François-René de Chateaubriand |
On éprouve quelque confusion à aborder ce sujet, comme si l'on se sentait en train de commettre une double faute, de goût à l'égard d'un artiste, d'éducation envers un homme aussi bien élevé. Mais le sujet est devenu à la mode, on a cherché d'abord à identifier les inspiratrices, à découvrir leurs reflets sur des personnages imaginaires de l'ouvre, à ressaisir dans l'émotion de certaines pages la qualité du sentiment qui les avait éveillées. Cette transposition de la femme aimée dans une figure de rêve, procédé habituel aux poètes et aux romanciers, prend chez Chateaubriand quelque chose de sublime et de discret à la fois. Il a prêté aux filles de son imagination : Atala, Amélie, Cymodocée, Velléda, Blanca, une grande ferveur de passion, nuancée de l'une à l'autre, et une certaine crainte devant le bonheur, presque un ascétisme de renoncement. Leurs amours contrariées le sont, en grande partie, à cause de l'idéal qu'elles portent en elles et qui les encourage au sacrifice. Aucune cependant n'est, à vrai dire, cornélienne. Elles sont préservées de trop de rigueur dans l'héroïsme - sauf peut-être la farouche Velléda - par on ne sait quelle tendresse et une douceur un peu larmoyante. Traduisent-elles ainsi un souvenir ? Ont-elles le caractère d'une femme qui fut la préférée entre toutes ? Ou bien n'est-ce qu'un mirage, la figure irréelle de la Sylphide, magicienne toujours resurgissante dans les songes du poète ? On admet que l'ouvre littéraire, avant tout celle d'un poète, soit de création pure. Tout au plus, des arabesques brodées sur les souvenirs d'anciennes émotions : la réalité peut être fort loin. Il n'en va plus ainsi des Mémoires, où l'auteur devient l'historien de sa propre vie. Le lecteur attend des confidences. Toutefois, Chateaubriand le prévient qu'il n'apprendra pas tout. Même entraîné par l'exemple de Jean-Jacques, le mémorialiste se gardera d'imiter en tout son modèle, il ne parlera pas de toutes ses faiblesses, sa sincérité ne se confondra pas avec le cynisme. Ainsi nous connaissons de la vie privée et amoureuse de Chateaubriand bien plus de choses que les Mémoires n'en contiennent '. De quelles femmes, en effet, ceux-ci nous transmettent-ils le souvenir ? Avant tout de Madame Récamier 2. Chateaubriand l'a rencontrée et aimée assez tard. Elle fut l'incontestable amour de sa maturité, la douceur lumineuse de sa vieillesse, fraternelle et maternelle tout ensemble. Il a voulu lui consacrer un livre entier 3, la choisissant entre toutes les autres pour la présenter auprès de lui à la postérité. Commencés avant l'heure de leur mutuel attachement, les Mémoires d'Outre- Tombe n'auraient pas été ce qu'ils furent, sans Madame Récamier. Non seulement parce qu'elle en a inspiré des pages parmi les plus belles. A une certaine époque, elle en a préparé le succès par les lectures de l'Abbaye-aux-Bois, elle a soutenu l'effort de l'écrivain, au long des années de composition. Donc, Madame Récamier est la Dame des Mémoires. Le finale du livre à elle consacré, et qui parlait surtout de sa grâce et de sa bienfaisance, baigne dans une atmosphère presque religieuse : ... Je parlerai de l'asile solitaire. Un corridor noir séparait deux petites pièces; je prétendais que ce vestibule était éclairé d'un jour doux. La chambre à coucher était ornée d'une bibliothèque, d'une harpe, d'un piano, du portrait de Madame de Staël et d'une vue de Coppet au clair de lune. Sur les fenêtres étaient des pots de fleurs. Quand tout essoufflé, après avoir grimpé quatre étages, j'entrais dans la cellule aux approches du soir, j'étais ravi. La plongée des fenêtres était sur le jardin de l'Abbaye, dans la corbeille verdoyante duquel tournoyaient des religieuses et couraient des pensionnaires. La cime d'un acacia arrivait à la hauteur de l'oil. Des clochers pointus coupaient le ciel et l'on apercevait à l'horizon les collines de Sèvres. Le soleil couchant dorait le tableau et entrait par les fenêtres ouvertes. Madame Récamier était à son piano; l'angélus tintait; les sons de la cloche, qui semblait pleurer le jour qui se mourait : « il giorno pianger che si muore », se mêlaient aux derniers accents de l'invocation à la nuit, du Roméo et Juliette de Steibelt. Quelques oiseaux se venaient coucher dans les jalousies relevées de la fenêtre. Je rejoignais