Guillevic Sphère |
A cette plaine devant toi. Que diras-tu Qu'elle ne sache déjà Pour te l'avoir entendu répéter? Et pourtant tu sens, tu sais Qu'il y a quelque chose de neuf A lui arracher Et tu cherches. Peut-être est-ce à cause de l'âge, Maintenant, que se forme entre vous Un nouveau réseau, Et peut-être Qu'il s'agit de lui confier, Qu'entre vous, l'âge N'a rien changé, Que le pacte Est toujours pareil. Je n'ai pas à me sentir ivre Pour être en communion Avec toi, l'étendue, avec Ce que tu contiens. Il me suffît De toi et de moi, Il me suffit de nous, Tels que nous sommes, Ivres seulement d'exister Toi et moi Et de sentir Entre nous passer Ce courant qui n'en finit pas, De le retrouver Chaque fois que je t'approche - Et même quand je suis loin. Tu vois, plaine : Quand la passion est là, Quand on cherche toujours Comment chercher Pour arriver à mieux Se connaître, s'épouser. Comment découvrir dans l'autre Ce qui est en soi, Et s'il n'y est pas Il faudra qu'il vienne, Alors tu vois, plaine : On ne s'épuise pas. Je me suis tenu sur toi. Je me suis étendu sur toi, Je me suis roulé sur toi, Et tout cela je peux le faire Encore et encore, Et je le ferai, Mais tiens-moi compte De ce qui fut dans le passé, De cela dont rien n'est oublié. Sache, plaine, Que jamais je ne te vois De près ou de loin - Et j'aime aussi Te voir de haut - Jamais je ne te vois Sans être tout entier Enveloppé par toi Et nous enfonçant Dans des profondeurs Où toi aussi tu te complais. Curieux Que chaque fois Que sur toi Je me penche de plus haut, J'ai le sentiment De m'élever, De m'enfoncer en toi Et de monter. Qu'en pense le ciel ? Et je ne parle pas De ces dieux que j'ignore Et veux ignorer, Je parle de l'azur. De l'éther, des nuages, De cet abîme Qui tout à fait m'échappe. Pardonne-moi Si parfois, Au plein de nos épousailles Dans l'enténèbrement glorieux De moi par toi Et de toi par moi, Je nous sens être une tour Qui rayonne pour la terre Et ce qui la couronne. Je dis Que nous sommes. Je dis Que grâce à nous D'autres sont aussi Et qu'ils le savent. Je dis que grâce à nous Il se fait une chaîne Qui triomphe de soi sur soi. Combien de temps Durent nos épousailles Et leurs répétitions ? Quand l'union En est là. Qui donc Déclencherait le chronographe ? Il faut En venir au point Où l'on ne sait plus Ni début ni fin. On se sépare, Plaine, Mais on se revient. On n'a jamais fini, Jamais été jusqu'au fond. Il y a et c'est là, Il y a encore Quelque chose à découvrir, A inventer, A vivre en tout cas, Un nombril toujours A quoi se sustenter. Je suis tout petit, Je le sais bien, Et toi tu es grande, Je dirais immense Si j'aimais les adjectifs. Je suis petit, Ça ne fait rien, Ce n'est pas une question De dimension. C'est une question de force, Une question de besoin. Je ne me sens pas Perdu en toi, Mais voguant en nous, En cette sphère que nous créons Elle marche, L'air la porte, Elle ouvre un espace Rendu plus présent. L'air Est habité de fleuves Qu'on ne voit pas. Elle est leur océan. La pesanteur est en elle Juste ce qu'il faut Pour que la terre La retienne. Elle craindrait plutôt La lumière trop forte. Plus forte que relie Que proclame son corps. Elle a de l'arbre Ce que celui-ci Tait de lui-même. Porteuse D'assez de douceur Pour pouvoir la cacher. Elle a la voix des oiseaux Quand le printemps Les entretient. Elle possède Ce qui fait qu'on regarde Couler l'eau du ruisseau Sans jamais se lasser. D'elle s'inspirent Les fleurs, les coraux, Les levers du soleil. Sur elle Même le noir Devient une couleur. Elle fait chanter Les lignes de son corps Sur un fond qu'elle invente. Elle a du serpent La ductilité Et ce qu'il faut de ruse Pour être ce qu'on est. Elle peut aussi Etre colère Comme le ruisseau Devient cascade. Elle sait Qu'elle ne sera Pas toujours la même, Elle fait comme si. Elle est un besoin Qu'a le mystère De se manifester Elle est la jonction d'éléments Dont elle sent Qu'ils la traversent. Elle marche Vers sa consécration Par ce qui l'environne Et l'environnera. Quand elle est là L'ombre se fait pénombre. L'arbre Est enraciné dans la terre, Elle est enracinée Dans le centre. Elle n'est pas si sûre D'elle-même, Parfois Son pouvoir la domine. Quand elle agit Elle se rêve. Toujours en lutte, Mais contre quoi? Elle-même Ne le sait pas. Quelque chose Qui fouille l'espace Et se nourrit De la lumière. N'importe où elle marche C'est son sentier. C'est en clic Que les courbes Trouvent leur perfection. Où qu'elle soit Elle peut parler A la façon des sources En plein bois. Quand elle coule sur elle L'eau retrouve son origine. Pour dire La beauté du jour, Il lui suffit d'apparaître Sur le pas de la porte. Elle est chair. Elle est esprit. Elle est chair de l'esprit. Son regard Dit ce qu'elle pense De son intérieur, De son apparence. Ses yeux sont de firmament. Ils sont aussi volcans, Prometteurs d'un destin. Ses cils Sont le souvenir Des forêts originelles. Ses mains témoignent Comme les pétales Que rôde le danger. Où est la montagne Qui aurait la passion Dont parlent ses genoux ? Ses seins Gardent le secret, En appellent Au silence. Ils sont ce qu'elle a De plus planétaire. Quand elle aime Toute la terre Aime avec elle, A travers elle. Si elle n'était pas, Que serait ton aujourd'hui? Elle seule Fait barrage Aux assauts de l'horizon, Pour te dégager De cette hypothèque Toujours là. Fréquemment Son regard Plaide ton innocence. Son sourire Est le fruit de l'alliance Du futur Et de la planète. Soleil Et lune ensemble, Ostensoir De la terre. Je la vois, Nue à l'horizon, Grandeur nature, C'est-à-dire Les pieds sur la plaine, La tête au zénith. |
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Guillevic Sphère (1907 - 1997) |
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Portrait de Guillevic Sphère | |||||||||
La vie et l'Ouvre de guillevigGuillevic est né à Carnac (Morbihan) le 5 août 1907. BibliographieGuillevic était l'un des poètes majeurs de notre temps, avec une oeuvre dépouillée, cristalline et forte, traduite en plus de quarante langues dans 60 pays. Pour lui, la poésie permettait de maîtriser l'inquiétante étrangeté des choses. Sa langue dans de courts textes, était précise, dépouillée et travaillée au point qu'un critique avait qualifié sa poésie, d'aiguë et brillante comme un rocher bre |
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