Jacques Chessex |
I Comme j'écoutais Purcell ce matin Une mésange se posa sur la table du jardin Et me regardant un bref instant « Ne t'attriste pas, dit-elle Respire dans la certitude de ton âme immortelle» Je voulus me lever, courir à l'oiseau Baiser sa tête brillante en le louant de sa bonne grâce Mais il s'était envolé comme un Songe Maintenant regagnant sa place Dans la galerie des anges et des inspirés Je demeurai seul avec mon assentiment ânonné Remerciant cette ombre de son office II Comme j'écoutais Purcell à l'aube Un chant d'oiseau me réveilla de mon éveil Il faut croire que je n'étais pas à mon affaire Car l'oiseau bientôt se montra non loin de moi se posa «Étonne-toi, dit le messager à plumes Oui sois étonné de mon propos à cette heure claire Et remercie-moi de ne te révéler d'autre secret» Aussitôt je voulus questionner cet envoyé Mais il avait disparu plus léger que la fumée Je restai tout le jour avec ce Secret dans la tête Sans autre geste que d'ouvrir un cahier imaginaire pour rien écrire III Un matin, juste avant l'aube Je rêvais que j'écoutais la mort de Didon Où Purcell avait envahi l'espace du rêve Si aisément que l'air jamais ne fut aussi léger Que cette apparition au volet D'une tête emplumée d'ange devant la lumière «Grande lumière, disait l'ange Quelle grâce a voulu ton feu ! » Ange, dis-je alors, n'éblouis pas Oiseau détourne ta face fleurie Il est trop tôt Je ne suis pas encore une âme qui brille Je suis à peine un mort au vent alpestre IV Une fois que je rêvais dans une aube blanche Où Purcell tendait des sons comme des fils brillants Le visage intelligent de l'oiseau des morts Soudain m'était apparu avec le soleil Visage, avais-je dit es-tu la figure de toute absence Ou l'infime partie de mon rêve Seulement cette part de rêve où luit le Secret «Je suis peut-être ton âme qui passe» avait dit l'oiseau Messager zélé, dis-je alors Il n'est temps Ah ne vends pas la peau de l'ours Je suis mort depuis trop peu A peine un vrai mort devant Dieu V Avant l'aube je rêvais que j'étais mort Je voyais devant moi les vers du Livre VI Où Enée rencontre Didon dans les enfers Mais eWefixos oculos aversa tenebat Ah moi aussi je regardais le sol des morts Où l'oiseau se tait dans la ravine et le vent pleure Et la nuit ne gagne ni le jour Si la lumière à jamais cette phosphorescence dans l'absence d'ombre VI À l'aube je songeai qu'un oiseau m'avait parlé Je n'avais pas retenu tout le message Sinon qu'il y était question d'un feu ou d'un Secret À regarder de loin et de près Comme on regarde la lumière peut-être Ou le miel des morts dans l'air Cette couleur sans couleur Pourtant jaune suspendue dans des rivières d'air, des buées Où voler par la pensée et tous mes sens Vers l'autre mort VII Je venais de le rêver C'était peut-être celui que j'appelle «le rêve de Purcell» Ce matin-là je ne savais plus rien de la lumière Ni de son harmonie d'avant Tout à coup survint l'oiseau des alarmes heureuses Et se posa à contre-jour Oiseau, dis-je Que me veux-tu dans ta sérénité Moi qui hésite toujours entre deux maîtres Je vis que l'oiseau riait Sans doute as-tu raison de rire, dis-je Mais tu m'attristes, messager de l'aube En te moquant de ma candeur Ah détourne de moi le buisson de ta tête Regagne tes passerelles vers le vide «Je ne serais qu'une métaphore à ton regard dit le sac de plumes Un mot entre les vivants et les morts? » 11 s'envola aussitôt Et je demeurai tout le jour Les heures vides qui m'attendaient Avec le prophète persifleur Le messager à la face fleurie de feu blanc |
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Jacques Chessex (1934 - 2009) |
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Portrait de Jacques Chessex | |||||||||
BiographieJacques Chessex fait ses études à Fribourg, puis à Lausanne où il entreprend des études de lettres et rédige un mémoire sur Francis Ponge. Il s'oriente ensuite vers l'enseignement du français, mais écrit dès son plus jeune âge de la poésie. Il publie en 1954 un premier recueil Le jour proche, bientôt suivi de trois autres volumes Chant de printemps, Une Voix dans la nuit, Batailles dans l'air. |
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