Guillevic Sphère |
Mer au bord du néant, Qui se mêle au néant, Pour mieux savoir le ciel, Les plages, les rochers, Pour mieux les recevoir. Femme vêtue de peau Qui façonnes nos mains, Sans la mer dans tes yeux, Sans ce goût de la mer que Tu n'excéderais pas Le volume des chambres. La mer comme un néant Qui se voudrait la mer, Qui voudrait se donner Des attributs terrestres Et la force qu'elle a Par référence au vent. J'ai joué sur la pierre De mes regards et de mes doigts Et mêlées à la mer, S'en allant sur la mer, Revenant par la mer, J'ai cru à des réponses de la pierre. Ils ne sont pas tous dans la mer, Au bord de la mer, Les rochers. Mais ceux qui sont au loin, Égarés dans les terres, Ont un ennui plus bas, Presque au bord de l'aveu. Ne te fie pas au goémon : la mer Y a cherché refuge contre soi, Consistance et figure. Pourrait s'y dérouler Ce qu'enroula la mer. Ne jouerons-nous jamais Ne serait-ce qu'une heure, Rien que quelques minutes, Océan solennel, Sans que tu aies cet air De t'occuper ailleurs? Je veux te préférer, Incernable océan, Les bassins que tu fais Jusqu'aux marais salants. Là je t'ai vu dormir Avec d'autres remords. D'abord presque pareille A celle du grand large, De bassin en bassin Ton eau devient épaisse Et finit par nourrir Des espèces de vert Comme font nos fontaines. Là ça grouille dans toi, Mais au moins je le vois. Depuis ton ouverture Sur les rochers de Por en Dro Vers le grand large et l'horizon, Je t'ai prise à rebours Jusqu'aux marais salants Où je ne savais pas si je devais pleurer De n'avoir plus de toi que ces tas de sel blanc. Avant que tu sois là, Collant à la saline, Je t'ai vue bien souvent, Cernée dans les bassins, Rendre au soleil couchant L'hommage des eaux calmes. Mais tu sais trop qu'on te préfère, Que ceux qui t'ont quittée Te trouvent dans les blés, Te recherchent dans l'herbe, T'écoutent dans la pierre, Insaisissable. Tu regardes la mer Et lui cherches des yeux. Tu regardes des yeux Et tu y vois la mer. A Carnac, derrière la mer, La mort nous touche et se respire Jusque dans les figuiers. Ils sont dans l'air, Les ossements. Le cimetière et les dolmens Sont apaisants. Mer sans vieillesse, Sans plaie à refermer, Sans ventre apparemment. Église de Carnac Qui est comme un rocher Que l'on aurait creusé Et meublé de façon A n'y avoir plus peur Il y avait de pauvres maisons Et de pauvres gens. Le temps Pouvait n'être pas Celui des vivants. Les gens y étaient comme des menhirs, Ils étaient là depuis longtemps. Ils n'allaient pas regarder la mer, Ils écoutaient. De la mer aux menhirs, Des menhirs à la mer, La même route avec deux vents contraires Et celui de la mer Plein du meurtre de l'autre. Derrière les menhirs Encore un autre vent Sur des bois et des champs. La terre et moins de sable, C'est vert et c'est épais. C'est de ce pays-là Peut-être que la mer Était un oil ouvert. Ça se ressemble peu Tout un corps et son oil. Tu es pour quelque chose Dans la notion de Dieu, Eau qui n'es plus de l'eau, Puissance dépourvue de mains et d'instruments, Pesanteur sans emploi Pour qui le temps n'est pas. Souvent pour t'occupcr Tu viens nous appeler Vers la paix dans ton creux. A ruminer tes fonds Tu les surveilles mal, Ou peut-être tu pousses Ces monstres qui pénètrent Dans le lieu de nos cauchemars. Soyons justes : sans toi Que nous serait l'espace Et que seraient les rocs? Ta peur de n'être pas Te fait copier les bêtes Et ta peur de rater Les mouvements des bêtes, Leurs alarmes, leurs cris, Te les fait agrandir. Quelquefois tu mugis Comme aucune d'entre elles Entre le bourg et la plage, Il y avait sur la droite une fontaine Qui n'en finissait pas De remonter le temps. La fille qui viendrait Serait la mer aussi, La mer parmi la