Jacques Dupin |
Rentre tout de même ta récolte incendiée. Et va-t'en, les mains ouvertes, le sang dur. Il reste une enclave inconnue dans ce corps séparé, Une route dans ma route, Et la rauque j ubilation de l'espace affamé. La lumière affectionne les torrents taris, Les lèvres éclatées... Va-t'en, la maison est en ordre, L'épieu du vent la traverse. Dans la vieille ferme éventrée Ou vint s'abattre leur lanterne, Lui s'attable et coupe le pain, Elle, commence à souffrir... Des parcelles de vérité Criblent ma voix sans l'ensemencer, A l'écart pourtant de la mort volubile, De l'atroce feuillage aimanté. Langue de pain noir et d'eau pure. Lorsqu'une bêche te retourne Le ciel entre en activité. Nos bras amoureux noircissent, Nos bras ouvriers se nouent. Juste la force De basculer dans le ravin Notre cadavre successif Et ma bibliothèque de cailloux. Ta nuque, plus bas que la pierre, Ton corps plus nu Que cette table de granit... Sans le tonnerre d'un seul de tes cils, Serais-tu devenue la même Lisse et insaisissable ennemie Dans la poussière de la route Et la mémoire du glacier? Amours anfractueuses, revenez. Déehirez le corps clairvoyant. Longtemps l'angoisse et ses travaux de vannerie, Soudain cette ombre qui danse au sommet du feu Comme une flamme plus obscure. Longtemps les affres et le ploiement D'un verger soupçonné au défaut de nos fers, Soudain le furieux sanglot, le dernier rempart, Et la maison ouverte, inaccessible, Que le feu construit et maintient. Frivole agonie tournoyante, Une femme effrayée de rajeunir Tombe inanimée pour qu'il neige. Où es-tu, foudre errante de la forêt Dont on m'annonce la venue, - Dont on m'épargne la rencontre? Les invités s'éloignent sous les arbres. Je suis seul. Une étoile. Une seconde étoile. Plus proche encore et plus obscure, Et leur complicité dans l'atonie Pour clouer le cour. Reste le seul battement D'une minuscule agonie désirable Dans les hauts jardins refermés. La scansion de l'affreux murmure te dégrade Écourte ta journée, enterre tes outils. J'adhère à cette plaque de foyer brûlante, Insensible... Je rends ton enfant à la vague. Je tourne le dos à la mer. Reconquise sur le tumulte et le silence Également hostiles, La parole mal équarrie mais assaillante Brusquement se soulève Et troue l'air assombri par un vol compact De chimères. Le tirant d'obscurité du poème Redresse la route effacée. L'immobilité devenue Un voyage pur et tranchant, Tu attends ta décollation Par la hache de ténèbres De ce ciel monotone et fou. Ah, qu'il jaillisse et retombe, Ton sang cyclopéen, Sur les labours harassés, Et nos lèvres mortes! Dans l'attente à voix basse De quelque chose de terrible et de simple 1- Comme la récolte de la foudre Ou la descente des gravats... C'est la proximité du ciel intact Qui fait la maigreur des troupeaux, Et cet affleurement de la roche brûlante. Et le regain d'odeurs de la montagne défleurie... Sommets de vent et de famine, Motet insipide, fureur des retours, Je redoute moins la déchéance qui m'est due Que cette immunité Qui m'entrave dans ses rayons. Terre promise, terre de l'éboulement. Malgré les colonnes, malgré le tambour. Mon corps, tu n'occuperas pas la fosse Que je creuse, que j'approfondis chaque nuit. Comme un sanglier empêtré dans les basses branches Tu trépignes, tu te débats. Le liseron du parapet se souvient-il d'un autre corps Prostré sur le clavier du gouffre? Jette tes vêtements et tes vivres, Sourcier de l'ordinaire éclat. Le glissement de la colline Comblera la profondeur fourbe, L'excavation secrète sous le pas. Le calme s'insinue avec l'air de la nuit Par les pierres disjointes et le cour criblé A la seconde où tu as disparu Comme une écharde dans la mer. Je touche et tes larmes et l'herbe de la nuit-Allégresse mortelle, est-ce toi? La lumière deviendra-t-elle argile dans mes mains Pour la modeler à ta ressemblance, 0 mon amour sans visage? Qui va tresser au pied de la combe L'osier coupé par ces enfants? Qui peut mourir encore Comme une aggravation de la lumière, Comme un accroissement du calme? Parole déchiquetée, Four une seule gorgée d'eau Retenue par le roc, Parole déchiquetée, Fiente du feu perpétuel, Éclats de la pierre des tables. |
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Jacques Dupin (1927 - ?) |
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