Gérard de Nerval |
Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval (1808-1855) mt> comme l'a indiqué Albert Béguin, « longtemps confondu avec la petite troupe des romantiques mineurs ». Il s'en détacha 1 « vers la fin du siècle pour devenir peu à peu ce précurseur aventuré cent ans plus tôt sur les chemins de la poésie moderne ». Aujourd'hui, reconnu par tous, chacun a, selon ses goûts, dégagé son Gérard de Nerval à lui : le chantre du Valois à la recherche des fuyantes images de jeunes filles aimées et disparues; le narrateur à'Aurélia, observateur éveillé de sa vie onirique cher comme Rimbaud et Lautréamont aux surréalistes; le poète ésotérique héritier des vieilles et mystérieuses traditions qu'étudieront longuement et profondément René Daumal, Rolland de Renéville, Georges Le Breton, Jean Richer surtout; le bousingot de Francis Dumont; le poète de Mortefontaine et Ermenonville qu'aime Francis Carco. Il est le point d'incidence de tant de lectures qui le marqueront; comme dit encore Béguin : « D'Apulée à Nodier, de Ronsard aux poètes romantiques, des mystagogues de la Renaissance à Court de Gébelin, on ne voit pas ce qu'il aurait ignoré! » Or, une part de Gérard de Nerval échappe toujours à l'analyse des chercheurs les plus perspicaces. Il reste toujours un poète secret, aussi secret que le mystère de sa mort, et la psychanalyse, le recours à la mythologie, aux lectures initiatiques, aux souvenirs ne révèle pas tout : la poésie de ce fascinant résiste à l'explication parce qu'elle est la plus pure poésie, celle qui s'invente elle-même. Ses admirateurs retiennent essentiellement les Filles du Jeu, Pan-dora, Aurélia, les Contes, pour la prose, et pour la poésie les sonnets des Chimères, les Odelettes, des Poésies diverses. Il semble convenu d'oublier les recueils inférieurs comme la France guerrière, les Satires, les Élégies nationales, les essais dramatiques et les ouvres écrites en collaboration avec Gautier, Dumas, Monjou, Alboize, Coignard, Lopez, Maquet ou Méry. Il existe une ouvre immense de ce Gérard qui passait pour un flâneur, voire pour un paresseux. Sans doute a-t-on eu raison d'épurer, de garder le meilleur, de séparer l'ivraie du bon grain. C'est dans le sens du poète lui-même qui a parlé de ses poncifs passés. Mais on ne peut ignorer cet ensemble et le cacher honteusement. L'ouvre du poète d'avenir, celle qui nous est livrée aujourd'hui, est quantitativement réduite : une vingtaine de sonnets (mais quels sonnets!), des odelettes et des poésies diverses qui pâlissent devant les Chimères. Chez Nerval, le poète est un tout, le poète est partout : dans le cycle autobiographique du souvenir comme dans les poèmes et comme dans la vie. « Tout, chez lui, est ouvre de poète » dit justement Albert Béguin. Gérard Son père, Etienne Labrunie, est un ancien soldat de la République qui, devenu chirurgien, suit la Grande Armée accompagné de sa femme, Marie-Antoinette Laurent, fille d'un marchand de lingeries du quartier Saint-Eustache. En 1810, elle meurt en Silésie. Le petit Gérard a été confié à un oncle aubergiste à Mortefontaine. Lorsque son père revient en 1814 après avoir été prisonnier en Russie, il emmène l'enfant à Paris. Externe au Lycée Charlemagne, Gérard eut pour condisciple Théophile Gautier avec qui il noua, selon ce dernier « une de ces amitiés d'enfance que la mort seule dénoue ». If ne s'éloigne pas du Valois où il passe ses vacances, y rencontrant ces jeunes filles en fleurs et ces jeunes femmes qui habitent une ouvre à la recherche de la femme idéale, aussi rêvée que réelle. A dix-huit ans, Gérard publie ses premiers vers : ainsi, les Élégies nationales où il célèbre Napoléon. Il n'est alors qu'un des suiveurs de l'abbé Delille dont il prend le ton didactique et de Casimir Delavigne dont il a la pesanteur. Ses plaquettes montrent un néo-classique jouant de la lyre académique, avec des passages qu'imprègne le sens de la satire humoristique. Il ne serait alors