Guillevic Sphère |
Je ne sais pas Disait la voix. Je sais que c'est la nuit, Que rien ne me réclame, Que j'envie les damnés. On s'en occupe, Au moins. Ce n'est pas lui Qui aurait rencontré La biche fatiguée, Assoiffée, camarade. Il arrache un peu de ciel, Il arrache du nuage. Tout en marchant, Il les malaxe Et il fredonne la bouillie. * Un brin d'herbe, Après tout, Ça fait assez superbe Pour un grand rendez-vous. . En marchant dans la nuit Il est forcé de croire Qu'il finira toujours, N'importe où il se trouve, Par tomber sur les quais d'un port Où les bateaux sont épargnés. * Il ne pense pas au port Pour le voyage, le départ, La grande mer. Il rêve au port Pour bien sentir la terre, Pour s'accrocher à elle. * Ce qui lui manquait Dans ses va-et-vient, C'étaient, en bien des lieux, Des fruits à hauteur d'homme Qu'il n'y a qu'à cueillir. * Pas une étoile Qu'il pourrait Arracher à la nuit. Pas une. Il voyait la nuit Pleine de masses d'eau Confuses, menaçant De s'entre-dévorer, Un peu pareilles A des huiles de vidange, Et il se voyait, lui, Obligé de marcher Sur une passerelle Sans rampe Et qui tanguait. * Aucun coucou Ne l'accompagna Quand il allait Seul dans le noir Vers le printemps A ramener. Il y a pourtant des chemins, Un peu partout quelque chemin, Pourquoi pas pour lui? Pourquoi toujours ce sol De mare ou de lise? * C'est entendu : On n'arrivera pas. Mais qu'on puisse au moins N'avoir plus à marcher, N'avoir plus à chercher, Pas plus dans les prairies, Dans les marécages, Pas plus dans les landes, Dans les places des villages, Que dans les autodromes A l'intérieur des roses. Encore s'il avait pu Parfois s'arrêter dans un mot, S'y reposer un peu de temps. Mais ils étaient tous Dans le tremblement. Partout où il passait, Devait passer, Croyait passer, Il lui semblait S'être enfoncé déjà. La mémoire non plus N'était pas amie. * Il y eut sur lui Comme des souffles de bêtes, Assez chauds et poisseux, Mais jamais il ne put Toucher le corps velu. C'était peut-être Le souffle de la terre. * Déjà bien assez D'avoir toujours Plus ou moins mal. Faut-il encore En avoir honte - Et à ce point? Est-ce qu'il a Demandé l'aumône? Il a parfois Partagé des lits. * Aucun aparté N'était donc définitif, Tout à l'heure Elle ne sera plus là Et il aura faim A manger sa soif. * Il y en a Qui, paraît-il, Ont vu des signes Sur l'horizon. Ils savaient lire. * Jamais Il n'a cru Être le seul pestiféré. Les non-pestiférés Peut-être d'ailleurs Qu'on les parquait. C'est pour leur sauvegarde Que les autres Avaient l'errance. * Ceux qui sont enracinés Et qui s'en plaignent N'ont plus, c'est vrai, A se raconter Qu'à des espèces De choses bigotes, Agenouillées Entre des pierres Ou gisant debout. + Présent! A quoi n'avait-il pas Répondu : Présent? Et puis, quoi? C'est aux nuages Qu'il aurait voulu s'accrocher. Pour une fois tâter De la hauteur. Cette boulimie qu'il avait D'immobilité. Ce rêve De stabiliser L'immobilité. Même les rocs N'étaient pas sûrs. Jamais la mer Ne venait se mêler A ses bagarres. Jamais la mer N'avait besoin de lui. Mais les autres, c'était Pour quoi? L'aurore boréale Qu'il macula De ses sarcasmes, Elle qui ne servait à rien Qu'à le montrer à tous Escaladant la roche, Dégringolant Dans l'eau croupie. Il n'a pas souvenir D'avoir lui-même Mutilé ces gens, ceux-là Qui crient et gesticulent Au long de son chemin. Le plus terrible Ce fut Cet oil de chat Qui regardait A travers lui Approcher leur avenir. A qui s'en prendre? C'était assez d'avoir A gouverner ses pas. Ce bonheur flagrant Des feuilles et des fleurs Qui résistait à son passage. Probablement C'était son lot D'être expulsé Comme la graine du genêt. Toujours ce battement Pour rythmer les absences. Comme si l'univers Était une horloge Et la terre un pendule. Ah oui ! le soleil ! C'est vrai Qu'il y a quelque part Le soleil. Pour se voir pris, repris Par le vertige, Il n'avait pas besoin De monter bien haut. Même pas De monter du tout. Un marais salant, C'était assez. Un talus. * Cette chose Qu'il arrachait, Il avait beau La densifier Avec du lui-même, Essayer d'en faire Des béquilles D'ouate et d'acier, Ça ne l'empêchait pas De patauger Dans une espèce de boue Pétrie avec ses cris. * Parfois, Les cloches. Venues de partout. Pour quel glas? Il n'a jamais Envisagé de reculer. Il a toujours pesé, Poussé, il s'est arqué Pour avancer. A preuve, Cette boue sur lui. A preuve, L'usure de ses habits Aux points de frottement. * Mais oui, bien sûr, Que parfois Il s'est réveillé Sur le bord d'un pré Qui entonnait le jour Par les pâquerettes. Il aurait voulu Y lire aussi La bonne augure. Ce qui lui plaisait Assez fréquemment C'était de se vivre Écorce de chêne Le temps d'un sommeil. Il ne sait plus Où se trouve la rue Qui monte et donne Sur le gouffre Où s'étale Une partie de la ville, Très bas, où les corbeaux Ne descendent pas. Pas peur des puits : Il y a les margelles. Pas peur des murs ni des arbres On s'y cogne et on repart. Pas peur de la mer : On lui tourne le dos. Pas peur des cimetières On s'y assoit. Pas peur des monstres : On les badigeonne. Peur de se perdre Dans cette ouate Hors des dictionnaires. Merci, les chiens de garde, Les vaches de bruine. Merci, les buissons. Merci, les bancs Quand on les retrouve. Merci, l'aurore - Et cette main Comme un sourire. L'oil de bouf Dans la cathédrale, Jaune et bleu A travers l'ombre, Celui-là Le reconnaissait. Une musaraigne Lui a demandé Le sacre. Il le lui a donné Au pied des ajoncs. Il n'a jamais Endossé de pourpre. A d'autres, celle Du couchant. A l'aube, Certains jours, Il croyait avoir part Au chant du rossignol. Il n'aimait pas du tout, Entrant dans des cités, Étrenner sur des dalles La boue de ses souliers. Il ne s'assoit pas tellement Dans l'ombre des cathédrales. Il préfère les recoins Où ne passent Que les chiens et les mouches, Où il a parfois pour lui La gloire du pissenlit. Le sourire de ses doigts Était son sceptre. Il lui arrivait De le saluer. |
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Guillevic Sphère (1907 - 1997) |
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Portrait de Guillevic Sphère | |||||||||
La vie et l'Ouvre de guillevigGuillevic est né à Carnac (Morbihan) le 5 août 1907. BibliographieGuillevic était l'un des poètes majeurs de notre temps, avec une oeuvre dépouillée, cristalline et forte, traduite en plus de quarante langues dans 60 pays. Pour lui, la poésie permettait de maîtriser l'inquiétante étrangeté des choses. Sa langue dans de courts textes, était précise, dépouillée et travaillée au point qu'un critique avait qualifié sa poésie, d'aiguë et brillante comme un rocher bre |
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