au loin le silence et la solitude, par-dessus le tumulte et le bruit d'une grande cité. Dieu, en me donnant ces heures de paix, me dédommageait de mes heures de trouble; j'entrevoyais le prochain repos que croit ma foi, que mon espérance appelle... ...En approchant de ma fin, il me semble que tout ce que j'ai aimé, je l'ai aimé dans Madame Récamier, et qu'elle était la source cachée de mes affections. Mes souvenirs de divers âges, ceux de mes songes, comme ceux de mes réalités, se sont pétris, mêlés, confondus pour faire un composé de charmes et de douces souffrances, dont elle est devenue la forme visible. Elle règle mes sentiments, de même que l'autorité du ciel a mis le bonheur, l'ordre et la paix dans mes devoirs. Je l'ai suivie la voyageuse par le sentier qu'elle a foulé à peine ; je la devancerai bientôt dans une autre patrie. En se promenant au milieu de ces Mémoires, dans les détours de la Basilique que je me hâte d'achever, elle pourra rencontrer la chapelle qu'ici je lui dédie ; il lui plaira peut-être de s'y reposer : j'y ai placé son image. Après elle, qui a droit à l'hommage ? Charlotte Ivcs, la pure jeune fille rencontrée au temps de l'exil, puis Pauline de Beaumont, l'hirondelle qui, dans la maison louée par elle à Savigny, pendant l'été 1801, copiait les citations dont Chateaubriand avait besoin pour le Génie du Christianisme, et le soir, par la fenêtre ouverte sur de beaux ciels, lui apprenait à connaître les constellations, Pauline de Beaumont dont les dernières semaines à Rome et la mort sont évoquées avec une douceur et une émotion infinies : Le mieux que l'air de Rome avait fait éprouver à madame de Beaumont, ne dura pas : les signes d'une destruction immédiate disparurent, il est vrai; mais il semble que le dernier moment s'arrête toujours pour nous tromper. J'avais essayé deux ou trois fois une promenade en voiture avec la malade ; je m'efforçais de la distraire, en lui faisant remarquer la campagne et le ciel : elle ne prenait plus goût à rien. Un jour, je la menai au Colysée ; c'était un de ces jours d'octobre, tels qu'on n'en voit qu'à Rome. Elle parvint à descendre, et alla s'asseoir sur une pierre, en face d'un des autels placés au pourtour de l'édifice. Elle leva les yeux ; elle les promena lentement sur ces portiques morts eux-mêmes depuis tant d'années, et qui avaient vu tant mourir ; les ruines étaient décorées de ronces et d'ancolies safra-nées par l'automne, et noyées dans la lumière. La femme expirante abaissa ensuite, de gradins en gradins jusqu'à l'arène, ses regards qui quittaient le soleil; elle les arrêta sur la croix de l'autel, et me dit : « Allons ; j'ai froid. » Je la reconduisis chez elle ; elle se coucha et ne se releva plus. Elles trois, entre toutes, ont mérité le monument littéraire. D'autres sont nommées cependant : il leur accorde quelques pages ou quelques lignes, et c'est par d'autres sources que nous les savons passionnément aimées. Ainsi Madame de Custine, née Delphine de Sabran, la reine des roses, héritière des longs cheveux de Marguerite de Provence, femme de saint Louis, dont elle avait du sang, châtelaine de Fervaqucs, ardente rivale de la pauvre hirondelle et dont certains traits ont dû reparaître dans Vclléda. Puis la duchesse de Mouchy, née Nathalie de Laborde, qui accueillit Chateaubriand en 1805 dans son domaine de Mérévillc et vint l'attendre en Espagne, quand il revint de Jérusalem. Après avoir inspiré peut-être Cymodocée, elle fut sans doute le modèle de Blanca, pour le Dernier Abencérage. A son sujet, les Mémoires, dans les extraits qu'on en connut du vivant même de leur auteur, proposaient une douloureuse et enchanteresse énigme. Sans prononcer de nom, Chateaubriand indiquait que ses préoccupations de voyageur n'avaient pas été uniquement celles du pèlerin : Mais ai-je tout dit dans /'Itinéraire sur ce voyage commencé au port de Desdemona et d'Othello? Allais-je au tombeau du Christ dans les dispositions du repentir? Une seule pensée m'absorbait : je comptais avec impatience les moments. Du bord de mon navire, les regards attachés sur l'Etoile du soir (comme LéandrE), je lui demandais des vents pour cingler plus vile, de la gloire pour me faire aimer. J'espérais en trouver à Sparte, à Sion, à Memphis, à Carthage, et l'apporter à l'Alhambra. Comme le cour me battait en abordant