qu'un poète de concours académiques s'il ne rencontrait le Faust de Goethe dont il entreprend la difhcultueuse traduction. Sans cesse, il voudra rivaliser avec le grand poète allemand. Le personnage de Faust le hante. Il est récompensé par l'opinion de Goethe lui-même : « Il ne m'est plus possible de lire Faust; mais dans cette traduction française tout reprend nouveauté, fraîcheur et esprit. » Dans la célèbre Ballade du roi de Thulé, Gérard a su restituer la naïveté de la vieille poésie allemande et son fantastique symbolique et sentimental : Il était un roi de Thulé A qui son amante fidèle Légua, comme souvenir d'elle, Une coupe d'or ciselé. C'était un trésor plein de charmes Où son amour se conservait : A chaque fois qu'il y buvait Ses yeux se remplissaient de larmes. Voyant ses derniers jours venir, Il divisa son héritage, Mais il excepta du partage La coupe, son cher souvenir. Il fit à la table royale Asseoir les barons dans sa tour; Debout et rangée alentour. Brillait sa noblesse loyale. Sous le balcon grondait la mer. Le vieux roi se lève en silence, Il boit, - frissonne, et sa main lance La coupe d'or au flot amer! Il la vit tourner dans l'eau noire, La vague en s'ouvrant fit un pli, Le roi pencha son front pâli... Jamais on ne le vit plus boire. Nous sommes à un degré de qualité autre que celui des vers napoléoniens : Les Bardes bien longtemps le rediront encore Jusqu'à ce qu'un mortel favorisé des deux Le chante sur un luth sonore... Sa traduction de Goethe vaut à Gérard une immense popularité. Il est présenté à Victor Hugo, il a des amis parmi les poètes, parmi les artistes comme Célestin Nanteuil et Jehan Duseigneur. Entre 1827 et 1830, Gérard loue Béranger sous le pseudonyme de Louis Gerval (il aura d'autres pseudonymes comme Fritz, Aloysius Block, Cadet Roussel, Beuglant, le père Gérard, etc.). Il travaille à une adaptation de Han d'Islande pour le théâtre. Il compose une anthologie : Poésies allemandes de Klopstock, Goethe, Schiller, Bûrger... « De cette familiarité avec Goethe, Uhland, Burger, L. Tieck, dit Théophile Gautier, Gérard conserva dans son talent une certaine teinte rêveuse qui put faire prendre parfois ses propres oeuvres pour des traductions de poètes inconnus d'outre-Rhin. » Il connaît bien le fonds poétique français et publie une anthologie des poètes de la Pléiade dont la préface est significative de ses tendances. Gautier parle de cette pièce, le Prince des Sots qui semble nous reporter à cette queue du moyen âge qui subsiste à la Renaissance avec Pierre Gringore et Eloy d'Amerval. C'est une « grande dyablerie », un mystère gothique écrit comme il se doit en octosyllabes. Bientôt sera fondé le petit cénacle, noyau du mouvement « Jeune-France » qui fournira à Victor Hugo les francs-tireurs de la bataille à'Hemani. Bousingot et Jeune-France. Lorsque sonna le cor A'Hemani, c'est Gérard, comme on l'appelait alors, qui recruta les combattants. Qui étaient les amis de ce petit cénacle que Francis Dumont a comparé au groupe surréaliste? Laissons parler Théophile Gautier : « La réunion se composait habituellement de Gérard de Nerval, de Jehan Duseigneur, d'Augustus Mac-Keat, de Philothée O'Neddy (chacun arrangeait un peu son nom pour lui donner plus de tournurE), de Napoléon Tom, de Joseph Bouchardy, de Célestin Nanteuil, un peu plus tard, de Théophile Gautier, de quelques autres encore, et enfin de Pétrus Borel lui-même. Ces jeunes gens, unis par la plus tendre amitié, étaient les uns peintres, les autres statuaires, celui-ci graveur, celui-là architecte ou du moins élève en architecture. Quant à nous, comme nous l'avons dit, placé à l'Y du carrefour, nous hésitions entre les deux routes, c'est-à-dire entre la poésie et la peinture, également abominables aux familles. » Donnons les clefs : Augustus Mac-Keat, c'est Auguste Maquet; Philothée O'Neddy, c'est Théophile Dondey; Napoléon Tom est Thomas. A ces noms s'ajoutent ceux de Jules Vabre, de Léon Clo-pet et