terre. Le jour serait bonté, L'espace et nous complices. Nous apprendrions A ne pas toujours partir. Nous aurions la puissance Et celle de n'en pas user. Nous serions pleins De notre avoir. Présence alors jamais trop lourde De vous autour de nous A composer le monde, Puisque le temps se tient Aux dimensions de notre avoir. Elle avait un visage Comme sont les visages Ouverts et refermés Sur le calme du monde. Dans ses yeux j'assistais Aux profondeurs de l'océan, à ses efforts Vers la lumière supportable. Elle avait un sourire égal au goéland. Il m'englobait. En elle s'affrontaient les rêves Des pierres des murets, Des herbes coléreuses, Des reflets sur la mer, Des troupeaux dans la lande. Ils faisaient autour d'elle un tremblement Comme le lichen Sur les dolmens et les menhirs. Elle vivait dessous, M'appelait, s'appuyait Sur ce que l'un à l'autre nous donnions. Nos jours étaient fatals et gais. Ce qui fait que la morte est morte Et moi vivant, Ce qui fait que la morte Se tient plus loin qu'auparavant, Océan, tu te poses Des questions de ce genre. Quand je ne pensais pas à toi, Quand je te regardais sans vouloir te chercher, Quand j'étais sur tes bords Ou quand j'étais dans toi, Sans plus me souvenir de ta totalité, J'étais bien, Quelquefois. Bleu des jacinthes, Bleu des profondeurs, Il vient d'un feu faiseur de rouge Qui tourne au violet puis au bleu. II est dans la terre, Il nous cherche. La mer Peut l'ignorer. Nous n'avons de rivage, en vérité, Ni toi ni moi. Écoute ce que fait La poudre en explosant. Écoute ce que fait Le fragile violon. Pas besoin de rire aussi fort, De te moquer si fort De moi contre le roc. De toi je parle à peine, Je parle autour de toi, Pour t'épouser quand même En traversant les mots. Je sais qu'il y a d'autres mers, Mer du pêcheur, Mer des navigateurs, Mer des marins de guerre, Mer de ceux qui veulent y mourir. Je ne suis pas un dictionnaire, Je parle de nous deux Et quand je dis la mer, C'est toujours à Carnac. Nulle part comme à Carnac, Le ciel n'est à la terre, Ne fait monde avec elle Pour former comme un lieu Plutôt lointain de tout Qui s'avance au-dessous du temps. Le vent vient de plus bas, Des dessous du pays. Le vent est la pensée Du pays qui se pense A longueur de sa verticale. Il vient le vérifier, l'éprouver, l'exhorter, A tenir comme il fait Contre un néant diffus Tapi dans l'océan Qui demande à venir. A Carnac d'autres vents Font semblant d'apporter Des souffles de vivants Mais ne sont que passants. Les herbes de Carnac Sur les bords du chemin Sont herbes d'épopée Que le repos ne réduit pas. Du milieu des menhirs Le monde a l'air De partir de là, D'y revenir. La lumière y est bien, Pardonne. Le ciel A trouvé sa place. Fermes à l'écart, hameaux, Dans vos pins, Dans vos chemins, Vous n'êtes pas tout à fait sûrs De votre assise. Le silence Est obligatoire. Dans les terres, Bien souvent, La misère Est au gris fixe. Besoin d'un départ Marquant les hameaux et les fermes Vers la vie, davantage de vie, Vers la mort. Tremblement tous les jours Entre les deux. Sur la route de la plage, la fontaine Était là comme venue d'ailleurs, Mal habituée - Ou c'était le reste. Parfois il y avait au large Des lézards gris dormant Sous une longue fumée. La vue de l'escadre Faisait du pays de Carnac Un verre de lampe qui peut être cogné. Avoue, soleil : C'est toi l'étendue. Avec de la mer, Ça te réussit. Tu sais comme on peut Apporter du vague Au milieu du net Et la mer s'y prête. Sans toi d'ailleurs, soleil, La mer serait encore Cognant à l'infini, Mais alors dans ce noir Qu'on suspecte la mer De vouloir devenir Quand tu es là, Soleil. Amis, ennemis, Le soleil, la mer, Fatigués l'un de l'autre, habitués, Mais décidés soudain A dépasser enfin