les côtes d'Espagne ! aurait-on gardé mon souvenir ainsi que j'avais traversé mes épreuves? que de malheurs ont suivi ce mystère ! Le soleil les éclaire encore ; la raison que je conserve me les rappelle. Si je cueille à la dérobée un instant de bonheur, il est troublé par la mémoire de ces jours de séduction, d'enchantement et de délire 6. Incomparable réussite d'artiste, celle d'indiquer ainsi que la femme aimée n'est plus de ce monde, mais non pas morte, puisque le soleil éclaire encore ses malheurs et de suggérer la nature de son mal par l'allusion à la raison que conserve celui qui parle d'elle. Encore une autre femme nommée, mais, comme Lucile la sour réelle avait été la compagne des premières années, c'était une sour spirituelle, dont la protection et les démarches pour lui assurer en 1814, 1815 et au-delà un rôle politique à sa mesure rendaient nécessaire une marque de gratitude : la duchesse de Duras, née Ker-saint. Tout cela s'était passé dans la période antérieure au règne de Madame Récamier. Une fois celle-ci rencontrée, sa souveraineté reconnue, il devenait difficile de parler des autres, il eût été indélicat envers elle de révéler qu'il y avait eu bien des incidences. Voilà pourquoi le nom de Madame de Castcl-lane n'est pas inscrit. Et pourtant! A l'époque du ministère des Affaires étrangères, Chateaubriand quinquagénaire s'éprit d'une passion ardente pour cette femme en pleine jeunesse, la seule qu'il ait tutoyée et dont il ait désiré un enfant. Liaison si peu cachée que Madame Récamier, s'effaçant devant sa rivale, alla réfugier sa peine en Italie. Il fallut la disgrâce de Chateaubriand pour qu'elle revînt et lui fît, dans une émouvante réconciliation, le don nouveau de l'ancienne amitié. Ainsi, même de ses amours avec des femmes de son monde, dont la beauté, la culture, la valeur personnelle s'étaient associées à sa passion pour inspirer son ouvre de poète, charmer et embellir des mois ou des années de sa vie, Chateaubriand délibérément n'a voulu rien dire ou ne rien dire que de discret. Cette réserve est celle d'un grand seigneur, mais elle révèle un trait de sa nature d'homme et d'artiste. Au niveau de son art, quand il trace un portrait pour la postérité, et aussi pour sa propre satisfaction, il admet les seules figures auxquelles il puisse prêter une consécration : moins amante qu'amie sublime, exceptionnelle en son destin, Madame Récamier ; Charlotte Ives, intacte et douce jeune fille qu'il avait respectée ; Madame de Beaumont, une malade qui venait mourir auprès de lui comme une sour. Tout cela, sans perdre de son charme, devient grave et noble. Mais la réalité ? Il était sensuel et jamais assouvi. Ce n'est plus un mystère pour personne qu'il s'éprenait de n'importe quelle femme, que, jusque dans un âge avancé, il ne s'interdisait point les passades, qu'il avait une manière singulière d'entretenir relations et correspondance avec plusieurs femmes dans les mêmes jours, les trompant toutes à la fois avec une suprême désinvolture. Dans sa passion pour Madame de Cas-tellane, il y eut place pour Madame Hamelin. Nous savons tout cela, à présent, et sur certaine liste, la perspicacité des historiens et des critiques ajoute inlassablement de nouveaux noms. Mais quoi ? S'agit-il de mieux connaître un écrivain et son ouvre ou de faire la chasse aux secrets d'un homme? Revenons à l'ouvre et reconnaissons néanmoins que, dans les Mémoires, il lui a plu, tout en se refusant à déclarer ses maîtresses, d'indiquer, en demi-teinte, le tendre intérêt que sans cesse lui inspira la femme. Par prétention, il laisse entendre qu'il aima et fut aimé dans sa jeunesse de bien des manières, qu'il eut au moins toutes les possibilités et les tentations, au sommet de sa gloire littéraire : Si je m'étais prostitué aux courtisanes de Paris, je ne me croirais pas obligé d'en instruire la postérité ; mais j'étais trop timide d'un côté, trop exalté de l'autre, pour me laisser séduire à des filles de joie. J'étais enseveli sous un amas de billets parfumés ; si ces billets n'étaient aujourd'hui des billets de grand'mères, je serais embarrassé de raconter avec une modestie convenable comment on se disputait un mot de ma main, comment on ramassait une enveloppe suscrite par moi, et comment, avec rougeur, on la cachait, en baissant la tête, sous le voile tombant d'une