François Villon |
L'an mil quatre cens cinquante six, Je, François Villon, escollier, Considérant, de sens rassis, Le frain aux dens, franc au collier, Qu'on doit ses ouvres conseillier, Comme Vegece le raconte, Sage rommain, grant conseillier, Ou autrement on se mesconte... En ce temps que j'ay dit devant, Sur le Noël, morte saison, Que les loups se vivent de vent Et qu'on se tient en sa maison, Pour le frimas, près du tison, Me vint le vouloir de briser La très amoureuse prison Qui souloit mon cuer debriser. Je le feis en telle façon, Voyant Celle devant mes yeulx Consentant a ma desfaçon, Sans ce que ja luy en fust mieulx; Dont je me dueil et plains aux cieulx, En requérant d'elle vengence A tous les dieux venerieux, Et du grief d'amours allegence. Et se j'ay prins en ma faveur Ces doulx regars et beaux semblans De très décevante saveur Me trespersans jusques aux flans, Bien ilz ont vers moy les piez blans Et me faillent au grand besoing. Planter me fault autres complans Et frapper en ung autre coing. Le regart de Celle m'a prins Qui m'a esté félonne et dure : Sans ce qu'en riens aye mesprins, Veult et ordonne que j'endure La mort, et que plus je ne dure; Si n'y voy secours que fouïr. Rompre veult la vive souldure, Sans mes piteux regretz ouïr ! Pour obvier a ces dangiers, Mon mieulx est, je croy, de partir Adieu ! je m'en vois a Angiers : Puisqu'el ne me veult impartir Sa grâce, il me convient partir. Par elle meurs, les membres sains; Au fort, je suis amant martir Du nombre des amoureux sains. Combien que le départ me soit Dur, si faut il que je m'eslongne : Comme mon povre sens conçoit, Autre que moy est en quelongne, Dont onc soret de Boulongne Ne fut plus altéré d'umeur. C'est pour moy piteuse besongne Dieu en vueille ouïr ma clameur ! Et puis que départir me fault, Et du retour ne suis certain (Je ne suis homme sans desfault Ne qu'autre d'assier ne d'estain, Vivre aux humains est incertain Et après mort n'y a relaiz, Je m'en vois en pays loingtain), Si establis ces presens laiz. Premièrement, ou nom du Père, Du Filz et du Saint-Esperit, Et de sa glorieuse Mère Par qui grâce point ne périt, Je laisse, de par Dieu, mon bruit A maistre Guillaume Villon, Qui en l'onneur de ce nom bruit, Mes tentes et mon pavillon. Item, a celle que j'ai dit, Qui si durement m'a chassie Que je suis de joye interdit Et de tout plaisir dechassié, Je laisse mon cuer enchassié, Palle, piteux, mort et transy : Elle m'a ce mal pourchassié, Mais Dieu luy en face mercy !Item, a maistre Ythier Marchant, Auquel je me sens très tenu, Laisse mon branc d'assier tranchant, Ou a maistre Jehan le Cornu, Qui est en gaige détenu Pour ung escot huit solz montant; Si vueil, selon le contenu, Qu'on leur livre, en le rachetant. Item, je laisse a Saint Amant Le Cheval Blanc, avec la Mulle, Et a Blarru mon dyamant Ou l'Asne Rayé qui reculle. Et le décret qui articulle Omnis utriusque sexus, Contre la Carmeliste bulle Laisse aux curez, pour mettre sus. Item, a maistre Robert Vallée, Povre clerjot au Parlement, Qui ne tient ne mont ne vallée, J'ordonne principallement Qu'on luy baille legierement Mes brayes, estans aux TrumelUeres, Pour coeffer plus honnestement S'amye Jehanneton de Millieres. Pour ce qu'il est de lieu honneste, Fault qu'il soit mieulx recompensé, Car Saint-Esperit l'admoneste, Pour ce qu'il est tout insensé; Pour ce, je