Georges Brassens |
Les nymphes sont installées sur le rebord de la vasque de la fontaine. Les unes rajustent leur chevelure sur le miroir d'eau, les autres folâtrent et se jettent des poignées d'eau sur la frimousse et les seins. Plus loin, les gouttes d'eau anthropomorphes se couchent dans le lit de la rivière. Solitaires ou par couples, les jeunes amoureux sommeillent éparpillés autour de la fontaine. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE que peigne Vénus Hotlentote. Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau Font dodo à la belle étoile Ou à l'enseigne de la lune Ou à l'hôtel des quatre vents Ou à l'auberge du bon Dieu. Non que le long des francs bords des cours d'eau Les lieux couverts où pernocter fassent défaut ! VÉNUS HOTTENTOTE Il y a les bateaux-lavoirs Et les moulins à l'abandon. YAMUBA-PIED-MENU Les arcades des aqueducs Et les chalands mis au rancart. ÉGÉRIE TOMAHAWK Sans oublier les gabions de chasseurs Les grottes des temps primitifs Ni surtout la maison de Jeanne. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Seulement quand le cour s'embrase Entre les draps soyeux de la reine des nuits Et que sur les épaules de la bien-aimée Coule une ardente chevelure de comète La volupté a des manières scrupuleuses Et les caresses qu'on échange se vouvoient... Un unique inconvénient Dans ce genre de résidence : L'abaissement du thermomètre. Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau Y obvient avec une aisance remarquable, Ils sautent carrément les mois Les mois lâches et imbéciles Qui chaque année donnent asile Au froid... Quelques pas d'élan et hop là De septembre on passe en avril Du dernier ramoneur gesticulant en noir A la première primevère « Je n'ai jamais aimé que vous » Ils se reprochent ce faisant D'escamoter du coup de gui l'an neuf, Les grandes orgues de Noël Et le vieillard munificent à barbe blanche Mais les enfants dont s'amourachent Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau Ne reçoivent point de cadeaux Faute d'être assidûment sages Et leur bonheur ne se tient pas dans ces parages. Deux chats, Maître Mitis et Grippeminaud, entrent encore tout engourdis de sommeil. Ils finissent de se chausser. MAÎTRE MITIS Moi je suis le potron Minet Foin de jour sans potron Minet ! GRIPPEMINAUD Moi je suis le patron Jacquet Foin de jour sans patron Jacquet ! MAÎTRE MITIS Potron ! GRIPPEMINAUD Patron ! MAÎTRE MITIS Minette ! GRIPPEMINAUD Jacquette ! MAÎTRE MITIS Moi je rime avec baronnet Avec jeunet, avec finet ! GRIPPEMINAUD Et moi je rime avec coquet Avec muguet, avec bouquet. maître mitis aux nymphes. Il oublie que patron Jacquet Rime aussi avec foutriquet. grippeminaud aux nymphes. Il oublie que potron Minet Rime aussi avec sansonnet. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Les matous sortent de leurs gonds. VÉNUS HOTTENTOTE Leurs regards jettent feu et flammes. YAMUBA-PIED-MENU Maître Mitis fait le gros dos. ÉGÉRIE TOMAHAWK Et Grippeminaud se hérisse. Les matous sont près de bondir l'un sur l'autre et de régler leur différend à coups de pattes et de dents. