminue Et je serais sans feu si j'étais sans amour. Que feras-tu, Cloris, pour honorer ma cendre ? Pourras-tu sans regret ouïr parler de moi ? Et le mort que tu plains te pourra-t-il défendre De blâmer ta rigueur et de louer ma foi ? Si je voyais la fin de l'âge qui te reste, Ma raison tomberait sous l'excès de mon deuil ; Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste Et ferais jour et nuit l'amour à ton cercueil ! |
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François Maynard (1582 - 1646) |
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