Guy de Maupassant |
A Vincennes, Guy passe vaille que vaille les examens nécessaires pour être versé dans l'Intendance. Il est affecté à la 2e division, à Rouen, en qualité de commis aux écritures. C'est, semble-t-il, un poste de tout repos. Mais ces prévisions optimistes sont vite bouleversées. On imaginait une marche triomphale sur Berlin. Or, dès le début, il faut déchanter. En quelques jours, l'Alsace est envahie, Forbach tombe aux mains de l'ennemi qui pénètre profondément en Lorraine, la principale armée française est bloquée devant Metz. Toutes les forces vives de la nation montent vers le front. Guy suit le mouvement et se trouve pris dans la débâcle. Devant les Prussiens victorieux, les troupes vaincues refluent en désordre. Emporté par le flot, Guy marche tel un somnambule, les mollets douloureux, les pieds en sang, les épaules sciées par les courroies du havresac. Où court-on ? Quand va-t-on s'arrêter ? Personne n'en sait rien. Autour de lui, il voit, comme à travers les buées d'un cauchemar, une multitude de visages hâves, hirsutes, résignés ou apeurés : des mobilisés, « gens pacifiques, rentiers tranquilles », ployant sous le poids de leur fusil chassepot, des gardes mobiles sans armes, traînant la patte, des dragons démontés, des artilleurs égarés, des fantassins en culotte rouge. Pas de drapeaux, pas d'officiers, la cohue anonyme de la défaite. Hier encore, Guy espérait un retournement de la situation, une contre-offensive éclatante. Aujourd'hui, il doute. Pendant un court repos, il envoie une lettre à sa mère, réfugiée dans leur maison d'Etretat : « Je me suis sauvé avec notre armée en déroute ; j'ai failli être pris. J'ai passé de l'avant-garde à l'arrière-garde pour porter un ordre de l'intendant au général. J'ai fait quinze lieues à pied. Après avoir marché et couru toute la nuit précédente pour des ordres, j'ai couché sur la pierre dans une cave glaciale ; sans mes bonnes jambes, j'étais pris. Je vais très bien. » Le 2 septembre, Sedan, défendu par Mac-Manon, avec Napoléon III à ses côtés, capitule après de durs combats. L'empereur est fait prisonnier. L'impératrice s'enfuit en Angleterre. Paris se révolte. Un changement de régime est inévitable. La république est proclamée à l'Hôtel de Ville. Un gouvernement de la Défense nationale est formé en hâte. La fièvre patriotique enflamme les habitants qui ne rêvent que de revanche. Après avoir erré de droite et de gauche avec les débris de l'armée, Guy se retrouve, la faim au ventre, harassé, abasourdi, dans la capitale qui se prépare à un siège de longue durée. Aussitôt, il écrit pour tranquilliser sa mère. Il feint même de croire que la partie n'est pas perdue pour la France : « Je t'écrirai encore quelques mots aujourd'hui, chère mère, parce que d'ici à deux jours les communications seront interrompues entre Paris et le reste de la France. Les Prussiens arrivent sur nous à marche forcée. Quant à l'issue de la guerre, elle n'offre plus de doute. Les Prussiens sont perdus, ils le sentent très bien du reste et leur seul espoir est d'enlever Paris d'un coup de main, mais nous sommes prêts ici à les recevoir. » Pour le moment, il songe surtout à sauver sa peau. Ainsi évite-t-il d'aller coucher à Vincennes pour ne pas s'exposer inutilement. « J'aime mieux être à Paris pour le siège que dans le vieux fort, où nous sommes logés là-bas, lequel vieux fort sera abattu, à coups de canon, par les Prussiens », explique-t-il encore à sa mère. Il a retrouvé son père et celui-ci se démène pour le faire entrer dans les services de l'Intendance de Paris. « Si je I'écoutais, note Guy, je demanderais la place de gardien du grand égout collecteur pour ne pas recevoir de bombes. » De cette déroute, il gardera en mémoire des images de honte, de bêtise et de cruauté. Il a vu des cadavres de Prussiens et de Français gisant pêle-mêle dans la boue, de prétendus espions fusillés sur simple dénonciation d'un voisin, des vaches abattues en plein champ pour qu'elles ne tombent pas aux