l'extrême du désir Qu'ils savent, chacun d'eux, Pouvoir atteindre sans se perdre au sein de [l'autre. Décidés à savoir Ce qu'ils seront alors Si la chose arrive Que l'autre les prenne. Soleil sur la mer, Silence, un point fixe Auquel vous tendez Le soleil, la mer - Et l'air qui se perd A vous distinguer! Le soleil, la mer, Lequel de vous deux Prétend calmer l'autre, Au moyen de quoi? Vous voulez vous battre Et vous n'arrivez à vous rencontrer Que pour vous frôler. Au moins tu sais, toi, océan, Qu'il est inutile De rêver ta fin. Oui, je t'ai vue sauvage, hors de ta possession, Devant endosser les assauts du vent. Je t'ai vue bafouée, recherchant ta vengeance Et la faisant porter sur d'autres que le vent. Mais je parle de toi quand tu n'es que [toi-même, Sans pouvoir que d'absorber. « Désossée », « dégraissée », Ce sont des voix. « Décolorée », « Grise, grise, grise », C'est une autre voix. Elles t'en veulent, ces voix, Elles sont dans le vent, dans le soleil, Dans ta couleur, dans ta masse. C'est bon, n'est-ce pas? De lécher le pied des rochers, Ça te change de toi. Sur la plage et les terres Le soleil se rattrape. Là il est maître et là Ce n'est pas Jui qu'il voit Autant que dans la mer. Là, il se voit le père. A Camac, le linge qui sèche Sur les ajoncs et sur les cordes Retient le plus joyeux Du soleil et du vent. Appel peut-être A la musique. Il y a dans les cours de fermes Du purin qui ne s'en va pas Et c'est pour leur donner De l'épaisseur terrestre. Que dis-tu de ce bleu Que tu deviens sur les atlas? As-tu parfois rêvé De ressembler à ça? On ne peut pas te boire, Tu refuses nos corps. Mais on te touche Un peu. On a ton goût surtout Et ton odeur qui fait S'agrandir la distance Et parfois s'engouffrer Dans le temps de tes origines. Tu peux être fraîche Et douce à la peau Dans les jours d'été, Mais tu ne parles pas Des souvenirs communs d'il y a quelque temps, Comme fait la source. On peut plonger en toi. Tu l'acceptes très bien, Même tu le demandes. Mais ce n'est que toucher Un passé légendaire Qui s'oublie dans ta masse Dont tu parais absente. Cet homme que tu prends, Tu en as bientôt fait, Au bout de quelques mètres, Un objet simple et blanc Qui n'a pour avenir Que d'être plus défait Au rythme régulier De la tranquille exécution de tes sentences. Prise entre des rochers Au cours de la marée, Tu t'y plais, on dirait. Douce, douce, caressante - Et c'est peut-être vrai. Ils n'ont pas l'air de te comprendre, Ceux qui vivent dans toi, Ceux qui sont faits de toi, Ces poissons, ces crevettes. Il me semble pourtant Qu'à bien les regarder, Les toucher, les manger, Ils nous disent de toi Ce qu'on ne saurait pas, Qu'ils nous disent surtout Ce que tu sens de toi. Tu n'as pour te couvrir Que le ciel évasé, Les nuages sans poids Que du vent fait changer. Tu rêvais de bien plus, Tu rêvais plus précis. Toujours les mêmes terres A caresser toujours. Jamais un corps nouveau Pour t'essayer à lui. L'insidieux est notre passé, Chargé sur nous de représailles. Pourquoi faut-il que l'on t'y trouve, Océan, accumulation? Quand tu reçois la pluie Reconnais-tu ta fille? Exilée, revenue, Ignorant son histoire, Qui croit qu'elle te frappe Ou peut-être t'apaise. Contre le soleil Tu as voulu t'unir, Mais avec quoi, Sauf avec lui? Si l'espace une fois Brûlait en rouge et bleu Mais plus loin, sur la terre, Ce serait ta fête. Tu pourrais être douce, après. Tu ne changeras pas au cours des ans, Même si tu en rêves à coups de vagues. Mais pour moi d'autres jours Pourraient venir de mon vivant. Ce sera comme un cercle Qui se réveille droite, Une équation montée Dans l'ordre des degrés, D'autres géométries Pour vivre la lumière. Alors, que seras-tu pour moi? Que dirons-nous? Alors, j'irai Vers