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Il faut à tout prix éviter la rixe. Elle pose l'index sur le front en signe de réflexion. Communiquons à chacun d'eux L'adresse d'une famille de rats. Maître Mitis, Maître Mitis ! Le chat s'approche d'elle. Elle lui parle à l'oreille. Au pied du quatrième arbre en aval. Le chai s'éloigne à toute allure. Grippeminaud, Grippeminaud ! Même manège. Au pied du quatrième arbre en amont. Le chat s'en va du côté opposé. La nymphe souriant aux trois autres : Les adresses sont fausses naturellement... Une alouette huppée entre en tirelirant. L'ALOUETTE Tire lire tire lire lire Tire lire tire lire Ion. Foin de matin sans tirelire. Elle se penche sur la vasque et buvotte. LE CHOUR DES NYMPHES Huppée, Parlouse ou Locustelle Ou Cochevis ou Rousseline Ou bien Pipele, ou bien Lulu, Alouette gentille alouette, Alouette nous t'attraperons ! L'ALOUETTE Tire lire, tire lire lire Gentes nymphes que me ferez-vous ? LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Moi je t'arracherai les ailes Pour grimper au septième ciel ! VÉNUS HOTTENTOTE Moi je t'arracherai les pattes Pour en fabriquer des grigris. YAMUBA-PIED-MENU Moi je t'arracherai les plumes Pour peindre des kakémonos. ÉGÉRIE TOMAHAWK Et pour gratter mon calumet Moi je t'arracherai le bec. Elles se précipitent vers l'oiseau qui se juche sur un mascaron de la fontaine. L'ALOUETTE Pas avant que le ciel ne tombe Pas avant que le ciel ne tombe Elle tirelire deux ou trois fois encore et tire un trait jusqu'au zénith. LE CHOUR DES NYMPHES La mauviette, c'était pour rire... Perché sur la dernière corne de la lune le coq Brahmapoutre picore Us premiers grains de lumière. LE COQ BRAHMAPOUTRE Cocorico, cocorico, Le coq Brahmapoutre c'est moi. Foin de jour sans coq Brahmapoutre. Cocorico, cocorico, Quoi qu'on en dise je préfère La perle au moindre grain de mil. Je me plais à rendre service. Souvent, je m'arrache la crête Pour l'offrir à des communiantes En quête de coquelicots. S'adressant aux nymphes : Des communiantes ou des nymphes... La nymphe de la mer Baltique, Par quatre fois il s'arrache la crête et la lance aux quatre nymphes. La Vénus Hottentote, Yamuba-Pied-Menu, Egérie Tomahawk. LE CHOUR DES NYMPHES Mille mercis coq adroit et matois Et Brahmapoutre en outre. LE COQ BRAHMAPOUTRE Cocorico, cocorico. Tous les cocoricos des alentours Sont nés de ma gorge tonnante Tous les coquelicots de ma crête incarnat. Chaque fois que le vieux de la montagne S'approprie le coq de l'église Je me mets à la disposition du curé Et j'accepte d'être vissé Sur le clocher en attendant qu'on ait Coulé le nouveau coq de bronze Que le vieux accaparera. Mon désir de me rendre utile Ne va néanmoins pas jusqu'à me faire agir Dans le sens du petit lapin oriental Qui se faisait cuire lui-même. On a beau me chercher partout Quand il est question de sacrifier Un coq à Esculape et nul ne me verra Jamais spontanément me mettre Dans la cocotte d'Henri quatre Le tenant de la poule au pot. Du temps que j'attachais de l'importance Aux vaines fumées de la gloire J'ai livré maints combats de coqs Et terrassé maints crève-cour Nègres soie et coucous de Rennes Cocorico, cocorico Ceci soit dit sans vanité. Les nymphes déambulent au milieu des jeunes amoureux endormis. Au loin sonne le premier coup des matines. LE CHOUR DES NYMPHES Frère Jacques Frère Jacques Dormez-vous Dormez-vous Sonnez les matines Sonnez les matines Ding, ding, dong Ding, ding, dong. Entre en voltigeant le spectre de Corne d'Aurochs grimé en musicien de la Samaritaine. Il tire de son chalumeau rustique les plus déplorables flonflons qui aient jamais écorché des oreilles. Il joue ensuite le réveil militaire et le chante. LE SPECTRE DE CORNE D'AUROCHS Soldat lève-toi (ter) Bien vite Soldat lève-toi (ter) Bientôt. Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau sortenl un à un du sommeil, qui bâillant, qui s'étirant, qui faisant le gros dos, qui se frottant les yeux. Ils conspuent le spectre, l'injurient, le sifflent. Ils lui lancent des épluchures à la tête. DES VOIX Sortez-le Chassez-le Noyez-le Pendez-le Confisquez-lui son chalumeau rustique, Envoyez-le à la caserne. Haro. LE SPECTRE DE CORNE D'AUROCHS C'est bien je regagne mon tertre funéraire Les vivants ne savent plus goûter l'ironie. Il s'enfuit en voltigeant sous l'averse de jurons et d'épluchures. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE les yeux au ciel. L'aube, l'aube, le soleil. VÉNUS HOTTENTOTE Il enjambe la colline. YAMUBA-PIED-MENU Il plonge dans la ravine. EGÉRIE TOMAHAWK Il inonde la vallée. Les nymphes flagellent à coups de fleurs les jeunes amoureux qui tardent à se lever. LE CHOUR DES NYMPHES Point de lard engeance apathique. Les êtres qui se lèvent tard sentent le rance. A la rivière à toutes jambes A la rivière, au bain, au bain. Les jeunes amoureux se prêtent volontiers aux exigences des nymphes et vont faire leurs ablutions sur un petit morceau de plage pompeusement nommé Deauville à cause d'une ou deux pincées de sable. La nymphe de la mer Baltique parodiant la coutume militaire fait l'appel. Elle lit les noms inscrits sur une feuille de lierre géante. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Huon-de-la-Saône. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Le vieux prophète de Cormeilles. UNE VODC Présent ! LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Le factotum Jean-Pierre ! une vorx Présent! LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Le charmant disciple d'Apelle, Mademoiselle Trois-Etoiles. une vont Absents ils accourront guilleret, guillerette Quand ils auront fini de se conter fleurette. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Robin-pëche-en-eau-de-boudin. une voix Présent ! LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Je vois le nain Onguent-Miton-Mitaine Je vois la fille du passeur d'Adam Je vois Fanchon, je vois Aline Je vois... Tandis que la nymphe continue son appel et que les appelés vont se jeter à la rivière, entrent les gouttes d'eau anthropomorphes. LES GOUTTES Un', deux, trois Quatre gouttes Quat', cinq, six, Le ruisseau... Six, sept, huit, La rivière Huit, neuf, dix, L'océan Dix, onz', douze, Le nuage. Un', deux, trois, Quatre gouttes. Les jeunes amoureux font leurs ablutions sous le regard attendri des nymphes. Quelques jeunes amoureuses sèchent assises dans des nénuphars. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE O cette gouttelette bleue Sur le nez d'une bien-aimée Assise dans un nénuphar. un jeune amoureux à sa bien-aimée. Les baisers appris avec toi Je les sais sur le bout de l'ongle Les baisers appris avec toi Je les sais sur le bout du doigt. LE CHOUR DES JEUNES AMOUREUX Les baisers appris avec toi Je les sais sur le bout de l'ongle Les baisers appris avec toi Je les sais sur le bout du doigt. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Un pinceau à travers la bouche, Un pinceau à travers le cour Et suivi de Mademoiselle Trois-Etoiles Arrive à l'impourvu Renot Le charmant disciple d'Apelle... Le voici qui de but en blanc Plante son chevalet sur l'eau. - Cher homme, il s'inquiète si peu des convenances Et traduit l'ombre d'un baiser dans son langage, Image hors ligne et hors commerce il va sans dire. Les jeunes amoureux s'ébattent à tel point que la plupart des plantes et des animaux aquatiques projettent de s'expatrier. Les nymphes courent après les cygnes, les canards, les libellules, les poissons et les moucherons qui s'enfuient et les ramènent à leur place. