Jacques Prévert |
Cet homme vêtu de blanc Et qui jonglait avec des citrons verts Et aussi des petites cuillers Cela fait déjà très longtemps qu'il a été emporté par la mer Tout ceci est sans importance Seulement les paroles d'une chanson Doux billet d'Août Massacres de Septembre Poissons d'Avril et belles de Mai Journées d'Octobre, décombres de Décembre Ides de Mars et quatorze Juillet le café refroidit dans la tasse La jeune fille est allée se noyer Son amour était pris dans une nasse Elle est partie le délivrer Tout ceci est sans importance Seulement les paroles d'une chanson Une chanson de circonstance Écrite pour une exposition Toutes les fenêtres donnent sur la mer Mais l'hôtel est abandonné Au loin sur le débarcadère Un homme avec une pipe en terre Regarde la marée Et la marée est basse et l'homme s'appelle Labisse Et c'est lui le seul locataire De cet hôtel désolé Et livré aux choses de la mer Depuis déjà de longues années Oh bien sûr on peut se demander Ce qu'il fait là Labisse Au lieu de manger tranquillement Son pain blanc le premier Et puis la bisque d'écrevisse avec les basques des crevasses En toute simplicité Et pourtant c'est bien simple À quoi bon le cacher Ce qu'il fait là Labisse Il fait bien dans le tableau Parce que c'est son boulot Et il montre de belles images Délicatement ensanglantées Et toujours de bonne humeur Il met de l'ordre dans la maison Et chaque place à sa chose Et chaque chose à sa place Le miroir à trois fils dans la mère à trois faces Et la sirène dans la baignoire Et les six rois dans le placard Et puis l'os dans la moelle Le renard dans le raisin Le raisin dans le pépin Le pépin dans la pépinière, la pépinière dans la caserne Et la caserne dans le désarroi Et le soleil dans le blanc d'ouf Et l'ouf dans le blanc de soleil Et le tenon dans la mortaise et la chaisière sous le chaisier Et l'oil dans l'escarbille et le mendiant dans sa sébille Et la salamandre dans le feu, le feu dans la forêt, la forêt dans l'arbre, l'arbre dans la branche, la branche dans la fleur, la fleur au chapeau, le chapeau sur la tête, la tête sur le billot. Et ceci est sans importance Simplement les paroles d'une chanson Une chanson pour Labisse et son exposition Une fille nue entre dans la danse Un homme perdu sort de prison Une vieille femme lave du linge Un grand singe mange un melon Et d'une voix de tête La tête dont on parlait plus haut La tête sur le billot Oui entonne à tue-tête Dans un panier de sons La chanson du bourreau La chanson de Samson Dans le son il y a du sang Dans le sang il y a du son Dans mon corbillon qu'y met-on? Et tout ceci est sans importance Un petit air de circonstance Et toutes les paroles d'une chanson Chantée par le grand échanson L'échanson de Bilitis En l'honneur de Labisse Et un coup de rouge pour Labisse Nous le boirons à sa santé Et un coup de clairon pour les autres Tous les autres à qui ça plaît. |
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Jacques Prévert (1900 - 1977) |
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Portrait de Jacques Prévert | |||||||||
Biographie / chronologieJacques ne veut rien savoir de tout ce qui s'appelle PRISON, il n'aime guère les prêtres et serviteurs d' Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, la passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l'anticléricalisme prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. |
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