du romancier frénétique Alphonse Brot. Au romantisme de la pâleur se substitue celui de la couleur, du relief; l'orgiaque succède au mélancolique. La génération de 1830 a de la santé, les joues rouges comme le fameux gilet. La bohème est bruyante, échevelée, elle aime les jurons sonores : « Ah! massacre et malheur! honte et chaos! tison d'enfer! anathème et dérision! terre et ciel! tête et sang! » comme elle aime les prénoms à tournure médiévale : Aloysius, Pétrus, Elias, etc. Comme dit ChampHeury dans ses Vignettes romantiques, « l'orgie, c'était, avec la beauté et la richesse, la sensualité, la révolte contre la société, le délire des sens ». Et puis orgia rime avec Borgia. Victor Hugo n'est pas étranger à ce déchaînement qui s'annonçait avec les Orientales. Nos jeunes romantiques ont des poses de mousquetaires, de chevaliers médiévaux, de truands échevelés. On s'habille à la Marat. On cherche des tenues destinées à choquer ou épater l'ennemi : lebourgeois. Ces hippies du temps jadis sont ainsi décrits par Gautier, aux abords de l'Odéon, en un autre temps de contestation, alors que va avoir lieu la première à'Antony : « C'était une agitation, un tumulte, une effervescence dont on se ferait difficilement une idée aujourd'hui. Il y avait là des mines étranges et farouches, des moustaches en croc, des royales pointues, des cheveux mérovingiens [...], des pourpoints extravagants, des habits à revers de velours rejetés sur les épaules comme on en voit encore dans les lithographies de Devéria, des chapeaux de toutes les formes, excepté, bien entendu, de la forme usuelle. » Nous sommes loin, on le voit, du romantisme de Lamartine. Ces jeunes gens républicains manient donc l'excentricité, ils seront les littéraires bousingots, mot qui contient à la fois bouse (ordurE), bousin (bruiT) et désigne communément un chapeau de marin. Gautier dans son Histoire du romantisme a décrit ces personnages combattants en donnant une grande place à son ami Nerval. Le gentil Gérard, poète de l'opposition sous la Restauration, poète politique en 1830 écrit des ouvres qui surprendront ses admirateurs. Libéral, plus soucieux de révolution romantique que politique et sociale, peu apte à la lutte armée, il met quelque opportunisme peut-être à célébrer le Peuple dont il sait la puissance : - Le Peuple! - Trop longtemps on n'a vu dans l'histoire Pour l'ouvre des sujets que des rois admirés, Les arts dédaignant une gloire Qui n'avait pas d'habits dorés; A la cour seule était l'éclat et le courage. Et le bon goût et le vrai beau ; Les vêtements grossiers du peuple et son langage Faisaient rougir la mise et souillaient le pinceau... Il versifie ainsi comme il a versifié dans tant de poèmes oubliés : Adieux de Napoléon à la France, Complainte sur la mort de haut et puissant seigneur le droit d'aînesse, Complainte sur l'Immortalité de M. Bri-faut, les Hauts Faits des Jésuites..., ouvres de circonstance. En 1830, il oppose Napoléon aux nouveaux gouvernants en s'adressant à Victor Hugo : A bas! à bas, les petits hommes! Nous avons vu Napoléon! Petits! Tu l'as bien dit, Victor, lorsque du Corse Ta voix leur évoquait le spectre redouté. Montrant qu'il n'est donne qu'aux hommes de sa force De violer la liberté! Quelle que soit la bonne volonté de l'opposant Nerval, lorsqu'il s'adresse à Béranger, attaquant ici le pouvoir : Quand une secte turbulente, Levant sa tète menaçante, Brave les décrets souverains, Vous reste?, muets, sans vengeance, Et vous n'usez de la puissance Que pour combattre des refrains... on a quelque hâte à en venir au bon Nerval, celui que nous connaissons. Après 1830. Entre 1830 et 1832, Gérard de Nerval écrit des poèmes isolés comme Fantaisie qui est un chei-d'ouvre : Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et lunèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets! Or, chaque fois que je viens à l'entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit... C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit. Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs; Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens. Que, dans une autre existence peut-être, J'ai déjà vue... et dont je me souviens! Cette nostalgie de la vie antérieure se retrouvera chez Baudelaire. Durant la même période, Nerval traduit Jean-Paul et Hoffmann, recevant leur influence durable, le dernier concevant comme lui la liaison du rêve, de la poésie et de la folie comme moyen d'accéder à une réalité invisible. En 1832, sa participation à une manifestation estudiantine lui fait connaître la prison à Sainte-Pélagie, ce qui lui dicte un poème, Politique, où l'on sent ce goût de la chanson cher à Musset et dans lequel Verlaine est déjà présent : Dans Sainte-Pélagie, Sous ce règne élargie, Où, rêveur et pensif. Je vis captif. Pas une herbe ne pousse Et pas un brin de mousse Le long des murs grillés Et frais taillés! Oiseau qui fend l'espace... Et toi, brise, qui passe Sur l'étroit horizon De la prison. Dans votre vol superbe, Apportez-moi quelque herbe. Quelque gramen, mouvant Sa tête au vent! La même année, ayant commencé des études de médecine, il peut aider à la lutte contre l'épidémie de choléra. En 1833, anonymement, il donne un poème à Pétrus Borel pour qu'il le place en exergue de Champavert, contes immoraux. Là, apparaît un Gérard (car Borel a indiqué l'auteur : GérarD) sur-romantique préparant un jardin pour fleurs vénéneuses : Car la Société n'est qu'un marais fétide Dont le fond, sans nul doute, est seul pur et limpide Mais où ce qui se voit de plus sale, de plus Vénéneux et puant, vient toujours par-dessus! Et c'est une pitié! C'est un vrai fouillis d'herbes Jaunes, de roseaux secs épanouis en gerbes, Troncs pourris, champignons fendus et verdissants, Arbustes épineux croisés dans tous les sens, Fange verte, écumeuse et grouillante d'insectes, De crapauds et de vers, qui de rides infectes Le sillonnent, le tout parsemé d'animaux Noyés, et dont le ventre apparaît noir et gros. Cela que nous citons après Francis Dumont ne représente guère le Nerval des anthologies. C'est pourtant le temps où il écrit de petites pièces qui seront publiées plus tard, et qui révèlent son génie poétique. Le petit cénacle sera dissous. Nerval ne publie guère. Peut-être se consacre-t-il à ses études de médecine. En 1834, il hérite de son grand-père une petite fortune; il en profite pour voyager; il connaît l'éblouissement de l'Italie. Au retour, il s'installe impasse du Doyenné et mène avec ses amis artistes cette joyeuse vie qu'il a immortalisée sous le nom de « Bohème galante » : c'est là qu'on reçoit les jolies filles, les Cydalises. Où sont nos amoureuses? Elles sont au tombeau : Elles sont plus heureuses, Dans un séjour plus beau! Elles sont près des anges, Dans le fond-du ciel bleu, Et chantent les louanges De la mère de Dieu Ô blanche fiancée! Ô jeune vierge en fleur! Amante délaissée Que flétrit la douleur! L'éternité profonde Souriait dans vos yeux... Flambeaux éteints du monde, Rallumez-vous aux cieux! Nerval ne leur voue sans doute qu'un amour rêvé. Amoureux sans espoir de l'actrice Jenny Colon, peut-être à la manière chaste des poètes renaissants, il crée pour la louer une revue luxueuse, le Monde dramatique, en 1835, qui tombera l'année suivante, emportant dans sa chute le reste de l'héritage. Dès lors, le poète gagne sa vie par le journalisme. Il travaille à des pièces, en projette d'autres, se rend en Belgique et en Angleterre en compagnie de Théophile Gautier. Une pièce écrite pour Jenny Colon, en collaboration avec Dumas, Piquillo, 1837, connaît le succès. Il écrit de bouleversantes Lettres àjenny Colon, mais cette dernière lui préfère un flûtiste. Le rêve et la vie ne peuvent s'unir. Il collabore avec Alexandre Dumas pour Léo Burckart, 1839, où sa personnalité se révèle à travers le héros Frantz, pour Excursion au bord du Rhin, 1841. Au théâtre, il y a encore Caligula, l'Alchimiste. Il