Jacques Prévert |
Un enfant marche en rêvant son rêve le poursuit en souriant Pas un rêve de plus tard quand je serai grand non un rêve de tout de suite marrant proche et vivant Et l'enfant glisse et tombe et son rêve se brise et l'enfant s'éloigne en boitant laissant sur le trottoir une petite flaque de sang Arrive alors le vieux colonial que tout le monde encore appelle le Commandant Figé devant la flaque il vitupère ostensiblement Osang sang d'enfant sang perdu et inutilement répandu tu ne devrais couler qu'à ton heure et pour le salut de l'Empire Mais son sang à lui se fâche son sang aigri délavé desséché blanchi sous le harnais Et passant réglementairement par la voie hérarchique artérielle sclérosée et tricolorisée lui donne un mauvais goût avant de s'abîmer définitivement La terre tourne brutalement et le rebord du trottoir où s'étale encore la petite flaque de sang arrive exactement à la hauteur de la tête du Commandant Un monsieur qui sans aucun doute est quelqu'un survient bientôt avec quelques plaques de verre et à son tour se penohe sur le trottoir mais très délicatement Un peu plus tard devant un public de choix il démontre amphithéâtralement l'éternelle beauté de la race qui permet à un vieux militaire âgé de soixante-neuf ans de rendre son âme à Dieu en ne versant en fin de compte qu'un peu de sang en tout semblable et ceci démontré scientifiquement à celui d'un petit enfant Alors dans un inoubliable et chaleureux élan de légitime fierté congratulatoire tout le monde ému souriant pleurant s'embrassant s'applaudissant se dresse debout comme un seul homme en entonnant Allons enfants Et comme un seul homme lui aussi un homme seul est resté assis un garçon de laboratoire venu là par désouvrement Il est immédiatement et unanimement montré du doigt et foudroyé du regard Excusez-moi je sommeillais la guerre moi je trouve cela d'un ennui mortel alors vous comprenez Mais ne vous gênez pas poursuivez vos ébats allez allez allez enfants marchez marchez qu'un sang impur abreuve vos sillons et que vos trompettes de Jéricho par la même et grande occasion renversent la muraille du son Enfin pardonnez-moi d'avoir troublé innocemment vos grandes effusions de sang Et comme il est jeté dehors ignominieusement Dehors la guerre et la mort ont beau se rappeler à son meilleur souvenir dehors et déjà comme tous les jours il court à son rendez-vous d'amour Pour lui le sang c'est toujours l'amant de cour de la vie Aussi vrai qu'il y a une barrique de vin rouge dans l'arrière-boutique de la lune Aussi vrai qu'il y a une carafe d'eau fraîche à la terrasse du soleil Aussi vrai qu'il y a une fanfare de poissons dans chaque vague de la mer Aussi vrai que la fille inquiète et debout devant le calendrier attend sans rien dire le sang qui se fait prier. |
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Jacques Prévert (1900 - 1977) |
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Portrait de Jacques Prévert | |||||||||
Biographie / chronologieJacques ne veut rien savoir de tout ce qui s'appelle PRISON, il n'aime guère les prêtres et serviteurs d' Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, la passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l'anticléricalisme prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. |
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