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Guillevic Sphère



La plaine - Poéme


Poéme / Poémes d'Guillevic Sphère





A cette plaine devant toi.

Que diras-tu

Qu'elle ne sache déjà

Pour te l'avoir entendu répéter?

Et pourtant tu sens, tu sais
Qu'il y a quelque chose de neuf
A lui arracher
Et tu cherches.

Peut-être est-ce à cause de l'âge,
Maintenant, que se forme entre vous
Un nouveau réseau,

Et peut-être

Qu'il s'agit de lui confier,
Qu'entre vous, l'âge
N'a rien changé,

Que le pacte

Est toujours pareil.



Je n'ai pas à me sentir ivre
Pour être en communion
Avec toi, l'étendue, avec
Ce que tu contiens.

Il me suffît

De toi et de moi,

Il me suffit de nous,

Tels que nous sommes,
Ivres seulement d'exister
Toi et moi

Et de sentir

Entre nous passer

Ce courant qui n'en finit pas,

De le retrouver

Chaque fois que je t'approche -

Et même quand je suis loin.



Tu vois, plaine :
Quand la passion est là,

Quand on cherche toujours
Comment chercher

Pour arriver à mieux
Se connaître, s'épouser.

Comment découvrir dans l'autre
Ce qui est en soi,

Et s'il n'y est pas

Il faudra qu'il vienne,

Alors tu vois, plaine :
On ne s'épuise pas.



Je me suis tenu sur toi.
Je me suis étendu sur toi,
Je me suis roulé sur toi,

Et tout cela je peux le faire
Encore et encore,
Et je le ferai,

Mais tiens-moi compte

De ce qui fut dans le passé,

De cela dont rien n'est oublié.



Sache, plaine,

Que jamais je ne te vois

De près ou de loin

-
Et j'aime aussi
Te voir de haut -

Jamais je ne te vois
Sans être tout entier
Enveloppé par toi

Et nous enfonçant

Dans des profondeurs

Où toi aussi tu te complais.



Curieux

Que chaque fois

Que sur toi

Je me penche de plus haut,

J'ai le sentiment
De m'élever,

De m'enfoncer en toi
Et de monter.



Qu'en pense le ciel ?

Et je ne parle pas

De ces dieux que j'ignore

Et veux ignorer,

Je parle de l'azur.
De l'éther, des nuages,

De cet abîme

Qui tout à fait m'échappe.



Pardonne-moi
Si parfois,

Au plein de nos épousailles
Dans l'enténèbrement glorieux

De moi par toi
Et de toi par moi,

Je nous sens être une tour
Qui rayonne pour la terre

Et ce qui la couronne.



Je dis

Que nous sommes.

Je dis

Que grâce à nous

D'autres sont aussi
Et qu'ils le savent.

Je dis que grâce à nous
Il se fait une chaîne

Qui triomphe de soi sur soi.



Combien de temps
Durent nos épousailles
Et leurs répétitions ?

Quand l'union
En est là.

Qui donc

Déclencherait le chronographe ?

Il faut

En venir au point

Où l'on ne sait plus
Ni début ni fin.



On se sépare,

Plaine,

Mais on se revient.

On n'a jamais fini,
Jamais été jusqu'au fond.

Il y a et c'est là,
Il y a encore

Quelque chose à découvrir,

A inventer,

A vivre en tout cas,

Un nombril toujours
A quoi se sustenter.



Je suis tout petit,
Je le sais bien,

Et toi tu es grande,

Je dirais immense

Si j'aimais les adjectifs.

Je suis petit, Ça ne fait rien,

Ce n'est pas une question
De dimension.

C'est une question de force,
Une question de besoin.

Je ne me sens pas
Perdu en toi,

Mais voguant en nous,

En cette sphère que nous créons



Elle marche,
L'air la porte,

Elle ouvre un espace
Rendu plus présent.

L'air

Est habité de fleuves

Qu'on ne voit pas.

Elle est leur océan.