travaille à Lorely, puis avec Maquet au Roi de Bicêtre, à Emilie, entreprend le Voyage en Orient. A Vienne, il est tombé amoureux de la pianiste Marie Pleyel. Elle intercédera curieusement pour lui auprès de Jenny Colon, mais une dernière rencontre avec l'actrice sera décevante. Gérard travaille beaucoup, traduit encore les Allemands, entreprenant le Second Faust, les poèmes de Henri Heine avec lequel il s'est lié. Le 21 février 1841, il connaît les premiers signes de dérangement mental, les premières hallucinations. Il entre en clinique, rue de Picpus, puis chez le Dr Blanche à Passy. C'est le temps où Jules Janin fait l'épitaphe de son esprit, mais Gérard, durant des années, entre deux crises mentales, va étonner ses amis par son activité. Jenny Colon meurt et dès lors se mêle au mythe ner-valien de la femme rédemptrice. Gérard a voyagé en Orient,, il a fait mille lâches de librairie et de journalisme, il a élaboré mille projets de livres se métamorphosant sans cesse et n'aboutissant pas toujours, mais il y a les premiers sonnets des Chimères, 1844, le Roman tragique, 1844, le Marquis de Fayolle, 184g, un article sur le Temple d'Isis; l'ésotérisme l'attire et on le voit dans les Illuminés, 1852, les Prophètes rouges, Histoire de la reine du matin et de Salomon. La Bohème galante devient en 1852 les Petits châteaux de Bohème en référence à un des chefs-d'ouvre de Nodier qu'il admire. Des textes précédemment publiés ont été réunis dans l'Imagier de Harlem, 1851. L'échec d'une pièce indienne, en collaboration avec Méry, le Chariot d'enfant, 1851, a provoqué une nouvelle crise mentale. A partir de 1851, ses rechutes sont fréquentes. En 1852, il est hospitalisé à la maison Dubois, en 1853, puis en 1854, de nouveau chez le Dr Blanche. Des titres encore : les Confidences de Nicolas où il évoque Restif de La Bretonne, trouvant une parenté avec lui; les Faux-Saulniers où il s'inspire du Diderot de Jacques le Fataliste. Et les chefs-d'ouvre : Sylvie, 1853, la Pandora, 1854, les Filles du Feu, 1854, Aurélia, 1855. Le 26 janvier 1855, à l'aube, on trouva Nerval pendu dans une ruelle aujourd'hui disparue, rue de la Vieille-Lanterne, sur l'emplacement actuel du Théâtre de la Ville. On épilogue encore sur les raisons de son suicide sans être tout à fait sûr qu'il y ait eu suicide. Cette vie se termine sur une énigme. On parla d'assassinat, car la position de son corps, le chapeau sur sa tête étaient des faits curieux. S'agissait-il même d'un exercice de recherche voluptueuse? Ou encore d'une évasion dans le sommeil par suspension? Gautier a laissé ce témoignage d'une nuit en diligence : « Je m'établis dans un coin le moins incommodément qu'il me fut possible. Pour Gérard il avisa d'un moyen de dormir qu'un autre eût employé pour se sentir éveillé; il noua son foulard par les deux bouts à la bâche de la voiture, passa son mufle dans cette espèce de licol et but bientôt à pleines gorgées, à la noire coupe du som.-meil. Ce qui m'a beaucoup surpris, c'est qu'il ne se soit pas étranglé bel et bien; apparemment que Dieu, toujours bon, toujours paternel, veut lui épargner la peine de se pendre lui-même. » Le mystère s'est refermé. Portraits de Gérard. Imaginons-le vivant en nous référant encore au témoignage de son meilleur ami, le bon Théo : « Cette bonté rayonnait de lui comme d'un corps naturellement lumineux, on la voyait toujours et elle l'enveloppait d'une atmosphère spéciale; il semblait vraiment qu'on obligeât Gérard en lui demandant service et il partait aussitôt, allant de l'Arc de l'Étoile à la Bastille, du Panthéon à Batignolles, pour proposer à quelque journal l'article d'un camarade sans argent... Il travaillait en marchant et de temps à autre il s'arrêtait brusquement, cherchant dans une de ses poches profondes un petit cahier de papier cousu, y écrivait une pensée, une phrase, un mot, un rappel, un signe intelligible seulement pour lui, et refermant le cahier reprenait sa course de plus