Gérard de Nerval |
Ballade allemande Le point du jour brillait à peine que Lénore Saute du lit : « Guillaume, es-tu fidèle encore, Dit-elle, ou n'es-tu plus? » C'était un officier Jeune et beau, qui devait l'épouser; mais, la veille Du mariage, hélas! le tambour le réveille De grand matin ; il s'arme et part sur son coursier. Depuis, pas de nouvelle, et cependant la guerre, Aux deux partis fatale, avait cessé naguère. Les soldats revenaient, avec joie accueillis : t Mon mari! mon amant! mon fils!... Dieu vous renvoie ! » Tout cela s'embrassait, sautait, mourait de joie... Lénore seule, en vain, parcourait le pays. « L'avez-vous vu?... - Non. - Non. » Chacun a sa famille. Ses affaires... Chacun passe. La pauvre fille Pleure, pleure, et sa mère accourt, lui prend la main : « Qu'as-tu. Lénore? - Il est mort, et je dois le suivre; Nous nous sommes promis de ne pas nous survivre... - Patience! sans doute il reviendra demain. Quelque chose l'aura retardé. Viens, ma fille, Il est nuit. » Elle rentre, elle se déshabille, Et dort, ou croit dormir... Mais, tout à coup, voilà Qu'un galop de cheval au loin se fait entendre, Puis éclate plus près... Enfin, une voix tendre : « Lénore! mon amour... ouvre-moi... je suis là! » Elle n'est pas levée encore que Guillaume Est près d'elle. « Ah! c'est toi! d'où viens-tu? - D'un royaume Où je dois retourner cette nuit; me suis-tu? - Oh! jusqu'à la mort! - Bien. - Est-ce loin? - A cent lieues. - Partons. - La lune luit... les montagnes sont bleues... A cheval!... d'ici là, le chemin est battu... » Ils partent. Sous les pas agiles Du coursier les cailloux brûlaient. Et les monts, les forêts, les villes, A droite, à gauche, s'envolaient. « Le glas tinte, le corbeau crie, Le lit nuptial nous attend... Presse-toi contre moi, mon épouse chérie! - Guillaume, ton lit est-il si grand? - Non, mais nous y tiendrons... Six planches, deux planchettes. Voilà tout... pas de luxe. Oh! l'amour n'en veut pas. » Ils passaient, ils passaient, et les ombres muettes Venaient se ranger sur leurs pas. « Hourra ! hourra ! je vous invite A ma noce... Les morts vont vite... Ma belle amie, en as-tu peur? - Ne parle pas des morts... cela porte malheur... » Hop! hop! hop!... Sous les pas agiles Du coursier les cailloux brûlaient, Et les monts, les forêts, les villes, A droite, à gauche, s'envolaient. « Mais d'où partent ces chants funèbres, Où vont ces gens en longs manteaux? Hourra ! que faites-vous là-bas sous les ténèbres, Avec vos chants et vos flambeaux? - Nous conduisons un mort. - Et moi, ma fiancée Mais votre mort pourra bien.attendre à demain; Suivez-moi tous, la nuit n'est pas très avancée... Vous célébrerez mon hymen. » Hourra ! hourra ! je vous invite A ma noce... Les morts vont vite... Ma belle amie, en as-tu peur? - Ne parle pas des morts... cela porte malheur... » Hop! hop! hop!... Sous les pas agiles Du coursier les cailloux brûlaient, Et les monts, les forêts, les villes, A droite, à gauche, s'envolaient. « Tiens! vois-tu ces ombres sans tête Se presser autour d'un tréteau, Là, du supplice encor tout l'attirail s'apprête... Pour exécuter un bourreau. Hourra! dépêchez-vous!... hourra! troupe féroce, Faites aussi cortège autour de mon cheval! Vous seriez déplacés au banquet de ma noce, Mais vous pourrez danser au bal. » Hourra! mais j'aperçois le gîte Sombro, où nous sommes attendus... Les morls au but arrivent vite; Hourra! vous y voici rendus! » Contre une grille en fer le cavalier arrive, Y passe sans l'ouvrir... et d'un élan soudain, Transporte Lénore craintive Au milieu d'un triste jardin. Celait un cimetière. « Est-ce lu ta demeure? - Oui, Lénore; mais voici l'heure, Voici l'heure de notre hymen; Desrendons de cheval... Femme, prenez ma main! » Ah! Seigneur Dieu! plus de prestige... Le cheval, vomissant des feux, S'abîme! et de l'homme (ô prodige!) Un vent souffle les noirs cheveux Et la chair qui s'envole en poudre... Puis, à la lueur de la foudre, Découvre un squelette hideux! « Hourra! qu'on commence la fête! Hourra! » Tout s'agite, tout sort, Et, pour la ronde qui s'apprête, Chaque tombeau vomit un mort. « Tout est fini! par Notre-Dame! Reprend la même voix, chaque chose à son tour : Après la gloire vient l'amour! Maintenant, j'embrasse ma femme. - Jamais! » Elle s'agite... et tout s'évanouit! « Jamais! dit son amant, est-ce bien vrai, cruelle? (Il était près du lit.) - Ah! Guillaume, dit-elle, Quel rêve j'ai fait cette nuit! » |
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Gérard de Nerval (1808 - 1855) |
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Portrait de Gérard de Nerval | |||||||||
Biographie / chronologie1808. OuvreSi l'on excepte divers ouvrages dramaturgiques (Lara, 1833!; Léo Burckhart, 1839), l'ouvre de Nerval est essentiellement romanesque et poétique. |
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