le total moi-même. Ma paix sera plus grande Et voudra te gagner. Les profondeurs, nous les cherchons, Est-ce les tiennes? Les nôtres ont pouvoir de flamme. Même assis sur la terre Et regardant la terre, Il n'est pas si facile De garder sa raison Des assauts de la mer. En somme, avec toi, Qu'on soit sur tes bords, Qu'on te voie de loin Ou qu'on soit entré Te faire une cour Que la courbe impose Où sont le soleil, le ciel et le sol, N'importe où qu'on soit, On est à la porte. On est à la porte, On a l'habitude, On ne s'y fait pas. A la porte de l'océan Et parlant, parlant. Le difficile, C'est d'être lui Et si tu l'étais C'est de rester toi, Assez pour savoir Que tu es les deux Et pour en crier. Cogne, cogne, cogne, Puisque ça t'occupe Et puisque pour nous Le spectacle est grand. On comprend bien Que ça t'obsède D'être un jour dressée A la verticale Au-dessus des terres. On comprend bien. Tu rêves des rochers Pour t'en faire un squelette. Continue, continue, Flatte-les de tes vagues Et reste invertébrée. Beaucoup d'hommes sont venus, Sont restés. Terre d'ossements, Poussière d'ossements. Il y avait donc L'appel de Carnac. 6 Comment chantaient-ils, Ceux des menhirs? Peut-être est-ce là Qu'ils avaient moins peur. Centre du ciel et de la mer, De la terre aussi, La lumière le dit. Chantant, eux, Pas loin de la mer, Pour être admis par la lumière. Regardant la mer, Lui tournant le dos, Implorant la terre. Il arrive qu'un pin Du haut de la falaise Te regarde et frissonne Tant que dure le jour. Il y a des moments Où l'on peut s'endormir Même tout près de toi Sans te manquer d'égard. Ce sont peut-être ceux Qu'un grand calme t'inflige, Quand tu as fait tes comptes Et les as trouvés bons. Il arrive à chacun, Même à toi, forcenée, D'être content de soi. Calme, calme et contente D'avoir fait ton bilan. Horizontale et l'acceptant, Le temps que tu savoures Les postes de l'actif. Le désert et toi - C'est le sable. La montagne et toi, la haute montagne, C'est le vent. Mais dans le désert, Dans le vent sur la montagne, Elle n'y est pas, Ta volonté. Ruminant, toi, Rabâchant, rabâchant, Quand les coquelicots Ne parlaient que de vivre. Pas délicate, Pas difficile, Pas assez femme. Tu prends tout, Parfois tu rejettes. Sans corps, Mais épaisse. Sans ventre, Mais molle. Sans oreilles, Mais parlant fort. Sans peau, Mais tremblante. Pour garder tes nuits, As-tu supplié Parfois les rochers? Si vaste, si lourde Et si limitée. Un peu de sable Que tu remues. Il te faut longtemps Pour bien peu de chose. On dirait que ça te répugne De mouiller ce que tu touches. Comme si c'était Te donner trop. Allez donc! Allez! Trêve de nos pointes. Paix sur toi, la grande, Et paix sur nous. On ne se dit rien, On s'ignore, on va Chacun dans sa loi. Tu veux qu'on essaye En feignant de croire Que ce soit possible? Trop large Pour être chevauchée. Trop large Pour être étreinte. Et flasque. Je te baptise Du goût de la pierre de Carnac, Du goût de la bruyère et de la coquille d'escargot, Du goût de l'humus un peu mouillé. Je te baptise Du goût de la bougie qui brûle, Du goût du lait cru, Du goût différent de plusieurs jeunes filles, Du goût de la pomme verte et de la pomme très [mûre. Je te baptise Du goût du fer qui commence à rouiller, Du goût d'une bouche et d'une langue avides, Du goût de la peau que tu n'as pas salée, Du goût des bourgeons, des jeunes girolles. - C'est sans effet sur toi, oui. C'était pour moi. Balayure de roses, Corne de chèvrefeuille, Galet d'églantine, Pépin de joue pâle, Rayons de vin, Sourires de viscère, Éperons d'étoupe, Éclairs de marbre, Ça ne te dit rien, n'est-ce pas? Ça n'a pas de rapports avec toi? Pas moins d'ailleurs Que les autres choses Que je dis de toi? Je crois que si. Ne