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE aux animaux. Ne craignez rien, fragiles bêtes Que leur turbulence effarouche Ils sont parfaitement honnêtes, Ils ne sauraient faire de mal à une mouche. S'il arrive par aventure Qu'une Aline ou qu'une Fanchon S'établisse à cheval sur une libellule En partance pour le point culminant des joncs Ne criez pas à la crapule, Ce n'est jamais sans le gré de l'insecte... A peine si ces frêles sylphides au reste Pèsent quatre grains de scrupule ; A l'égard de la densité Elles ont tant de parenté Avec la gaze et l'amadou Que les bonnes mamans Des vilains garnements Qui se blessent à tout Bout de champ les genoux Dans leurs ébats Acroba- Tiques Envisagent parfois de les accommoder Au pansage des Ecorchures. En l'occurrence, je vous jure Leur vie ne tient plus qu'à un fil On a du mal à les arracher au péril Les empêcher de finir en charpie Sous les griffes de ces harpies. LES VILAINS GARNEMENTS Bonnes mamans on est blessé Bonnes mamans on est tombé Sur un tesson de bouteille. LES BONNES MAMANS Ah mon Dieu ! LES VILAINS GARNEMENTS On va mourir bonnes mamans Conservez vos petits enfants. LES BONNES MAMANS Par les dents gâtées qui nous restent Et par le sang de Jésus-Christ Il nous faut arracher ces enfants à la mort. Elles viennent d'apercevoir Aline et Fanchon qui s'avancent légères. Voici venir de la gaze qui marche. Elles se ruent sur les deux jeunes amoureuses, leur passent des crocs-en-jambe, les jettent à terre et entreprennent de les réduire en charpie. ALINE ET FANCHON se débattant désespérément. Ohé ohé les jeunes amoureux Venez nombreux, venez bien vite Sauver Fanchon Sauver Aline Leur vie ne tient plus qu'à un fil Atropos ouvre ses ciseaux Ohé, ohé les jeunes amoureux Venez nombreux, venez bien vite Sauver Fanchon Sauver Aline, Leur éviter de finir en charpie Sous les griffes de ces harpies. Les bonnes mamans s'acharnent sur leurs victimes. LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Du pied du col de la Furka jusqu'en Camargue, Des Pyrénées espagnoles jusqu'à Royan, De Saint-Germain source Seine jusqu'à Honfleur Et du mont Gerbier-de-Jonc jusqu'à Saint-Nazaire, Ainsi que de n'importe où jusqu'à n'importe où La nouvelle s'élance comme un ricochet, Le vent l'emporte sur ses ailes Et la passe à un marinier. VÉNUS HOTTENTOTE Le marinier la prend dans sa péniche Et la passe à un éclusier. « Aline et Fanchon tirent à leur fin. » YAMUBA-PIED-MENU L'éclusier la passe au meunier « Aline et Fanchon tirent à leur fin. » ÉGÉRIE TOMAHAWK Le meunier la passe aux oiseaux Qui séjournent sur son beffroi « Aline et Fanchon tirent à leur fin. » LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Et les oiseaux s'en vont à tire-d'aile Porter partout la terrible nouvelle. Les nymphes imitent le vol et le cri des habitants du ciel. LE CHCEUR DES NYMPHES « Aline et Fanchon tirent à leur fin Aline et Fanchon tirent à leur fin. » LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE S'arrêtant de danser dans l'eau Ou de faire des ricochets Ou encore de chevaucher des demoiselles, Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau A pied, à cheval, en péniche ou à la nage Convergent sans retard vers le champ de carnage, Apportent le salut aux agnelles pascales, Les cajolent, leur font cadeau Des meilleures pointes d'asperges Et les ayant assises dans des nénuphars Ils font des ricochets pour leur être agréables. Alors corrompu à prix d'or Par les zoomanes séniles De la Société protectrice des animaux, Le mercenaire à tant le mot De la gazette des scandales Glisse dans la cervelle atone Des fidèles de ses colonnes Une calomnie de nature A jeter la défaveur sur Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau Sans fiel au demeurant envers les bêtes Sans en ôter un iota, Voici l'archétype des contes De ma mère l'oie que le scribe Verse à torrents sur ses pratiques. La nymphe déplie la feuille publique et lit à haute voix : « Les fléaux du genre équidé. » Elle s'adresse aux jeunes amoureux : C'est vous mes petits « les fléaux ». Elle lit : « Les fléaux du genre équidé » Soit notoire à chacun que ces jeunes barbares En rupture de préhistoire Ces jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau Sous l'ombre de l'hydrographie (sic) Sous le couvert du ricochet Déciment nos chevaux des chemins de halage. LA NYMPHE abaissant le journal. Notons qu'à ses repas le scribe est hippophage. Elle lit : On ramasse une pierre plate, - Une de ces pierres qu'à l'âge Paléolithique on taillait En vue de fabriquer des haches - On prend un oil d'agneau sans tache, On fait semblant de viser la surface De la rivière... et le coup part Et comme par hasard, Comme par Maladresse, le projectile Va traverser de part en part Le flanc d'un mammifère périssodactyle - Faut-il pas mériter les sommes rondelettes Venant de la boite à Perette Le trust des marchands de péniches Automobiles LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE brandissant la gazette : Et d'étayer avec sang-froid Ce procès-verbal inexact De documents photographiques Où le prétendu point d'impact Est signalé par une croix Elle jette la gazette. Et d'interviewer pour la frime Quelqu'une de ces prétendues victimes Séduites l'on s'en doute A coup de Picotin, A coups d'ignobles dithyrambes Par exemple : « Votre crottin Même en jouant dessous la jambe Fait du meilleur engrais que celui du voisin Le cheval de l'Apocalypse. » Les balourds Les individus faits à la diable, Les figurants, Les pupazzi, Les « regardez-moi quand je passe » Les pleins d'eux-mêmes à leur place Se dresseraient sur leurs ergots Et députeraient tout de go Leurs témoins au sale Jacquot Colporteur d'échos Apocryphes, Dispensateur de coups de griffes Ternisseur de réputation... Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau Ne prêtent aucune espèce d'attention Aux cris publics, aux riens sonores eux La bouillie pour les chats leur est inférieure On ne s'amuse pas à mettre Flamberge au vent devant un gendelettre Quand on a les grandes eaux de Versailles Dans la tête. Remue-ménage, tohu-bohu, clameurs parmi les jeunes amoureux. Visant à méduser les jeunes amoureuses Qui écrivent sur l'eau, les jeunes amoureux Qui écrivent sur l'eau font quelquefois semblant D'être de méchants cachalots Venus des lointains océans Décimer la gent des sirènes. VÉNUS HOTTENTOTE Après s'être plongés au fond Ils remontent à la surface Avec un bout de goémon Collé à la hâte à la face En manière de moustache de cétacé - Ces monstres n'ont pas de moustache et on le sait. YAMUBA-PIED-MENU Lors fendant l'eau jusqu'à la grève A grand renfort de grimaces horribles De singuliers reniflements, Ces cachalots nageant l'over arm stroke Et la nage de la grenouille Et celle du simple toutou Vont dévorer voracement Les pieds menus des filles d'Eve Assises dans des nénuphars Et leurs ébats provoquent des raz de marée. ÉGÉRIE TOMAHAWK Du fait les pécheurs orthodoxes Les considèrent comme des salops Ou, pour être plus véridiques : des cochons D'abord parce que ça rime riche avec bouchons Et puis à cause des difficultés sans nombre Qu'ils trouvent à s'accommoder Sur l'orthographe du vocable A double forme qu'est « salaud ». LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Les uns penchent pour « op » Et les autres