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Jacques Du Lorens



Satire ii - Satire


Satire / Poémes d'Jacques Du Lorens





Au roy.

Race de tant de roys, l'Hercule de la
France,

De qui
Mars aujourd'huy releve sa vaillance,

Qui, en vostre jeune aage, avez tant exploité

Que nous craignons desja que la posterité

Ne die que
Mathieu, par tout si veritable,

Quand il parle de vous, luy raconte une fable;

Monarque genereux, parangon des
Caesars,

Vous avez fait paroistre, au milieu des hazards,

Que, si vous n'eussiez eu ce royaume en partage,

S'il ne vous fust écheu comme propre heritage,

Vous pouviez l'acquerir avec vostre valeur,

Qui vous fait triompher en dépit du malheur.



Mais
Dieu comme il luy plaist toutes choses ordonne,

C'est luy qui fait d'un homme un docteur de
Sorbonne,

Un evesque, un meunier, un curé; c'est son doi

Qui fist cet univers, qui vous a fait un roi.

C'est luy qui escrivit sur des tables de pierre

Les saints commandemens, qui forma le tonnerre;

C'est luy qui meut les cieux d'un mouvement égal,

Qui fist élire pape un pauvre cardinal,

Lequel auparavant pensoit aussi peu l'estre

Qu'un françois, que l'enfant qui est encor à naistre.

C'est luy qui vous protege et sauve de méchef,

Qui a mis le bon sens en vostre sacré chef;

Car vous suivez la foy de l'eglise romaine,

Salutaire flambeau de la nature humaine.

Vous portez à bon droict le nom de tres-chrestien,

D'autant que nos ayeux ont dependu leur bien,

Ont espandu leur sang, pour remettre nos papes

En leur siege de
Rome, avec leurs grandes chapes.



Ce n'est pas vous loüer que loüer la vertu

Dont chacun recognoist que vous estes vestu,

Mon loys, qui venez d'un loys que l'eglise,

Pour ses perfections, justement canonize;

Enfant praedestiné pour regner icy bas,

Pour moissonner la gloire au champ des durs combas,

Pour vaincre, pour emplir tout le monde d'exemples,

Pour charger de drappeaus les voutes de nos temples,

Pour estre quelque jour la merveille des roys,

Quand vous aurez borné la terre des françois

Du bord où le soleil au matin se reveille

Jusques à l'autre rive où le soir il sommeille.



Je prens un ton trop haut, et crains que mon dessain

Ne plaise pas à ceux qui ont l'esprit mal sain,

Et de donner subject à quelque fantastique

De dire que c'est mal travailler en musique;

Que c'est mesler la fluste avecque les haubois,

La terre avec le ciel, que de chanter les rois,

Et parler de combats, de victoires, d'empires,

Au front de ce livret que je nomme satyres.

Il auroit bien raison, et moy je n'ay pas tort;

Un homme de village est tousjours mal accort,

Rustique, impertinent; il n'a point de methode,

Il ne sçait ny danser ny baller à la mode.

" oüy, voire, c'est mon " , ce sont ses plus beaus mots;

On l'entend bien venir avecque ses sabots.



Il choppe à chaque pas, il bronche, il s'entretaille,

Si ce n'est quand il dit qu'il paye trop de taille;

Car c'est où il luy tient.
Il donne son advis,

En conferant son tens avec ceux de
Clovis,

De
Pepin, de
Martel, selon que de l'histoire

Il auroit peu transcrire en son vieux repertoire.

Dessus ce lieu commun il est fort eloquent,

Il tranche en philosophe un " et par consequent " ,

Un " qu'en dis tu, compere?
Y a t'il apparence? "

Et puis, pour epilogue : " adieu, la pauvre
France;

Tu t'en vas, tu te pers, tu te meurs, je le voi,

Mais ton mal ne vient pas de la faute du roi;

C'est un prince benin, courtois et magnifique,

Qui gueriroit les maux de la chose publique,

S'il n'estoit entouré de ces gourmans oyseaus,

Qui sont affamez d'or, plus que les noirs corbeaus

De la chair des pendus : ils volent ses finances;

Leur subtilité fait la nique aux ordonnances. "

Sire, je ne croi point que vostre majesté,

Qui entre les vertus cherit l'humanité,

Recognoisse le point où la
France est reduite;

Son mal est au dessus de la sage conduite.

Elle n'a plus de nerfs, son corps est tout perclus;

Qu'on luy taste le bras, le poux ne luy bat plus.

Au reste, son malheur naist de la convoitise,

C'est elle qui la pille et la met en chemise,

Qui la bat, qui la tue, et se rit de ses cous;

Il est tens ou jamais de se mettre à genous,

D'implorer la faveur et le secours celeste,

De pleurer, de jeusner, de coucher de son reste.



En fait de penitence, il se faut amender,

Se chastier soy mesme, et se reprimender;

Il est tens que
Roger aille voir logistille,

Que les sacrez prelats eslisent domicile

Auprés de leurs troupeaus, affin que ces grands loups,

Qui ont l'exterieur et le semblant si dous,

Ne les viennent ravir et n'en facent leur proye;

Qu'ils marchent habillez de vertus, non de soye;

Qu'ils vivent chastement, exempts d'ambition,

Si ce n'est de gloser sur la perfection;

Que ceux qui ont l'honneur d'estre nez gentils-hommes

Reluisent en bonté dessus les autres hommes,

Qu'ils soient humbles, prudens, qu'ils honorent leurs rois,

Qu'ils n'endossent jamais que pour eux le harnois,

Qu'autre respect mondain dedans leur ame n'entre,

Leurs lignes icy bas ne tendent qu'à ce centre;

Que les princes, qui sont aux beaus astres pareils,

Cognoissent que leur jour blanchit de ces soleils;

Qu'éloignez de la cour, ils perdent leur lumiere,

Leur lustre, leur éclat, et deviennent vulgaire.