La pesanteur est en elle
Juste ce qu'il faut
Pour que la terre
La retienne.



Elle craindrait plutôt
La lumière trop forte.

Plus forte que relie
Que proclame son corps.

Elle a de l'arbre
Ce que celui-ci
Tait de lui-même.





Porteuse

D'assez de douceur

Pour pouvoir la cacher.



Elle a la voix des oiseaux
Quand le printemps
Les entretient.

Elle possède

Ce qui fait qu'on regarde

Couler l'eau du ruisseau
Sans jamais se lasser.

D'elle s'inspirent

Les fleurs, les coraux,
Les levers du soleil.

Sur elle
Même le noir
Devient une couleur.



Elle fait chanter

Les lignes de son corps

Sur un fond qu'elle invente.

Elle a du serpent
La ductilité

Et ce qu'il faut de ruse
Pour être ce qu'on est.



Elle peut aussi
Etre colère

Comme le ruisseau
Devient cascade.

Elle sait

Qu'elle ne sera

Pas toujours la même,

Elle fait comme si.



Elle est un besoin
Qu'a le mystère
De se manifester

Elle est la jonction d'éléments
Dont elle sent
Qu'ils la traversent.

Elle marche

Vers sa consécration

Par ce qui l'environne
Et l'environnera.





Quand elle est là
L'ombre se fait pénombre.

L'arbre

Est enraciné dans la terre,

Elle est enracinée
Dans le centre.

Elle n'est pas si sûre
D'elle-même,

Parfois

Son pouvoir la domine.

Quand elle agit
Elle se rêve.

Toujours en lutte,
Mais contre quoi?

Elle-même
Ne le sait pas.

Quelque chose
Qui fouille l'espace

Et se nourrit
De la lumière.





N'importe où elle marche
C'est son sentier.





C'est en clic
Que les courbes

Trouvent leur perfection.



Où qu'elle soit
Elle peut parler

A la façon des sources
En plein bois.





Quand elle coule sur elle
L'eau retrouve son origine.

Pour dire

La beauté du jour,



Il lui suffit d'apparaître
Sur le pas de la porte.

Elle est chair.
Elle est esprit.

Elle est chair de l'esprit.

Son regard

Dit ce qu'elle pense

De son intérieur,
De son apparence.

Ses yeux sont de firmament.
Ils sont aussi volcans,

Prometteurs d'un destin.

Ses cils

Sont le souvenir

Des forêts originelles.







Ses mains témoignent
Comme les pétales
Que rôde le danger.

Où est la montagne
Qui aurait la passion
Dont parlent ses genoux ?



Ses seins
Gardent le secret,

En appellent
Au silence.

Ils sont ce qu'elle a
De plus planétaire.

Quand elle aime
Toute la terre

Aime avec elle,
A travers elle.



Si elle n'était pas,

Que serait ton aujourd'hui?

Elle seule

Fait barrage

Aux assauts de l'horizon,

Pour te dégager
De cette hypothèque
Toujours là.

Fréquemment
Son regard

Plaide ton innocence.

Son sourire

Est le fruit de l'alliance

Du futur

Et de la planète.



Soleil

Et lune ensemble,

Ostensoir
De la terre.

Je la vois,

Nue à l'horizon,

Grandeur nature,
C'est-à-dire

Les pieds sur la plaine,
La tête au zénith.

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Guillevic Sphère
(1907 - 1997)
 
  Guillevic Sphère - Portrait  
 
Portrait de Guillevic Sphère

La vie et l'Ouvre de guillevig

Guillevic est né à Carnac (Morbihan) le 5 août 1907.

Bibliographie

Guillevic était l'un des poètes majeurs de notre temps, avec une oeuvre dépouillée, cristalline et forte, traduite en plus de quarante langues dans 60 pays. Pour lui, la poésie permettait de maîtriser l'inquiétante étrangeté des choses. Sa langue dans de courts textes, était précise, dépouillée et travaillée au point qu'un critique avait qualifié sa poésie, d'aiguë et brillante comme un rocher bre

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