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François Villon



Les regrets de la belle heaulmière - Poéme


Poéme / Poémes d'François Villon





Advis m'est que j'oy regreter
La belle qui fut hëaulmicre,
Soy jeune fille soushaitter
Et parler en telle manière : «
Ha ! viellesse félonne et fiere,
Pourquoy m'as si tost abatue?
Qui me tient, qui, que ne me fiere,
Et qu'a ce coup je ne me tue?



«
Tollu m'as la haulte franchise
Que beaulté m'avoit ordonné
Sur clers, marchans et gens d'Eglise :
Car lors il n'estoit homme né
Qui tout le sien ne m'eust donné,
Quoy qu'il en fust des repentailles,
Mais que luy eusse habandonné
Ce que reffusent truandailles.



«
A maint homme l'ay reffusé,
Qui n'estoit a moy grant sagesse,
Pour l'amour d'ung garson rusé,
Auquel j'en feiz grande largesse.
A qui que je feisse finesse,
Par m'ame, je l'amoye bien !
Or ne me faisoit que rudesse,
Et ne m'amoit que pour le mien.



«
Si ne me sceut tant detrayner,
Fouler aux piez, que ne l'amasse,
Et m'eust il fait les rains trayner,
S'il m'eust dit que je le baisasse,
Que tous mes maulx je n'oubliasse.
Le glouton, de mal entechié,
M'embrassoit...
J'en suis bien plus grasse!
Que m'en reste il?
Honte et pechié.



«
Or est il mort, passé trente ans,
Et je remains vielle, chenue.
Quant je pense, lasse! au bon temps,
Quelle fus, quelle devenue;
Quant me regarde toute nue,
Et je me voy si très changiee,
Povre, seiche, megre, menue,
Je suis presque toute enragiee.



«
Qu'est devenu ce front poly,
Ces cheveulx blons, sourcils voultiz,
Grant entroeil, le regart joly,
Dont prenoie les plus soubtilz;

Ce beau nez droit grant ne petiz,
Ces petites joinctes oreilles,
Menton fourchu, cler vis traictiz,
Et ces belles lèvres vermeilles?



«
Ces gentes espaulles menues,

Ces bras longs et ces mains traictisses,

Petiz tetins, hanches charnues

Eslevees, propres, faictisses

A tenir amoureuses lisses;

Ces larges rains, ce sadinet,

Assis sur grosses fermes cuisses,

Dedens son petit jardinet?



«
Le front ridé, les cheveux gris,
Les sourcilz cheus, les yeulx estains,
Qui faisoient regars et ris
Dont mains marchans furent attains;
Nez courbes de beaulté loingtains,
Oreilles pendans et moussues,
Le vis pally, mort et destains,
Menton froncé, lèvres peaussues :



«
C'est d'umaine beaulté l'issues !
Les bras cours et les mains contraites,
Les espaulles toutes bossues;
Mamelles, quoy? toutes retraites;
Telles les hanches que les têtes;
Du sadinet, fy !
Quant des cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissetes
Grivelees comme saulcisses.



«
Ainsi le bon temps regretons
Entre nous, povres vielles sotes,
Assises bas, a crouppetons,
Tout en ung tas comme pelotes,
A petit feu de chenevotes
Tost allumées, tost estaintes;
Et jadis fusmes si mignotes!...
Ainsi en prent a mains et maintes. »

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François Villon
(1431 - 1463)
 
  François Villon - Portrait  
 
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