Gérard de Nerval |
J'eus à peine deux heures d'un sommeil tourmenté; je ne revis pas les petits gnomes bienfaisants; ces êtres panthéistes, éclos sur le sol germain, m'avaient totalement abandonné. En revanche, je comparaissais devant un tribunal, qui se dessinait au fond d'une ombre épaisse, imprégnée au bas d'une poussière srolastique. Le président avait un faux air de M. Nisard; les deux assesseurs ressemblaient à M. Cousin et à M. Guizot, mes anciens maîtres. Je ne passais plus, comme autrefois, devant eux mon examen en Sor-bonne. J'allais subir une condamnation capitale. Sur une table étaient étendus plusieurs numéros de Magazines anglais et américains, et une foule de livraisons illustrées à four et à six pence, où apparaissaient vaguement les noms d'Edgar Poe, de Dickens, d'Ains-worth, etc., et trois figures pâles et maigres se dressaient à droite du tribunal, drapées de thèses en latin imprimées sur satin, où je crus distinguer ces noms : Sapienlia, Elhica, Grammalica-. Les trois spectres accusateurs me jetaient ces mots méprisants : « Fantaisiste! réaliste!! essayiste!!! » Je saisis quelques phrases de l'accusation, formulée à l'aide d'un organe qui semblait être celui de M. Patin : « Du réalisme au crime il n'y a qu'un pas; car le crime est essentiellement réaliste. Le fanlaisisme conduit tout droit à l'adoration des monstres. Li'essayisme amène ce faux esprit à pourrir sur la paille humide des cachots. On commence par visiter Paul Niquet, on en vient à adorer une femme à cornes et à chevelure de mérinos, on finit par se faire arrêter à Crespy pour cause de vagabondagf p' dp troubadourisme exagéré!... » J'essayai de répondre : j'invoquai Lucien, Rabp-lais, Érasme et autres fantaisistes classiques. Je sentis alors que je devenais prétentieux Alors, je m'écriai en pleurant : « Confiteor ! plangor .'juro.'... - Je jure de renoncer à ces ouvres maudites par la Sorbonne et par l'Institut : je n'écrirai plus que de l'histoire, de la philosophie, de la philologie et de la statistique... On semble en douter... eh bien, je ferai des romans vertueux et champêtres, je viserai aux prix de poésie, de morale, je ferai des livres contre l'esclavage et pour les enfants, des poèmes didactiques... des tragédies! Des tragédies!... Je vais même en réciter une que j'ai écrite en Seconde, et dont le souvenir me revient... » Les fantômes disparurent en jetant des cris plaintifs. |
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Gérard de Nerval (1808 - 1855) |
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Portrait de Gérard de Nerval | |||||||||
Biographie / chronologie1808. OuvreSi l'on excepte divers ouvrages dramaturgiques (Lara, 1833!; Léo Burckhart, 1839), l'ouvre de Nerval est essentiellement romanesque et poétique. |
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