Henri de Régnier |
Un vent triste et perfide, ô Venise, a soufflé Sur le fard pâli de ta joue, Et la Fortune a fait avec son pied ailé Plus d'une fois tourner sa roue. Toi qui voyais jadis, comme un essaim bruyant Sorti de tes ruches guerrières, Vers ta riche beauté revenir d'Orient Les fanaux d'or de tes galères! Un jour, ne t'es-tu pas, en robe de brocart, Éblouissant ceux qui t'ont vue, Assise en ton orgueil et leur offrant leur part, A ton festin, la face nue ? Puis, sous le masque noir dont le nocturne atour Parait ta grâce déguisée, N'as-tu pas invité le Plaisir et l'Amour A boire à ta coupe irisée?... Une barque de fruits croise sur le canal Une gondole lente et close; Un cyprès noir dans le jardin de l'Hôpital Dépasse le haut du mur rose; Un vieux palais sourit à l'angle d'un campo De sa façade défardée, Derrière un store jaune d'ocre, un piano Estropie un air d'"Haïdée" ; Sur la lagune une péotte de Chioggia Etend sa rouge voile oblique En attendant le vent subtil et doux qui va Se lever de l'Adriatique, Et, Maîtresse des mers, j'évoque un temps lointain, Venise, où, Reine des rivages, Tu coiffais d'une conque d'or le front marin De tes Doges aux durs visages ! |
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Henri de Régnier (1864 - 1936) |
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