Jacques Prévert |
A cette époque c'était la paix c'est-à-dire la guerre ailleurs et la vie du plus pauvre avait de la valeur Le pain avait le goût du pain le vin avait le goût du vin et la tristesse parfois avait encore le goût du rire La vitesse était neuve et douce de grands chevaux-vapeur attelés aux trains omnibus faisaient diligence de Honfleur à Paris de Paris à Honfleur A cette époque Alphonse Allais jouait avec la vie comme le chat avec la souris et la vie jouait avec lui comme la Fourrière avec le chien la mort aux rats avec le rat le militaire avec sa vie Alphonse Allais jouait avec la vie comme l'enfance avec la connerie A son berceau la fée d'Honneur lui avait cérémoniale- nient demandé Seras-tu sérieux Alphonse Allais Jamais madame Jamais avait répondu l'enfant à la fée C'est grave c'est très gTave tu sais avait dit la fée en claquant la porte Je sais je sais et que le bon Dieu vous emporte chère fée L'enfant savait Un peu plus tard adolescent derrière les bocaux de couleur de la pharmacie de Honfleur il riait dans la barbe des gens et quand la barbe de ces gens bien élevés et bien pensants se hérissait et se hérissonnait le fou rire alors l'emportait et il se laissait emporter frémissant à la gare Saint-Lazare où l'âge d'homme l'attendait Voyages douleurs divertissements Plages de Paris la nuit les filets du souvenir séchaient à la terrasse des cafés et le vieil enfant de la Pharmacie sur le sable dans la sciure mouillée traçait du bout de sa canne les plans d'un univers cocasse cruel et vrai Univers salé univers d'Alphonse Allais ce petit univers tendre et désordonné d'une logique intense jamais désarçonnée A peine entendue à peine écoutée la musique d'Erik Satie l'accompagnait Traçons à notre tour sur le sable mouillé traçons en signe d'amitié un monument momentané à Alphonse Allais comme une falaise de craie en souvenir de la mer tracée sur l'ardoise d'un café Élevons ce monument à la mémoire d'Alphonse Allais gentil garçon de cage de la grande ménagerie où les Fauves humains savants et cultivés se dévorent à belles dents horrifiées et cariées Monument forain et acrobatique où chaque acrobate dûment stylé représente une pièce détachée de la pyramide humaine élevée à Alphonse Allais Premier acrobate : la côte d'Adam deuxième acrobate (plus petit) : la pomme d'Adam troisième : la cuisse de Jupiter quatrième : le talon d'Achille cinquième : la verge de Moïse sixième : le cou-de-pied de Vénus septième : le foie de Prométhée huitième : le sacré cour de J.-C. neuvième : la tête de Méduse dixième : les oreilles de Midas onzième : la langue d'Esope douzième : le nez de Cléopâtre treizième : la queue de Lucifer quatorzième : le doigt de Dieu Ce doigt remuant menaçant donne un petit faux mouvement perpétuel à l'ensemble du monument Le numéro terminé tout le monde sautera à terre et s'enfuira en poussant des cris et cela toujours sur la musique d'Erik Satie Et nous reconnaîtrons dans l'assistance Jack lTÉven-treur Ivan le Terrible Bernard lUennite Guillaume le Taciturne Louis le Débonnaire Alexandre le Grand Charles le Téméraire Roger la Honte Raymond la science Pierrot les Grandes Feuilles Robert le Pieux Rosa la Rose Jalma la Double Montluc le Rouge Valentin le Désossé Fanfan la Tulipe Laniel le Bouf et Olivier le Daim Nabot Léon premier Nabot l'Aiglon deux Napo Léon trois et Tutti Quanti. |
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Jacques Prévert (1900 - 1977) |
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Portrait de Jacques Prévert | |||||||||
Biographie / chronologieJacques ne veut rien savoir de tout ce qui s'appelle PRISON, il n'aime guère les prêtres et serviteurs d' Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, la passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l'anticléricalisme prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. |
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