t'énerve pas, ne te laisse pas Noyauter, vider, Seconde après seconde. Prends ces moments L'un après l'autre. Épuise-les. Fais-toi. Fais Ton contentement. Ou crie et souffre, crie, Mais pas ce creux Qui prend du volume. Comprends que je sais. Pas plus seul qu'un autre Au sein de ta masse, Devant ta masse, Pas plus veuf qu'un autre, Mais sans programme, Sans ouvrage. Pas absente du vent Quand le vent se dépasse Et fait autour de nous Un creux pareil au tien. Pas absente du vent - Ou c'est ton souvenir. Infatigable, fatiguée - Mais quelle est l'épithète Qui ne te conviendrait? Ton père : Le silence. Ton devoir : Le mouvement. Ton refus : La brume. Tes rêves. Toi, sans abri Contre le vent, bien sûr, Et contre le soleil Qui affûte les heures, Sans rien pour te voiler La procession des astres Et leurs cérémonies De longue adoration. Sous nos pieds la terre, Comme si de rien n'était. Toi, l'indifférence Ne t'est pas donnée. Je suis des tiens, va ! Tout bien pesé, Tout bien aimé, Tout bien maudit, Je suis des tiens. Il s'est passé quelque chose à Camac, Il y a longtemps. Quelque chose qui compte Et tu dis, lumière, Qu'il y a lieu D'en être fier. Maisons blanches, vous de Camac, A tendre votre chaux contre qui veut dormir, Vous la fin de la terre Et la fin de la mer, Où le soleil enfin Ne peut plus s'étaler, Mais cogne, mer, Comme tu fais. Autant que les maisons, Les gens s'abandonnaient. Il y avait parfois tant de vent Que le temps n'était pas pesant. Mais le vent Camouflait le temps. Si par hasard tu crois à la valeur des sons Tu dois bien frissonner A ce seul nom de mer. Puissante par moments De force ramassée Comme pour un travail, Claquant contre le roc Et tombant lourdement, Quelquefois projetée Comme un vomissement. Pardonne-moi si le caillou Ramassé dans un coin de terre, Même sur un sentier Piétiné, harassé, Me parle plus Que tes galets, parfois. Crois-tu qu'il t'aime, le sable, Qui sans toi serait debout Dans le roc qui te domine, Alors qu'il te sert de lieu Où tu viens te promener? Entre la mer et la terre Cultivée, arrangée, La lande fait la transition Et plaide pour ne pas choisir. Tu devrais être la première A comprendre et savoir Que l'on aime la terre, Que l'on peut préférer Y vivre loin de toi. Le vent, le sable et toi Aviez des rendez-vous Dont vous faisiez semblant De parler en passant. Il y a des milliers d'années Que les menhirs te tiennent tête Et à ce vent que tu leur jettes. Remue, dors ou remue, L'horloge va sa loi, Plus parente de toi Que l'horloge ne croit. Vraisemblablement, Sans toi, l'océan, Ils n'auraient rien fait à Carnac, Ceux des menhirs. Je me suis souvent demandé Ce que tu pensais des couleurs. Je sens que la question te gêne, Mais remarque : Jamais l'idée ne m'est venue De la poser à l'hortensia. Si tu pouvais nous dire Au moins sur le passage Du gris glauque au bleu vert. C'est qu'on n'y comprend guère A seulement te regarder. Il faudrait être ton amant. Il y a des hommes Qui ne voient en toi que la nourricière. Je les envie peut-être, Car j'aime aussi Prendre un crabe qui court Ou sortir des poissons, Mais j'ai bien un peu peur Que ce que j'aime alors Soit de l'ordre de la revanche. Quand tu parais dormir, Vaincue par le soleil, Ta fatigue ou les songes, Alors le goéland Crie durement pour toi. Ne va pas croire Que le spectacle que tu donnes Soil toujours suffisant. On peut être assis sur tes bords, Vivre tes vagues, la marée, Regarder le complot Que vous mettez au point, Toi, l'air et l'horizon, Déplorer que jamais Tu ne sois là t'ouvrant, Montrant tes profondeurs, Et ne pas toujours Être intéressé. Je te parle et je suis Obligé de le faire. Je te parle et je fais Comme si quelquefois Tu m'entendais parler. Je te parle et