mains de l'ennemi... Il a sué, il a tremblé de peur et de rage pendant les jours et les nuits de la retraite. La guerre lui fait horreur et il méprise les chefs militaires inaptes et les politiciens bavards responsables du désastre. Cette aversion pour eux ne l'empêche pas de détester tout autant les Prussiens qui foulent le sol de la patrie. Plus on en tue, plus il est content. Son admiration va aux francs-tireurs, aux paysans héroïques qui, çà et là, massacrent les « Alboches » pour venger l'honneur de la France. Il se souviendra de ces cas isolés pour écrire nombre de ses nouvelles. En attendant, il croit, comme tout le monde, que Paris tiendra. Le 5 janvier 1871, les premiers obus tombent sur la ville. La résistance s'organise, tant bien que mal. Privés de ravitaillement régulier, les habitants font la queue devant les boutiques d'alimentation, maudissent les profiteurs, mangent du rat. Enfin, le 28 janvier, Paris, exténué, bombardé, capitule. Un armistice est conclu en prélude à une paix définitive. Des élections législatives ont lieu qui donnent une majorité à la tendance modérée. Nommé chef du pouvoir exécutif, Thiers entre en pourparlers avec Bismarck. L'ennemi exige l'abandon de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine et le paiement d'une indemnité de cinq milliards de francs. La France, humiliée, s'incline. Les troupes allemandes pénètrent dans Paris. Dès que les communications avec l'extérieur sont rétablies, Guy se fait octroyer une permission et quitte la capitale. « La guerre était finie, écrira Maupassant ; les Allemands occupaient la France; le pays palpitait comme un lutteur vaincu tombé sous le genou du vainqueur. De Paris affolé, affamé, désespéré, les premiers trains sortaient, allant aux frontières nouvelles, traversant avec lenteur les campagnes et les villages. Les premiers voyageurs regardaient par les portières les plaines ruinées et les hameaux incendiés1. » En route pour Rouen, il contemple, le cour serré de dépit, des soldats prussiens qui fument la pipe, assis à califourchon sur des chaises, devant les rares maisons encore debout. Partout régnent les casques à pointe et les accents de la langue teutonne. Il faut s'en accommoder. Survivre en attendant de vivre. Pendant que Guy se prélasse à Rouen, puis à Etretat auprès de sa mère, Paris se soulève. C'est la Commune. Thiers ordonne au gouvernement et à l'armée de se replier sur Versailles. Aussitôt un pouvoir insurrectionnel s'installe victorieusement dans la capitale. Quand les troupes régulières reviennent pour étouffer la rébellion, la ville se hérisse de barricades. On se bat dans les rues, entre Français, sous l'oil goguenard des Prussiens. Une répression sanglante met fin à quelques jours d'anarchie. Guy se sent étranger à cette révolution populaire, dont il ne comprend pas bien les motifs. Il fourre dans le même sac les Communards et les Versaillais. Des deux côtés, il ne voit qu'acharnement aveugle et que rage imbécile de tuer. Comme s'il ne suffisait pas de s'être étripés pour rien avec les Alboches ! Contrairement à ces forcenés, Guy a plus que jamais soif de paix, de succès et de plaisirs. Or, Paris le chicane sur la validité de ses permissions. Il reprend le train et retourne à la caserne. Pour combien de temps? Une nouvelle loi se prépare, qui porterait le service militaire à sept ans. Ecumant de colère, Guy s'imagine déjà incorporé comme simple soldat au 21e d'artillerie. Plutôt mourir! Il supplie son père d'intervenir pour obtenir au moins une mutation. Mais, alors qu'il se désespère, la chance lui sourit : on lui trouve un remplaçant2! Il paie sans rechigner la somme convenue. Démobilisé au mois de novembre 1871, il quitte l'uniforme avec soulagement et, encore tout éberlué, se demande à quoi il va bien pouvoir employer ses journées. |
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Guy de Maupassant (1850 - 1893) |
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Portrait de Guy de Maupassant | |||||||||