Jacques Du Lorens |
À Monsieur Bourbon. Nul autre comme vous, si vous vouliez, Bourbon, Pourroit noter les moeurs avecques du charbon; Car en ce beau latin vous egalleriez Perse, Qui de son style argu les consciences perse Des grands seigneurs romains, leur donnant des remors, Sous les noms empruntez d'autres qui estoient mors Cent ans auparavant. Du prudent satyrique, Ainsi que du soleil, la carriere est oblique. Aujourd'huy neantmoins chacun s'en veut mesler; Icare audacieux veut encore voler Sur l'aile de ces vers, assez mal emplumée; Un esprit de haut nez queste la renommée; Comme un asne au moulin, il s'employe à l'avoir, Sans mesurer sa force avecque son pouvoir. Il faut qu'un satyrique evite le scandale, Qu'il pratique discret la leçon que Dedale Donnoit à son enfant, et qu'il n'observa pas; Que son vol moderé n'aille ny haut ny bas. Pourveu qu'ils ayent leu les parties d'Astrée, Ils s'imagineront faire d'une ventrée Cinq cens vers plus polis, plus nets et plus divins Que ceux là que Lucain faisoit en ses jardins, Ou que vous ne feriez, quand vostre riche veine Jaillit heureusement sur les rives de Seine; Que ne feroit Malherbe en sa plus belle humeur. Le sçavoir en nostre ame engendre une tumeur, L'enfle comme un balon, charité l'edifie; Ils n'ont point fait leur cours en la philosophie, Ils n'ont point leu Virgile, encor moins Ciceron, Ils ont leu d'Achilles tué par le talon, Et des sages conseils que luy donnoit sa mere, Dans Oger Le Danois plus tost que dans Homere; Ils l'ont peut estre leu dedans quelque Amadis. Je suis bien estonné qui les fait si hardis, N'ayans jamais soustraict la main à la ferule, De s'ozer escrimer des armes de Marulle. Aussi leur advient il comme à ce chevalier À refformer sa mine et porter le colier, À Thaïs la converse à porter une cape, Au jeune arcadien à trainer une chape, À l'enroué corbeau chanter en rossignol; C'est précher en françois et sentir l'espagnol. Ils s'y prennent ainsi que chats à porter mouffles, À qui n'est cordonnier à juger des pantouffles, À qui n'est pas guerrier endosser le harnois, Aux vieillards frequenter les joustes et tournois; Et de leurs beaux escrits, qu'on y prenne un peu garde, Qui en retrancheroit ceste phraze mignarde, Ces petits mots de cour jolyment enfilez, Que le devot Nerveze a jadis compilez, Et depuis Renouard en sa metamorphose, Le reste, à mon advis, ne vaudroit pas grand chose. Mais, quand ces escrivains cinglent en haute mer, Et veulent tesmoigner qu'ils sçavent l'art d'aimer, Qu'ils ont leu tout Ronsard, et Ovide, et Petrarque, Dieu sçait à quels perils ils hazardent leur barque, Et en quelles erreurs s'impliquent leurs esprits, Quand, aprés un discours de Cephale et Procris, Ils font une equipée aux histoires romaines, Et brouillent hardiment les affaires humaines, Prenans la republique, où florirent les loys, Pour le tans de l'empire ou pour celuy des roys, Alleguans Suetone au lieu de Tite Live. Bref, en tous leurs escrits n'y a ny fond ny rive. L'ignorance est aveugle ou elle n'a qu'un oeil, Qui à chaque propos prend Paris pour Corbeil, Pensant gaigner Calais tire au pays des basques. Le monde est vileiné d'opinions fantasques. Il prendra plus tost goust à ces demy sçavans Qu'aux doctes qui ont veu la demeure des vans, Des pluyes, des frimas; dont la perseverance Est enfin parvenue au sommet de science, Qui gist à se montrer benin à l'entretien, À bien juger de tout, et à ne juger rien En matiere de foy qui nous est revelée, Sans demander comment captiver sa pensée; Parler et se vétir comme on fait à Paris, Voire, s'il est besoin, chanter : adieu Cloris. Qui vit jamais