François Zola |
Dès le début de sa collaboration aux différentes gazettes, Zola voit grand. Il ne peut se contenter de feuilles secondaires pour y apposer sa signature. Puisqu'il a juré de conquérir la France, ce qu'il lui faut, c'est un journal à gros tirage. Très vite il songe à entrer dans l'équipe d'Hippolyte de Villemessant qui, après avoir fondé Le Figaro, se prépare à créer L'Événement, quotidien à deux sous. Il sait que ce personnage, sorte de colosse trapu et charnu, à la lippe lourde, à la voix éraillée et aux manières de charretier, a un flair infaillible en affaires et apprécie plus l'audace carrée que l'habileté courtoise. Aussi Zola écrit-il, le 11 avril 1865, une lettre au style dru à Alphonse Duchesne, collaborateur et secrétaire de Villemessant : « Monsieur, je désire réussir au plus tôt. Dans ma hâte, j'ai songé à votre journal comme à la feuille qui peut procurer la notoriété la plus rapide. Je vais donc à vous franchement. Je vous envoie quelques pages de prose et je vous demande en toute naïveté : cela vous convient-il ? Si ma petite personnalité vous déplaît, n'en parlons plus ; si c'est seulement l'article ci-joint qui ne vous plaît pas, je pourrai en écrire d'autres. Je suis jeune et, je l'avoue, j'ai foi en moi. Je sais que vous aimez à essayer les gens, à inventer des rédacteurs nouveaux. Essayez-moi, inventez-moi. Vous aurez toujours la fleur du panier. » Cette supplique étant restée sans réponse, Zola écrit, l'année suivante, au gendre de Villemessant, le publiciste Gustave Bourdin, qui est chargé d'assurer dans L'Événement, récemment lancé, la critique des livres, et lui propose une chronique bibliographique : « Je donnerai en vingt ou trente lignes un compte rendu de chaque ouvre nouvelle le jour même de la mise en vente; j'irai trouver chaque éditeur et j'obtiendrai certainement d'eux la communication de leurs publications, de façon à ce que mon article paraisse avant toute réclame ; d'autre part, je me chargerai, lorsqu'une ouvre importante sera annoncée, de me procurer quelque extrait intéressant que L'Événement pourra insérer . » Amusé par la suggestion, Gustave Bourdin présente Zola à son beau-père. Villemessant a pour les individus un oil de maquignon. Même dans un salon, il se comporte comme à la foire. Du premier regard, il juge son visiteur : ce type-là a de la combativité à revendre ! On peut lui faire confiance. Après cinq minutes d'entretien, il déclare à Zola : « Pendant un mois, tout ce que vous donnerez passera : L'Événement est à vous. À la fin du mois, je saurai si vous avez quelque chose dans le ventre et je déciderai de votre sortl. » Zola sort du bureau avec des ailes aux talons. Le 31 janvier 1866, en achetant L'Evénement, il voit son nom en première page, dans un article de Villemessant lui-même : « À nos lecteurs. Il manque à L'Événement, pour être aussi complet que son genre le comporte, le département de la critique littéraire... Le compte rendu des livres jouit, à tort ou à raison, d'une renommée de fastidiosité qui jette un froid dans l'âme du lecteur... Nommer M. Emile Zola, ce n'est point révéler un inconnu... Un jeune écrivain, très versé dans les détails de la librairie..., homme d'esprit et d'imagination... et dont les livres, rares encore mais excellents, ont fait sensation dans la presse... Si mon nouveau ténor réussit, tant mieux. S'il échoue, rien de plus simple. Lui-même m'annonce qu'en ce cas-là, il résiliera son engagement, et je raye son emploi de mon répertoire. J'ai dit. - H. de Villemessant2. » Ce style rocailleux, cette grossièreté de pensée pèsent peu dans l'esprit de Zola par rapport à l'hommage que lui rend ainsi un vieux routier du journalisme. Au début de février 1866, son premier article paraît dans L'Événement sous la rubrique « Livres d'aujourd'hui et de demain ». Il fait l'éloge du Voyage en Italie de Taine. Désormais, Zola livrera de la copie chaque jour, avec brio et ponctualité. Deux semaines ne se sont pas écoulées que Villemessant le félicite. À la fin du mois, le débutant passe au guichet sans savoir encore quelle sera sa rémunération. Le caissier lui remet cinq cents francs. Jamais encore Zola n'a touché d'un coup une somme aussi importante. S'il osait, il embrasserait Villemessant qui rigole et lui tape sur l'épaule, comme après une bonne farce. Le patron est même si content de lui qu'il le charge de rendre compte du Salon de 1866. Lourde responsabilité ! Mais Zola est sûr de son affaire. Ne trempe-t-il pas, depuis son adolescence, dans l'univers de la peinture ? Grâce à Cézanne et à ses amis, il a, pense-t-il, toute la compétence requise pour juger les artistes de son temps. Il intitule sa chronique « Mon Salon » et consacre son article inaugural à une étude acerbe des membres du jury. Le papier est signé Claude, en souvenir du héros de la Confession. Dès l'abord, la prétention de ce plumitif inconnu qui ose attaquer des gloires assises soulève des protestations parmi les lecteurs. Dans les numéros suivants, au lieu de s'excuser, le dénommé Claude persiste. Il dénonce la nullité du Salon, s'indigne que Manet en ait été écarté, proclame que ce peintre sera « un des maîtres de demain », que ses toiles « crèvent le mur, simplement », que « sa place est marquée au Louvre, comme celle de Courbet ». L'Administration des Beaux-Arts ayant décidé de ne pas rouvrir le Salon des Refusés pour des « raisons de maintien de l'ordre », Zola, alias Claude, s'en prend à ces hommes « qu'on place entre les artistes et le public » et qui, au lieu d'aider à l'épanouissement de la création, « amputent l'art et n'en présentent à la foule que le cadavre mutilé ». Il conclut : « Je supplie tous mes confrères de se joindre à moi, je voudrais grossir ma voix, avoir toute puissance pour obtenir la réouverture de ces salles où le public allait juger, à son tour, et les juges et les condamnés. » Malgré cette adjuration pathétique, l'Administration des Beaux-Arts maintient sa résolution. Et Zola, prenant feu, redouble de provocation dans l'éloge de ses amis et le dénigrement des fossoyeurs du génie français. D'emblée, tous ces rapins révolutionnaires l'accueillent comme le meilleur défenseur de leur art. Il les rencontre régulièrement dans les cabarets où ils ont coutume de s'assembler. En pénétrant dans la salle commune du Guerbois, il se dirige sans hésiter vers le coin bruyant et enfumé où des gaillards hirsutes, à la barbiche conquérante et à la molle cravate noire, discutent en suçant leur pipe et en vidant des chopes de bière et des verres de rude aramon. On l'interpelle, il s'assied à leur table et jette de l'huile sur les braises de leur indignation. Il y a là Renoir, Fantin-Latour, le beau Frédéric Bazille, Berthe Morisot, le grave Manet, sa canne entre les jambes et le haut-de-forme posé à côté de lui, sur la banquette. Bizarrement, Zola se trouve plus en famille parmi eux que dans le monde faux du journalisme. Il a l'impression que la pratique du regard direct sur le modèle a préservé, chez ces novateurs, une part de sincérité, de simplicité et d'enfance. Parce qu'ils manient la couleur, ils demeurent proches de la nature. Dominés par l'instinct, ils réfléchissent moins qu'ils ne sentent. Les écrivains sont plus compliqués, plus retors, plus artificiels dans leurs jugements, plus fuyants dans leurs amitiés. Par moments, Zola se demande s'il n'est pas un peintre égaré dans l'écriture, si sa plume n'est pas un succédané du pinceau. En tout cas, il est bien décidé à soutenir ces jeunes loups qui ont assurément du talent, puisqu'ils veulent changer le monde. Chaque jour davantage, L'Événement devient le déversoir de