me suis pourpensé Qu'on lui baille l'Art de Mémoire A recouvrer sur Maupensé, Puis qu'il n'a sens ne qu'une aumoire. Item, pour assigner la vie Du dessusdit maistre Robert, (Pour Dieu, n'y ayez point d'envie !) Mes parens, vendez mon haubert, Et que l'argent, ou la plus part, Soit emploie, dedans ces Pasques, Pour achetter a ce poupart Une fenestre emprès Saint Jacques. Item, laisse et donne en pur don Mes gans et ma hucque de soye A mon amy Jacques Cardon, Le glan aussi d'une saulsoye, Et tous les jours une grasse oye Ou ung chappon de haulte gresse, Dix muys de vin blanc comme croye, Et deux procès, que trop n'engresse. Item, je laisse a ce noble homme Régnier de Montigny, troys chiens; Aussi a Jehan Raguier la somme De cent frans, prins sur tous mes biens Mais quoy? Je ne comprens en riens Ce que je pourray acquérir : On ne doit trop prendre des siens, Ne ses amis trop surquerir. Item, au seigneur de Grigny Laisse la garde de Nygon, Et six chiens plus qu'a Montigny, Vicestre, chastel et dongon; Et a ce ma ostru changon, Mouton, qui le tient en procès, Laisse trois coups d'ung escourgon, Et couchier, paix et aise, es ceps. Item, a maistre Jacques Raguier Laisse l'Abruvouè'r Popin, Pesches, poires, sucre, figuier, Tousjours le chois d'ung bon loppin, Le trou de la Pomme de Pin, Clos et couvert, au feu la plante, Emmailloté en jacoppin ; Et qui voudra planter, si plante. Item, a maistre Jehan Mautaint Et maistre Pierre Basanier, Le gré du seigneur qui attaint Troubles, forfaiz, sans espargnier; Et a mon procureur Fournier, Bonnetz cours, chausses semelees, Taillées par mon cordoennier, Pour porter durant ces gelées. Item, a Jehan Trouvé, boucher, Laisse le Mouton franc et tendre, Et ung tacon pour esmoucher Le Beuf Couronné qu'on veult vendre, O la Vache : qui pourra prendre Le villain qui la trousse au col, S'il ne la rend, qu'on le puist pendre Ou estrangler d'ung bon licol ! Item, au Chevalier du Guet, Le Heaulme luy establis ; Et aux piétons qui vont d'aguet Tastonnant par ces establis, Je leur laisse deux beaux riblis, La Lanterne a la Pierre au Let. Voire, mais j'auray les Troys Lis S'ilz me mainent en Chastellet. Item, a Perrenet Marchant, Qu'on dit le Bastard de la Barre, Pour ce qu'il est très bon marchant, Luy laisse trois gluyons de fuerre Pour estendre dessus la terre A faire l'amoureux mestier, Ou il luy fauldra sa vie querre, Car il ne scet autre mestier. Item, au Loup et a Cholet Je laisse a la foiz ung canart Prins sur les murs, comme on souloit, Ou vers les fossez, sur le tart, Et a chascun ung grant tabart De cordelier jusques aux piez, Busche, charbon, et poix au lart, Et mes houseaulx sans avantpiez. De rechief, je laisse, en pitié, A trois petits enfans tous nus Nommez en ce présent traictié, Povres orphelins impourveus, Tous deschaussez, tous despourveus, Et desnuez comme le ver; J'ordonne qu'ilz soient pourveus, Au moins pour passer cest yver : Premièrement, Colin Laurens, Girard Gossouyn et Jehan Marceau, Despourveus de biens, de parens, Et n'ont vaillant l'ance d'ung seau, Chascun de mes biens ung fesseau, Ou quatre blancs, s'ilz l'ayment mieuix Ilz mangeront maint bon morceau, Les enfans, quant je seray vieulx ! Item, ma nominacion, Que j'ay de l'Université, Laisse par resignacion Pour forclore d'aversité Povres clers de ceste cité Soubz cest intendit contenus; Charité m'y