Jacques Delille |
Il abat les forêts ; il dompte les torrents ; De l'outre mugissante il déchaîne les vents ; Par leur souffle irrité l'ardent fourneau s'allume ; J'entends le lourd marteau retentir sur l'enclume ; L'urne aux flancs arrondis se durcit dans le feu ; Il fait crier la lime, il fait siffler l'essieu ; Ou sur le frêle esquif hasarde un pied timide. Tournez, fuseaux légers ; cours, navette rapide, Et venant, revenant, par le même chemin. Dans le lin, en glissant, entrelace le lin. Les jours sont loin encore, où la riche peinture. Sur des tissus plus beaux tracera la nature Où figurant le ciel, l'homme et les animaux, Le peintre, sans les voir, formera ses tableaux. Ils viendront, ces beaux jours! Cependant l'industrie Allège à chaque instant le fardeau de la vie : L'équilibre puissant nous révèle ses lois, Et par des poids rivaux on balance les poids. A l'aide d'un levier l'homme ébranle la pierre ; Par la grue enlevée elle a quitté la terre. L'art s'avance à grands pas ; mais c'est peu que ses soins Satisfassent au cri de nos premiers besoins; Bientôt accourt le luxe et sa pompe élégante; Du lion terrassé la dépouille sanglante, Dès longtemps a fait place aux toisons des brebis ; Un jour un noble ver filera ses habits. La beauté se mirait au cristal d'une eau pure ; La glace avec orgueil réfléchit sa figure. L'ombre, le sable et l'eau lui mesuraient les jours, Un balancier mobile en divise le cours ; Des rouages savants ont animé l'horloge ; Et la montre répond au doigt qui l'interroge. Quel Dieu sut mettre une âme en ces fragiles corps ? Comment, sur le cadran qui cache leurs ressorts, Autour des douze sours, qui forment sa famille, Le temps, d'un pas égal, fait-il marcher l'aiguille ? Art sublime ! par lui la durée a ses lois ; Les heures ont un corps, et le temps une voix. A tous ces grands secrets un seul manquait encore ; Ma divinité parle, et cet art vient d'éclore. Avant lui, d'un seul lieu, d'un seul âge entendus. Pour le monde et les temps les arts étaient perdus ; Cet art conservateur en prévient la ruine. Quand le bienfait est pur, qu'importe l'origine ? Des vils débris du lin que le temps a détruit. Empâtés avec an, et foulés à grand bruit. Vont sortir ces feuillets où le métal imprime Ce que l'esprit humain conçut de plus sublime. Un amas de lambeaux et de sales chiffons Éternise l'esprit des Plines, des Buffons ; Par eux le goût circule, et, plus prompte qu'Éole, L'instruction voyage et le sentiment vole. Trop heureux, si l'abus n'en corrompt pas le fruit! Mais veux-tu voir en grand ce que l'art a produit ? Regarde ce vaisseau, destiné pour Neptune, Favori de la gloire, ou cher à la fortune, Qui doit braver un jour, navigateut hardi. Ou les glaces du nord, ou les feux du midi. Quelle majestueuse et fière architecture ! Le calcul prévoyant dessina sa structure ; Dans sa coupe légère, avec solidité, Il téunit la force à la rapidité. Emporté par la voile, et dédaignant la rame, Le chêne en est le corps, et le vent en est l'âme. L'aimant, fidèle au pôle, et le timon prudent, Dirigent ses sillons sur l'abîme grondant. L'équilibre des poids le balance sur l'onde ; Son vaste sein reçoit tous les trésors du monde ; La foudre arme ses flancs ; géant audacieux, Sa carène est dans l'onde, et ses mâts dans les deux. Longtemps de son berceau l'enceinte l'emprisonne ; Signal de son départ, tout à coup l'airain tonne : Soudain, lassé du port, de l'ancre et du repos. Aux éclats du tonnerre, aux cris des matelots. Au btuit des longs adieux mourants sur les rivages. Superbe, avec ses mâts, ses voiles, ses cordages, Il part, et devant lui chassant les flots amers. S'empare fièrement de l'empire des mers. |
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Jacques Delille (1738 - 1813) |
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Portrait de Jacques Delille | |||||||||