ses engouements et de ses colères artistiques. Après s'être amusé des clameurs furieuses de son nouveau collaborateur, Villemessant commence à trouver que Zola passe la mesure. Il a beau aimer la bagarre, il doit compter avec ses abonnés. Les lettres de lecteurs scandalisés sont de plus en plus nombreuses dans son courrier. On chuchote que l'empereur voit d'un mauvais oil la campagne antiacadémique menée par L'Événement. Des marchands de tableaux mécontents menacent de retirer toute réclame au journal qui insulte leurs protégés. Du coup, Villemessant se résigne à mettre de l'eau dans son vin et adjoint à Zola un autre chroniqueur, Théodore Pelloquet. Celui-ci, dûment chapitré, est chargé de vanter les mérites des peintres officiels assassinés par l'intraitable Claude. Zola s'incline. Mais, après son article intitulé « Les Chutes », où il ose prétendre que l'art de Courbet, de Millet, de Rousseau s'est affadi avec le temps, que leurs dernières productions le déçoivent et qu'il « pleure » sur leur décadence, il pressent que, dans l'esprit de Villemessant, son renvoi est déjà décidé. Alors il fait ses adieux dans un texte fulgurant : « J'ai défendu M. Manet comme je défendrai dans ma vie toute individualité franche qui sera attaquée. Je serai toujours du parti des vaincus. Il y a une lutte évidente entre les tempéraments indomptables et la foule. Je suis pour les tempéraments et j'attaque la foule... Je me suis conduit en malhonnête homme, en marchant droit au but, sans songer aux pauvres diables que je pouvais écraser en chemin. Je voulais la vérité et j'ai eu tort de blesser les gens pour aller jusqu'à elle... J'ai cherché des hommes dans la foule de ces eunuques. Et voilà pourquoi je suis condamné. » Ce besoin de réhabiliter ceux que raille et insulte une multitude imbécile, ce courage qui le pousse à oublier sa quiétude personnelle par soif de justice et de vérité, Zola les porte en lui depuis sa plus tendre enfance. Chaque fois qu'il prend la défense de quelqu'un, il pense à son père, frustré de la gloire qu'il aurait méritée. Ayant rompu avec L'Événement, il réunit ses articles dans une brochure : Mon Salon. Le livre est dédié à Cézanne, dont Zola n'a pas parlé dans ses chroniques, considérant que son ami n'en était encore qu'au début de sa carrière. Il s'en explique en des termes qui ont dû blesser Cézanne : « Je ne t'ai pas cité dans le journal, je te dédie l'ouvrage. Tu es mon meilleur ami, mais en tant que peintre je réserve mon jugement. » Tout en collaborant régulièrement à L'Événement, Zola a tricoté un feuilleton : Le Vou d'une morte. Bien qu'il ait quitté le journal, c'est à Villemessant qu'il propose cette élucubration commerciale. Publié en novembre 1866, le roman tombe à plat. Auparavant, Zola a fait paraître chez Achille Faure un volume intitulé Mes haines, qui réunit quelques études virulentes sur des sujets littéraires et artistiques. Dans sa préface, il laisse libre cours à son intransigeance et découvre ainsi, avec rudesse, le fond de son caractère : « La haine est sainte, écrit-il. Elle est l'indignation des cours forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise. Haïr, c'est aimer, c'est sentir son âme chaude et généreuse, c'est vivre largement du mépris des choses honteuses et bêtes... Je hais les gens nuls et impuissants... Je hais les gens qui vont en troupeau... Je hais les railleurs malsains, les petits jeunes gens qui ricanent, ne pouvant imiter la pesante gravité de leurs papas... » Et ceci qui témoigne d'un orgueil farouche : « Si je vaux quelque chose aujourd'hui, c'est que je suis seul et que je hais. » En vérité, cette faculté de haine est contrebalancée par une non moins grande faculté d'amour. Dans ses admirations comme dans ses aversions, il va à l'extrême. Et cependant, cet homme qui combat, l'écume