Gérard de Nerval |
La pension que j'habitais avait un voisinage de jeunes brodeuses. L'une d'elles, qu'on appelait la Créole, fut l'objet de mes premiers vers d'amour; son oil sévère, la sereine placidité de son profil grec, me réconciliaient avec la froide dignité des études; c'est pour elle que je composai des traductions versifiées de l'ode d'Horace A Tyndaris1, et d'une mélodie de Byron, dont je traduisais ainsi le refrain : Dis-moi, jeune fille d'Athènes, Pourquoi m'as-lu ravi mon cour*? Quelquefois, je me levais dès le point du jour et je prenais la route de, courant et déclamant mes vers au milieu d'une pluie battante. La cruelle se riait de mes amours errantes et de mes soupirs ! C'est pour elle que je composai la pièce suivante, imitée d'une mélodie de Thomas Moore : Quand le plaisir brille en les yeux Pleins de douceur et d'espérance *... J'échappe à ces amours volages pour raconter mes premières peines. Jamais un mot blessant, un soupir impur, n'avaient souillé l'hommage que je rendais à mes cousines. Héloïse, la première, me fit connaître la douleur. Elle avait pour gouvernante une bonne vieille Italienne qui fut instruite de mon amour. Celle-ci s'entendit avec la servante de mon père pour nous procurer une entrevue. On me fit descendre en secret dans une chambre où la figure d'Héloïse était représentée par un vaste tableau. Une épingle d'argent perçait le noud touffu de ses cheveux d'ébène, et son buste étincelait comme celui d'une reine, pailleté de tresses d'or sur un fond de soie et de velours. Éperdu, fou d'ivresse, je m'étais jeté à genoux devant l'image; une porte s'ouvrit, Héloïse vint à ma rencontre et me regarda d'un oil souriant. - « Pardon, reine, m'écriai-je, je me croyais le Tasse aux pieds d'Éléonore, ou le tendre Ovide aux pieds de Julie!... » Elle ne put rien me répondre, et nous restâmes tous deux muets dans une demi-obscurité. Je n'osai lui baiser la main, car mon cour se serait brisé. - 0 douleurs et regrets de mes jeunes amours perdues, que vos souvenirs sont cruels! « Fièvres éteintes de l'âme humaine, pourquoi revenez-vous encore échauffer un cour qui ne bat plus? » Héloïse est mariée aujourd'hui; Fanchette, Sylvie et Adrienne sont à jamais perdues pour moi : - le monde est désert. Peuplé do fantômes aux voix plaintives, il murmure des chants d'amour sur les débris de mon néant! Revenez pourtant, douces images f j'ai tant aimé, j'ai tant souffert! « Un oiseau qui vole dans l'air a dit son secret au bocage, qui l'a redit au vent qui passe, - et les eaux plaintives ont répété le mot suprême : - Amour! amour! » |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Gérard de Nerval (1808 - 1855) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Gérard de Nerval | |||||||||
Biographie / chronologie1808. OuvreSi l'on excepte divers ouvrages dramaturgiques (Lara, 1833!; Léo Burckhart, 1839), l'ouvre de Nerval est essentiellement romanesque et poétique. |
|||||||||