pour « aud ». VÉNUS HOTTENTOTE Certains mêmes, des patapoufs Qui décidément penchent trop YAMUBA-PIED-MENU Finissent par tomber dans l'onde en faisant « plouf ». ÉGÉRIE TOMAHAWK La fille du passeur d'Adam, le lendemain Ramène leur cadavre au bout de son harpin. les pêcheurs penchant pour « op ». C'est à cause du féminin ; Tandis que salaud fait salaude Salop faisant salope est plus péjoratif. les pêcheurs penchant pour « aud ». Plus péjoratif, c'est hors de conteste, Mais infiniment plus agreste. les pêcheurs penchant décidément trop. Glou glou glou glou glou glou Glou glou glou glou glou glou ! LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE En marge des fanatiques Du plaisir halieutique Il se trouve un galopin Qui se nomme Armand Robin. Suivies des jeunes amoureux les nymphes approchent à pas de velours de Robin-pêche-en-eau-de~boudin, lequel guette son bouchon dans le bief du moulin. Il leur fait un signe qui peut se traduire par : « N'amortissez pas le bruit de vos pieds; au contraire... » LA NYMPHE DE LA MER BALTIQUE Il se trouve un galopin Qui se nomme Armand Robin Qui pêche pour rien, qui pêche Pour rire et n'est pas de mèche Avec les vieux polissons Qui s'en prennent aux poissons. VÉNUS HOTTENTOTE Plongeant dans l'onde sa ligne Avec une joie maligne II pêche, mais chut, motus Tout un tas de détritus. YAMUBA-PIED-MENU Les bouts de bois, les savates Les seaux ÉGÉRIE TOMAHAWK les vieilles cravates VÉNUS HOTTENTOTE Les pneus YAMUBA-PIED-MENU les cerceaux rouilles LA PILLE DU PASSEUR D'ADAM avec une pointe de jalousie. Les cadavres de noyés. HUON-DE-LA-SAÔNE, LE VIEUX PROPHÈTE DE CORMEILLES, LE FACTOTUM, LE CHARMANT DISCIPLE D'APELLE Ils scandent leurs paroles. Un-jour-il-ra-mè-ne-in-tacte La-co-pie-con-for-me-à-1'ac-te Qui-pro-cla-me-er-d'en-bâ-ton Dab-bonne-ne-An-dré-Bre-ton Mern-bre-sous-ca-pe-à-l'an-glai-se De-l'A-ca-dé-mie-Fran-çai-se. JEANNE DE BRETAGNE Quelquefois, pour se distraire Le hasard type arbitraire Accroche à son hameçon Une sorte de poisson. MADEMOISELLE TROIS-ETOILES Lors, ce galopin décroche La pauvre petite Loche LE CHARMANT DISCIPLE D'APELLE Si c'en est une, bien sûr ! MADEMOISELLE TROIS-ÉTOILES Et la replonge en ses murs. LE CHOUR DES NYMPHES ET DES JEUNES AMOUREUX Afin de prouver qu'il pêche Pour rire et n'est pas de mèche Avec les vieux polissons Qui s'en prennent aux poissons. Les jeunes amoureux qui écrivent sur l'eau acclament chaleureusement Robin-pêche-en-eau-de-boudin et le portent en triomphe. Ils lancent des épluchures à la tête des pêcheurs orthodoxes se sauvant sous l'averse et vont participer à la ronde des gouttes d'eau anthropomorphes qui chantent toujours la même antienne, les quatre nymphes à cheval sur leurs épaules. LES GOUTTES Un', deux, trois, Quatre gouttes, Quat', cinq, six, Le ruisseau, Six, sept, huit, La rivière, Huit, neuf, dix, L'océan, Dix, onz', douze, Le nuage, Un', deux, trois, Quatre gouttes, Quat', cinq, six, |
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Georges Brassens (1921 - 1981) |
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Portrait de Georges Brassens | |||||||||
BiographieJeune, Georges Brassens, fils de maçon, n'aime guère l'école hormis les cours de lettres qui lui apprennent l'amour de la poésie. En 1940, il vit à Paris et travaille comme tourneur au sein de l'usine Renault. Parallèlement, il commence à composer, mais le STO le condamne à partir pour Allemagne. De fait, ses camarades déportés constituent son premier public. Après la guerre, il devient anarchiste |
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