aux lèvres, pour ses idées n'apprécie rien tant que la tranquillité dans l'existence quotidienne. C'est un pantouflard enragé, un redresseur de torts au regard myope et aux reins enveloppés de flanelle. Après avoir vécu quelques années séparé de sa mère, il éprouve le besoin de la prendre chez lui et de la loger sous le même toit que sa maîtresse. Ils habitent tous les trois maintenant dans un appartement confortable, 1, rue Moncey1, aux Batignolles, avec salle à manger, salon, chambres à coucher, cuisine. Zola est fier d'avoir pu se payer ce luxe grâce à l'argent que lui rapportent ses articles. Emilie Zola accepte la liaison de son fils avec un rien de regret. Certes, cette Alexandrine est plutôt bonne fille. Elle sait tenir un ménage, faire la cuisine, ravauder le linge ; elle est sans doute fidèle ; elle ne dérange pas Emile dans son travail. Mais enfin, elle n'est pas belle, avec son corps lourd et son regard charbonneux. Au départ d'une carrière qui s'annonce brillante, Emile aurait pu trouver une femme plus gracieuse et qui, sans être une duchesse, sortirait d'un autre milieu. Ne va-t-il pas l'épouser sur un coup de tête ? Évidemment, il le faudrait par respect des convenances. Mais quel dommage pour l'avenir d'Emile! Cette ancienne blanchisseuse ne saura jamais tenir un salon ! Elle le tirera vers le bas au lieu de l'aider à s'élever ! Heureusement, il n'a pas l'air pressé de lui passer la bague au doigt. Tout en se gardant bien de critiquer Alexandrine devant son fils, Emilie souffre d'avoir à s'effacer devant une intruse. Alexandrine le sent et reste sur son quant-à-soi. Entre les deux femmes s'établit une tension courtoise, une muette rivalité dont Zola feint de ne pas s'apercevoir. Il a besoin que la paix règne dans la maison pour pouvoir écrire tout son soûl. Son plus cher désir est que les choses demeurent en l'état. Alexandrine, c'est pour lui la sécurité, la commodité, la tendresse. Il se laisse aimer plus qu'il n'aime. En la choisissant pour compagne, il a pris une assurance contre les débordements de la chair. En été, fuyant la grosse chaleur de Paris, il emmène Alexandrine à Bennencourt, au bord de la Seine. Là, les amis habituels se réunissent dans l'auberge de la mère Gigoux. La « colonie » compte, en plus du couple Zola-Alexandrine, le frêle Valabrè-gue, le tonitruant Cézanne, le doux Baille, le médiocre Chaillan, le fidèle Solari et quelques poupées faciles. Dans le cercle des francs lurons et des filles rieuses, Alexandrine fait bonne figure. On boit sec, on mange gras et, pour aider la digestion, on canote. Mme Zola est, bien entendu, restée à la maison. Elle est inquiète de savoir son fils toujours sur l'eau : « Par le vent qu'il fait, une petite barque est si vite renversée. » Souvent, c'est Alexandrine qui prend les rames. Après cet effort, toute la bande va se reposer à l'ombre des arbres, sur une petite île. La chaleur, le parfum de l'herbe, l'odeur fauve de sa maîtresse couchée à côté de lui grisent Zola au point qu'il en oublie un instant son travail pour jouir simplement de la vie. Rentré chez lui, il écrit à Numa Coste, un ami peintre qui fait son service militaire : « En somme, je suis satisfait du chemin parcouru. Mais je suis un impatient, je voudrais marcher encore plus vite... Alexandrine engraisse, moi je maigris un peu1. » « Marcher encore plus vite » ! Comme d'autres ont faim devant l'étalage des charcutiers, lui a faim devant la vitrine des libraires. Tous ces livres dont pas un n'est de lui ! Quand donc sera-t-il assez célèbre pour éclipser les autres écrivains ? Il voudrait être, à lui seul, toute la littérature française. |
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François Zola (1796 - 1847) |
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Portrait de François Zola | |||||||||