Honoré d'Urfé |
Première table. Qui veut être parfait amant, Il faut qu'il aime infiniment ; L'extrême amour seule en est digne ; Aussi la médiocrité De trahison est plutôt signe Que non pas de fidélité. Deuxième table. Qu'il n'aime jamais qu'en un lieu, Et que cet Amour soit un Dieu Qu'il adore pour toute chose ; Et n'ayant jamais qu'un objet, Tous les bonheurs qu'il se propose Soient pour cet unique sujet. Troisième table Bornant en lui tous ses plaisirs, Qu'il arrête tous ses désirs Au service de cette belle ; Voire qu'il cesse de s'aimer, Sinon que d'autant qu'aimé d'elle. Il se doit pour elle estimer. Quatrième table Que s'il a le soin d'être mieux, Ce ne soit que pour les beaux yeux Dont son amour a pris naissance ; S'il ne souhaite plus de bonheur, Ce ne soit que pour l'espérance Qu'elle en recevra plus d'honneur. Cinquième table Telle soit son affection, Que même la possession De ce qu'il désire en son âme, S'il doit l'acheter au mépris De son honneur ou de sa Dame, Lui soit moins chère que ce prix. Sixième table Pour sujet qui se vienne offrir, Qu'il ne puisse jamais souffrir La honte de la chose aimée ; Et si devant lui par dédain D'un médisant elle est blâmée, Qu'il meure ou la venge soudain. Septième table Que son amour fasse en effet Qu'il juge en elle tout parfait ; Et quoique sans doute il l'estime Au prix de ce qu'il aimera, Qu'il condamne comme d'un crime Celui qui moins l'estimera. Huitième table Qu'épris d'un amour violent, Il aille sans cesse brûlant, Et qu'il languisse et qu'il soupire, Entre la vie et le trépas, Sans toutefois qu'il puisse dire Ce qu'il veut ou qu'il ne veut pas. Neuvième table Méprisant son propre séjour, Son âme aille vivre d'amour Au sein de celle qu'il adore, Et qu'en elle ainsi transformé, Tout ce qu'elle aime et qu'elle honore Soit aussi de lui bien aimé. Dixième table Qu'il tienne les jours pour perdus, Qui loin d'elle sont dépendus, Toute peine soit embrassée Pour être en ce lieu désiré, Et qu'il y soit de la pensée, Si le corps en est séparé. Onzième table Que la perte de la raison, Que les liens et la prison Pour elle en son âme il chérisse, Et se plaise à s'y renfermer, Sans attendre de son service Que le seul honneur de l'aimer. Douzième table Qu'il ne puisse jamais penser Que son amour doive passer ; Qui d'autre sorte le conseille Soit pour ennemi réputé, Car c'est de lui prêter l'oreille Crime de lèse-majesté. |
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Honoré d'Urfé (1567 - 1625) |
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Portrait de Honoré d'Urfé | |||||||||
Second livre des délices de la poésie françoise |
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