Je n'oze conseiller messieurs les advocas,

Qui vendent tous les jours leur langue à
Barrabas,

Qui tourmentent les loix, à qui l'indifference

Et le hardy parler tient lieu de conscience.

C'est en vain s'informer des braves medecins,

Qui ont tousjours les yeux fichez dans des bassins,

Pour sçavoir s'il nous tient au foye ou à la rate,

À la vessie, au rein, au ventre, à l'omoplate;

Qui commettent un meurtre avec impunité;

On les doit honorer pour la necessité.

Chaque condition et chaque aage a son vice;

Le larcin aux tailleurs n'est pas une malice,

L'insolence aux soldats est un petit peché,

Un seigneur à midy est encore couché,

Pierre est homme de paix et qui fait le scandale,

Martin sçait comme il faut renoüer la caballe,

On quitte le sermon pour ouir
Tabarin,

Dom
Pedre ne s'endort qu'au son du tabourin,

Helene fait l'amour et s'habille en devote,

Son mary dit : " allez, elle n'est point trop sotte.



Cocu, cornu, bien, soit, je ne m'en veux fascher,

Je voi bien à l'argent qu'elle vend bien sa chair. "

L'autre couve la sienne et pour rien la menasse,

Il en est plus jaloux qu'un gueux de sa besasse.

Un chacun a son goust, son advis et son sens;

Tel clerc refuseroit l'archevesché de
Sens,

Pour estre dans
Paris curé de
S
Eustache;

De son opinion l'homme fait sa rondache,

S'en couvre et s'en deffend contre celle d'autruy.

Sire, voila comment nous vivons aujourd'huy,

Chacun de nous veut croire et veut faire à sa teste,

Et toutefois cela n'est ny beau ny honneste.

Les princes font les roys; icy, aux environs,

S'elevent tous les jours mille petis barons,

Qui ne sçauroient monstrer ailleurs leurs baronies

Et leurs fiefs de haubert que dans leurs fantasies.

Les françois n'en sont plus que sur la vanité;

Vous verrez un coquin regarder de costé;

Le magistrat est plein de faste et d'avarice;

Bien que j'aye l'honneur d'estre homme de justice,

Je ne puis ny de moy ny d'eux dire du bien;

Tout y est si broüillé qu'on n'y cognoist plus rien.

Quant à ces gros bourgeois, ne troublez point leur aize,

Permettez à leur chef de sortir d'une fraize,

Ne leur deffendez pas l'usage du satin;

Il les fait trop bon voir, le dimanche au matin,

Partir de leurs maisons tous pleins de braverie,

Et leurs femmes sur qui luit mainte pierrerie.



C'est à vous de reigler toutes nos actions,

À garder vos subjects de tant d'oppressions

Qu'ils souffrent des plus grands que je n'ozerois dire.

Vous avez dessus nous le souverain empire;

Dieu vous l'a concedé, que nous devons ouir,

Et à nous seulement la gloire d'obeyr.

De ces jolys propos la belle humeur se jouë,

Nous voulons comme porcs demeurer en la bouë;

Les maux que nous avons, peste, guerre, procés,

Debats, sterilitez, naissent de nos excés;

Je ne sçai pas comment nous en pourrons respondre,

Comme on dit : " aprés raire il n'y a plus que tondre. "

Tout le monde est aveugle et court à son malheur;

Sot à la grande paye il nourrit son erreur,

Et se pense pourtant plus fin que maistre mouche;

Le soleil tous les jours sur ses pechez se couche.

Nos corps demy usez panchent vers le tombeau;

Dieu, la loy, la nature, ont beau crier tout beau,

Aux traicts de la vertu son ame est impassible,

La raison à son goust commande l'impossible;

Les discours des prescheurs, leur clameur, leurs conseils,

À son mal obstiné sont des vains appareils;

L'exemple de vos moeurs, qui fait rougir le crime,

Le desir de vertu dans son ame n'imprime,

Combien qu'il soit escrit dedans un petit vers

Qu'à l'exemple du roy se forme l'univers,

Et que c'est son patron, son moule et son modelle.

Ma foy,
Diogenés y perdroit sa chandelle,

S'il revenoit chercher un homme en plein marché.

La
France, excepté vous, n'est qu'ordure et peché.

Je meure mille fois si je vous flatte, sire;

C'est pourquoy je vous fai present de ma satyre,

Et de moy, qui suis né pour elever aux cieux

La gloire et le renom de vos faicts precieux.



Or, si je ne fais pas en vers si bien qu'Homere,

Qui celebre
Achillés, c'est la faute à ma mere,

Qui, m'ayant enfanté, n'usa du lavement

Qui fait dans un corps sec plus clair l'entendement,

Et, pour sçavoir le bien et le mal de bonne heure,

Ne m'a pas faict manger assez souvent du beure.

C'est ce qui m'a reduit à ce genre de vers,

Lequel faict regarder son pere de travers,

Et, rampant dessus terre en sa phrase commune,

Touche ce qui se fait sous le ciel de la lune;

Mais entre les meschans il note et monstre au doi,

Il damne ces mutins qui font la guerre au roi.

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Jacques Du Lorens
(1580 - 1655)
 
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