longue chevelure... ... Toute/ois je le dois dire : m'eût-il été facile d'abuser d'une illusion passagère, l'idée d'une volupté advenue par les voies chastes de la Religion révoltait ma sincérité : être aimé à travers le Génie du Christianisme, aimé pour l'Extrême-Onction, pour la Fête des morts ! Je n'aurais jamais été ce honteux tartuffe. Il évoque l'attrait qu'ont eu pour lui des femmes de sang royal. Ce n'était point vulgaire gloriole de courtisan ou de parvenu. Bossuet parlait du charme qui émane des personnes royales. Elles possédaient, aux yeux de Chateaubriand, une aura de romanesque et de merveilleux. Une séduction de femme et de reine était comme une perfection de la féminité. Telle lui parut à Berlin, en 1821, la duchesse de Cumberland, sour de la reine Louise, et qui devint plus tard reine de Hanovre, et telle à Rome, en 1829, la grande-duchesse Hélène de Russie. En son honneur, il donna une fête incomparable, dont l'évocation lui inspira un poème sur la grâce et l'attrait de la femme .. A la villa Médicis, dont les jardins sont déjà une parure et où j'ai reçu ce matin la grande-duchesse Hélène, l'encadrement du tableau est magnifique : d'un côté la villa Borghèse avec la maison de Raphaël ; de l'autre la villa de Monte-Mario et les coteaux gui bordent le Tibre ; au-dessous du spectateur, Rome entière comme un vieux nid d'aigle abandonné. Au milieu des bosquets se pressaient, avec les descendants des Paula et des Cornélie, les beautés venues de Naples, de Florence et de Milan : la princesse Hélène semblait leur reine. Borée, tout à coup descendu de la montagne, a déchiré la tente du festin, et s'est enfui avec des lambeaux de toile et de guirlandes, comme pour nous donner une image de tout ce que le temps a balayé sur cette rive. L'ambassade était consternée; je sentais je ne sais quelle gaieté ironique à voir un souffle du ciel emporter mon or d'un jour et mes joies d'une heure. Le mal a été promptement réparé. Au lieu de déjeuner sur la terrasse, on a déjeuné dans l'élégant palais : l'harmonie des cors et des hautbois, dispersée par le vent, avait quelque chose du murmure de mes forêts américaines. Les groupes qui se jouaient dans les rafales, les femmes dont les voiles tourmentés battaient leurs visages et leurs cheveux, la sartarella qui continuait dans la bourrasque, l'improvisatrice qui déclamait aux nuages, le ballon qui s'envolait de travers avec le chiffre de la fille du Nord, tout cela donnait un caractère nouveau à ces jeux où semblaient se mêler les tempêtes accoutumées de ma vie. Quel prestige pour tout homme qui n'eût pas compté son monceau d'années, et qui eût demandé des illusions au monde et à l'orage ! J'ai bien de la peine à me souvenir de mon automne, quand, dans mes soirées, je vois passer devant moi ces femmes du printemps qui s'enfoncent parmi les fleurs, les concerts et les lustres de mes galeries successives : on dirait des cygnes qui nagent vers des climats radieux. A quel désennui vont-elles? Les unes cherchent ce qu'elles ont déjà aimé, les autres ce qu'elles n'aiment pas encore. Au bout de la route, elles tomberont dans ces sépulcres toujours ouverts ici, dans ces anciens sarcophages qui servent de bassins à des fontaines suspendues à des portiques ; elles iront augmenter tant de poussières légères et charmantes. Ces flots de beautés, de diamants, de fleurs et de plumes roulent au son de la musique de Rossini qui se répète et s'affaiblit d'orchestre en orchestre. Cette mélodie est-elle le soupir de la brise que j'entendais dans les savanes des Florides, le gémissement que j'ai oui dans le temple d'Erechthée à Athènes? Est-ce la plainte lointaine des aquilons qui me berçaient sur l'Océan? Ma sylphide serait-elle cachée sous la forme de quelques-unes de ces brillantes Italiennes? Non : ma dryade est restée unie au saule des prairies où je causais avec elle de l'autre côté de la futaie de Combourg. Je suis bien étranger à ces ébats de la société attachée à mes pas vers la fin de ma course ; et pourtant il y a dans cette féerie une sorte d'enivrement qui me monte à la tête : je ne m'en débarrasse qu'en allant rafraîchir mon front à la place solitaire de Saint-Pierre ou au Colysée désert. Alors les petits spectacles de la terre s'abîment, et je ne trouve d'égal au brusque changement de la scène que les anciennes