dis-moi Si tu comprends pourquoi. Alignés, les menhirs, Comme si d'être en ligne Devait donner des droits. En imploration Comme les étoiles par tant do nuits Sont souvent les menhirs Et la lune les fait S'enquérir d'autres monde3, Alors qu'au moins toi On ne dirait pas. Sois ici remerciée De n'être pas pareille à nous Dont le rêve est toujours D'être réconciliés Quand pourtant Ce n'est pas possible. J'écris de toi dans un pays Où le végétal Ne cesse d'attaquer Comme si c'était toi Qui grondais jusqu'ici. Les menhirs sont en rang Vers quelque chose Qui doit avoir eu lieu. A Carnac, l'odeur de la terre A quelque chose de pas reconnaissable. C'est une odeur de terre Peut-être, mais passée A l'échelon de la géométrie Où le vent, le soleil, le sel, L'iode, les ossements, l'eau douce des fontaines, Les coquillages morts, les herbes, le purin, La saxifrage, la pierre chauffée, les détritus, Le linge encore mouillé, le goudron des barques, Les étables, la chaux des murs, les figuiers, Les vieux vêtements des gens, leurs paroles, Et toujours le vent, le soleil, le sel, L'humus un peu honteux, le goémon séché, Tous ensemble et séparément luttent Avec l'époque des menhirs Pour être dimension. Femme, femme, au secours Contre le souvenir Enrôlcur de la mer. Mets près de moi Ton corps qui donne. Toujours nouvelle - et pas Parce que tu changes. Toujours nouvelle Puisque je t'apprends Et jamais ne sais ce que tu seras. Donc tu donnes, quand même, Tu ouvres. Donne au moins ce qu'en loi Nous avons investi. Pour remplacer ce Dieu Où nous t'avons jetée, Nous avons besoin De trouver la fête. - Il ne semble pas Que tu aies la tienne. Pour se faufiler Dans l'étroit canal Qui menait au port avant les bassins, Elles se pressaient, tes vagues, Lors de la marée, Elles se bousculaient. Elles avaient besoin Que l'interminable Soit fini pour elles. Je parle mal de toi. Il me faudrait parler Aussi vague et confus Que rabâchent tes eaux. Et des éclats Pour ta colère, Tes idées fixes Sous le soleil. Je n'ai jamais compris Pourquoi, où qu'ils soient, Toujours les gens causaient Et rarement j'ai su de quoi. Tu fais comme eux, Tu veux causer, Tu te racontes. Ce qu'aussi tu veux C'est t'allonger jusque dans les terres, C'est les pénétrer, c'est être avec l'herbe. Tu fais des rivières, De vieux marais. Mais là tu te perds En perdant ta masse Et ce néant Qui te traverse. Toute une arithmétique Est morte dans tes vagues. Il y a des moments Où l'on te trouve entière, Brutale d'être toi. Là tu viens verticale et verte te dresser A toucher notre face. Là tu nais en toi-même A chaque instant que nous faisons. Parfois tu étais Un moment de moi. Je nous exposais Au risque d'aller, Car plus tard Est toujours présent. Quand je te regardais jusqu'au plus loin possible, C'est vers le midi Que je me tournais. Je l'ai su depuis, Lumière extasiée, Horizon vaincu. Il me semble parfois Qu'entre nous il y a Le souvenir confus De crimes en commun. Nous voici projetés face à face Pour comprendre. |
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Guillevic Sphère (1907 - 1997) |
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Portrait de Guillevic Sphère | |||||||||
La vie et l'Ouvre de guillevigGuillevic est né à Carnac (Morbihan) le 5 août 1907. BibliographieGuillevic était l'un des poètes majeurs de notre temps, avec une oeuvre dépouillée, cristalline et forte, traduite en plus de quarante langues dans 60 pays. Pour lui, la poésie permettait de maîtriser l'inquiétante étrangeté des choses. Sa langue dans de courts textes, était précise, dépouillée et travaillée au point qu'un critique avait qualifié sa poésie, d'aiguë et brillante comme un rocher bre |
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