amant, à banqueter, à rire, Aprés dedans son coeur en faire une satyre? L'esprit du sage est double et ferme à deux ressorts; S'il estoit au dedans tel qu'il est au dehors, Et s'il ne separoit sa peau de sa chemise, Il heurteroit le monde et ne seroit de mise. C'est dommage que moy qui di la verité, Qui censure la vie avecque charité, Qui n'ay intention d'attaquer les personnes, Ne vai donner advis au gros seigneur d'Alonnes Que sa façon deplait, qu'on le tient sur les rangs, Qu'il est trop orgueilleux; qu'envers Dieu, les plus grands, Soient ils papes ou roys, ne sont que des pygmées; Qu'un bon veneur cognoit le cerf à ses fumées; Qu'un ecclesiastic, tant plus se voit haussé Aux honneurs de son ordre, est tant moins dispensé De se montrer courtois, humble, doux et honneste; Que dessous tout habit on peut faire la beste; Qu'il n'est rien estimable, estant en ces bas lieux, Que la seule vertu, qui fait les hommes dieux; Que ceux qui sont chargez de mytres et de crosses, Qui ont le sceptre en main, pour qui sont les colosses, Les statuës de bronze et les arcs triumphans, Qu'on a veu chevaucher les monstreux elephans, Caesar, Pyrrhe, Annibal, Scipion, Alexandre, Seront bien empéchez quand il leur faudra rendre Conte de tous les maux que leurs soldats ont faict; L'estat plus relevé n'est pas le plus parfaict; C'est un present du ciel que de naistre un pauvre homme, Vivant de son travail, plus tost qu'un gentil homme, Que riche, que puissant, en faveur à la cour, Si le proverbe est vray, que chacun a son tour. Il se faut conformer aux vaines apparences, Et faire à ces messieurs de grandes reverences; Il leur faut rire au nez, approuver leurs façons; Ne les sentez vous plus, en faire des chansons; Car qu'ils ne pensent pas assujettir nos ames, Ainsi qu'ils font nos corps, ces subjets d'epigrammes, Ces mignons, delicats, qui ont tout à souhait. L'esprit se moque d'eux, et plus fou qui l'en hait. Il réve, il considere, il remasche, il rumine, Il controlle l'habit, et la barbe et la mine, Les craintes, les desseins, la joye et les douleurs, Et en juge un peu mieux qu'aveugle des couleurs; Il aime à sindiquer la vanité des hommes, Il en est plus friand qu'un normand n'est de pommes. Tout est de son gibier, c'est un petit Phoebus, Dont la vive clairté découvre les abus, Et, parmy leur grand nombre, il s'en trouve d'insignes Dont l'excés criminel nous fait noircir ces lignes, Qui produiront leurs fruits en quelques debauchez Et les retireront de leurs sales pechez, Paillardize, larcins, jeux, meurtres, tavernage, Pour voüer aux vertus leur genereux courage; Imitans en ce point le jeune Polemon, Lequel, ayant ouy cette belle leçon Du grec Xenocratés, touchant la continence, Avant son dejeuner, n'eut pas la patience, Pour mieux la repeter, d'aller en sa maison; Mais, s'advouant vaincu par la droicte raison, Arracha de son col la couronne etoffée, Pour luy faire soudain de sa honte un trophée. D'autres mépriseront nos advertissemens; Bourbon, autant d'humains, autant de jugemens; Comme nous les voyons avoir divers visages; Les uns, s'il echeoit, voudroient bien estre sages, D'autres le croyent estre, et ne sont que des fous; C'est la lune icy bas vouloir garder des lous, Et changer en genets les asnes du Bazacle. Selon Hypocrates, c'est tenter un miracle Que de penser guerir contre leur volonté Ceux qui cherissent plus le mal que la santé. Pour moy, j'estale icy mes drogues, et vous jure Que qui n'en veut user ne me fait point d'injure. |
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Jacques Du Lorens (1580 - 1655) |
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