tristesses de mes premiers jours. Mais la femme du peuple ne l'intéresse pas moins ; que ce soit, dans sa jeunesse, la marinière de l'île Saint-Pierre avec un bouquet de bruyères sortant de son sein que modelait l'entoilage blanc de sa chemise, et dans sa vieillisse, la jeune Vénitienne qu'il invite à monter dans sa gondole et à dîner avec lui à la Giudecca, ou la Zanze qui lui prend une main qu'il ne retire pas, ou encore les servantes d'auberge des tardifs voyages de Suisse et d'Allemagne, celle de Lucerne à laquelle il offre des fleurs. Autant de discrètes allusions, d'aveux consentis, une complaisance à rappeler tout cela, fugitif et léger, mais qui, en passant, a flatté la vanité du séducteur. Bien malin celui qui découvrirait, s'il n'était informé surabondamment d'autre part, qu'Hortense Allait, nommée après Madame Tas-tu dans le chour moderne des femmes poètes, en prose et en vers, les Allari, les Waldor, les Valmore, les Segalas, les Revoil, les Mer-cour, etc., etc. : Castalidum turba, avait retenu dans ses enchantements imprudents et très charnels le vieil ambassadeur à Rome n et le retrouvait ensuite à Paris, à l'auberge de l'Arc-en-Ciel, près du Jardin des Plantes 12. L'épisode un peu obscur de la jeune Occitanienne a sa place dans les Mémoires, mais l'auteur s'y donne le beau rôle, celui d'un ami très sage et paternel, content de dire tout de même qu'il n'aurait tenu qu'à lui.... Il reste, pour finir, ces feuilles extraordinaires de « confession délirante » dérobées par « un indélicat auxiliaire », l'Agneau, connues de Sainte-Beuve, parvenues en 1852 à la Bibliothèque Nationale et qui forment le texte appelé aujourd'hui : Amour et Vieillesse. Elles rassemblent une sorte de poème sur l'amour et la vieillesse, puis l'ébauche d'un roman sur le même thème : le projet d'un vieux René: Objet charmant, je t'adore, mais je ne t'accepte pas. Va chercher le jeune homme dont les bras peuvent s'entrelacer aux tiens avec grâce ; mais ne me le dis pas. Oh ! non, non, ne viens plus me tenter. Songe que tu dois me survivre, que tu seras encore longtemps jeune quand je ne serai plus. Hier, lorsque tu étais assise avec moi sur la pierre, que le vent dans la cime des pins nous faisait entendre le bruit de la mer, prêt à succomber d'amour et de mélancolie, je me disais : Ma main est-elle assez légère pour caresser cette blonde chevelure? Que peut-elle aimer en moi? une chimère que la réalité va détruire. Et pourtant, quand tu penchas ta tête charmante sur mon épaule, quand des paroles enivrantes sortirent de ta bouche, quand je te vis prête à m'entourer de tes charmes comme d'une guirlande de fleurs, il me fallut tout l'orgueil de mes années pour vaincre la tentation de volupté dont tu me vis rougir. Souviens-loi seulement des accents passionnés que je te fis entendre, et quand tu aimeras un jour un beau jeune homme, demande-toi s'il te parle comme je te parlais et si sa plus grand'amour approchait jamais de la mienne. Et plus loin : Va chercher un amant digne de toi. Je pleure des larmes de fiel de te perdre. Je voudrais dévorer celui qui possédera ce trésor. Mais fuis environnée de mes désirs, de ma jalousie, et laisse-moi me débattre avec l'horreur de mes années et le chaos de ma nature où le ciel et l'enfer, la haine et l'amour, l'indifférence et la passion se mêlent dans une confusion effroyable. Fiction littéraire? L'accent de vérité éclate, trop poignant pour qu'on admette cette interprétation. Bien plutôt une lumière tragique, une preuve du déchirement entre une capacité de passion qui demeure intacte et l'impossibilité d'y céder, sans danger ou ridicule. Là est le drame du vieil homme. Et Madame de Chateaubriand, dans tout cela ? On a déjà cité le juste hommage à cette compagne indésirée, à cette veuve d'un vivant, comme l'a nommée Georges Collas, et qui devint, dans les dernières années surtout, collaboratrice sans avoir été inspiratrice. Voici maintenant la conclusion du portrait, qui peut être aussi une conclusion et une clef pour la vie amoureuse de Chateaubriand : Elle a rendu ma vie plus grave, plus noble, plus honorable en m'inspirant toujours le respect, sinon toujours la force des devoirs. |
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François-René de Chateaubriand (1768 - 1848) |
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