belle... » Son esprit aérien, celui d'une « hirondelle apode » est décrit par Gautier : « Il était tout ailes et n'avait pas de pieds, tout au plus une imperceptible griffe pour se suspendre un moment aux choses et reprendre haleine; il allait, venait, taisait de brusques zigzags aux angles imprévus, montait, descendait, montait plutôt, planait et se mouvait dans un milieu fluide avec la joie et la liberté d'un être qui est dans son élément... Gérard, nous ne savons trop pourquoi, a toujours passé pour être paresseux comme une couleuvre. C'est une réputation qu'on a faite à bien d'autres qui ont travaillé toute leur vie et à qui on pourrait faire un bûcher de leurs ouvres. Ce bayeur aux corneilles, ce chasseur de papillons, ce souffleur de bulles, ce faiseur de ronds dans l'eau menait au contraire l'existence intellectuelle la plus active. Sous une apparence paisible, il vivait dans une grande effervescence intérieure. » Un autre l'a bien connu, c'est Arsène Houssaye qui nous dit : « Il amenait " la folle du logis " partout où il entrait; c'était à qui le fixerait une heure durant, car on avait pour lui je ne sais quelle sympathie à la fois humaine et divine; on sentait en lui le prédestiné, le prophète et l'illuminé... Gérard, à ses heures de folie pythagoricienne ou d'exaltation mystique, dpnne encore la main à la sagesse; je dirai même que Gérard n'a jamais été fou : il a été illuminé, et quand il est parti pour l'autre monde, c'est qu'il croyait n'avoir plus rien à trouver en celui-ci. » Alexandre Dumas écrivait : « C'est un esprit charmant et distingué... chez lequel, de temps en temps, un certain phénomène se produit, qui, par bonheur, nous l'espérons, n'est sérieusement inquiétant ni pour lui ni pour ses arnis... » et il ajoutait montrant sans se douter de la vérité profonde de son analyse : « Alors notre pauvre Gérard, pour les hommes de sciences, est malade, et a besoin de traitement, tandis que pour nous il est tout simplement plus conteur, plus rêveur, plus spirituel, plus gai ou plus triste que jamais. » Pour Henri Heine, Gérard était une âme plutôt qu'un homme, « il était d'une candeur enfantine, d'une délicatesse de sensitive ». Mais terminons sur un autoportrait, celui contenu dans son Épitaphe : Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet. Tour à tour amoureux, insoucieux et tendre. Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre, Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait. C'était la Mort! Alors il la pria d'attendre Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet; Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre Au fond du coffre noir où son corps frissonnait. Il était paresseux, à ce que dit l'histoire, Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire. Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu. Et quand vint le moment où, las de cette vie, Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie, Il s'en alla disant : « Pourquoi suis-je venu? » Voilà le portrait de l'homme, bien extérieur sans doute même quand il le brosse lui-même, car il reste pudique. Le véritable est dans ses proses, dans ses vers. Nous allons parler de ces derniers, les meilleurs, les plus grands, en ayant conscience d'une impossibilité : leur savante distillation échappe à l'analyse des chimistes, comme chaque fois qu'il y a création. Nés d'un haut savoir ancien, de visions fugitives, mettant en ouvre un symbolisme ésotérique participant de codes et leur échappant, l'exégèse y mord difficilement : sa lime s'use contre un tel métal. |
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Gérard de Nerval (1808 - 1855) |
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Portrait de Gérard de Nerval | |||||||||
Biographie / chronologie1808. OuvreSi l'on excepte divers ouvrages dramaturgiques (Lara, 1833!; Léo Burckhart, 1839), l'ouvre de Nerval est essentiellement romanesque et poétique. |
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