a incité, Et Nature, les voiant nus : C'est maistre Guillaume Cottin Et maistre Thibault de Victry, Deux povres clers, parlans latin, Paisibles enfans, sans estry, Humbles, bien chantans au lectry ; Je leur laisse cens recevoir Sur la maison Guillot Gueuldry En attendant de mieulx avoir. Item, et j'adjoings a la Crosse, Celle de la rue Saint Anthoine, O ung billart de quoy on crosse, Et tous les jours plain pot de Saine; Aux pigons qui sont par essoine Ensarrez soubz trappe volière, Mon mirouër bel et ydoine Et la grâce de la geôlière. Item, je laisse aux hospitaux Mes châssis tissus d'arigniee, Et aux gisans soubz les estaux, Chascun sur l'oil une grongniee, Trembler a chiere renfrongniee, Maigres, velus et morfondus, Chausses courtes, robe rongniee, Gelez, meurdris et enfondus. Item, je laisse a mon barbier Les rongneures de mes cheveulx, Plainement et sans destourbier ; Au savetier mes souliers vieulx, Et au freppier mes habitz tieulx Que, quant ainsi je les délaisse, Pour moins qu'ilz ne cousterent neufz Charitablement je luy laisse. Item, je laisse aux Mendians, Aux Filles Dieu et aux Béguines, Savoureulx morceaulx et frians, Pigons, chappons et grasses gelines, Et puis preschier les Quinze Signes, Et abatre pain a deux mains. Carmes chevauchent nos voisines, Mais cela, ce n'est que du mains. Item, laisse le Mortier d'Or A Jehan, espicier, de la Garde, Et une potence de Saint Mor, Pour faire ung broyer a moustarde. A celluy qui fist l'avant garde Pour faire sur moy griefz exploitz, De par moy Saint Anthoine Tarde ! Je ne luy feray autre laiz. Item, je laisse a Merebeuf Et a Nicolas de Louvieux, A chascun l'escaille d'ung ouf, Plaine de frans et d'escus vieulx. Et au concierge de Gouvieulx, Pierre de Rousseville, ordonne, Pour donner en attendant mieulx, Escus telz que le Prince donne. Finablement, en escripvant, Ce soir, seulet, estant en bonne, Dictant ces laiz et descripvant, J'oïs la cloche de Serbonne, Qui tousjours a neuf heures sonne Le Salut que l'Ange prédit; Si suspendis et y mis bonne Pour prier comme le cuer dit. Ce faisant, je m'entroublié, Non pas par la force de vin boire, L'entendement comme lié; Lors je sentis dame Mémoire Reprendre et mettre en son aumoire Ses espèces collateralles, Oppinative faulce et voire, Et autres intellectualles. Et mesmement l'estimative, Par qui la perspective vient, Similative, formative, Par quoy bien souvent il advient Que, par leur trouble, homme devient Fol et lunatique par mois : Je l'ay leu, dont il me souvient, En Aristote aucunes foiz. Mais le sensitif s'esveilla Et esvertua Fantasie, Qui tous argutis resveilla, Et tint la souveraine partie En suspens et comme amortie Par oppression d'oubliance Qui en moy estoit espartie Pour monstrer des sens l'aliance. Puis que mon sens fut a repos Et l'entendement demeslé, Je cuidé finer mon propos; Mais mon ancre estoit gelé Et mon cierge estoit soufflé; De feu je n'eusse peu finer; Si m'endormis tout emmouflé, Et ne peus autrement finer. Fait au temps de ladite date Par le bien renommé Villon, Qui ne mengue figue ne date. Sec et noir comme escouvillon, Il n'a tente ne pavillon Qu'il n'ait laissié a ses amis, Et n'a mais qu'ung peu de billon Qui sera tantost a fin mis. |
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François Villon (1431 - 1463) |
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