Jacques Prévert |
Enfant, sous la Troisième, j'habitais au quatrième une maison du dix-neuvième. L'eau était sur le palier, parfois le gaz était coupé et souvent les encaisseurs de la Semeuse cognaient à la porte en tripotant leur petit encrier, mais il y avait toujours, dans la rue ou dans la cour, quelqu'un qui faisait de la musique, quelqu'un qui chantait. C'était beau. Des fenêtres s'ouvraient, une grêle de sous enrobée de papier giclait, dansait sur le pavé. Bien sûr, depuis longtemps, comme la Grande Armée, l'Opéra avait son avenue, mais la chanson avait pour elle toutes les rues, les plus amoureuses, les plus radieuses, comme les plus démantelées, les plus scabreuses et les plus déshéritées, comme les plus marrantes, les plus éclatantes de gaieté. Aujourd'hui, les chanteurs des rues sont interdits de séjour, mais un peu partout, oasis de pierre tenace et de bois vermoulu, d'oiseaux des villes et de eurs urbicoles, se dressent encore, intacts et têtus, les très somptueux décors de la féerie des rues. Et comme le cri des cours tracés au couteau sur les murs, avec entrelacés les prénoms de l'amour, le chant secret des rues se fait entendre en chour, comme au plus beau de tous les anciens jours. Chants de la rue de la Lune, de la rue du Soleil et de la rue du Jour. Refrains du passage des Eaux, de la rue de la Source, de la rue des Cascades, de la rue du Ruisseau et de l'impasse Jouvence et de la rue Fontaine et du Dessous des Berges et de la rue Grenier sur l'Eau et des Ecluses et des Etuves Saint-Martin et de la Grosse Bouteille de l'Abreuvoir, du Réservoir et des Partants et du Repos. Rondes de la Place des Fêtes, de la rue des Fillettes et de la rue des Écoliers, de la rue des Alouettes, de la Colombe, des Annelets. Comptines de la rue du Renard et de la rue aux Ours et de la rue des Lions, de la cité Jonas et de l'impasse de la Baleine. Romances du passage des Soupirs et du passage Désir et de l'impasse des Souhaits et de l'impasse Monplaisir et de l'impasse de l'Avenir. Rengaines de la rue Bleue, du passage d'Enfer et de la rue de Paradis. Litanies de la rue Dieu, de l'impasse des Prêtres, de la rue Pirouette et de l'Ancienne Comédie. Complaintes de la rue du Chevalier de la Barre et de la rue Etienne Dolet et de la rue Francisco Ferrer, de la rue Sacco et Vanzetti à Bagnolet. Goualantes de la rue des Brouillards et de la rue du Roi Doré, de la rue Simon Le Franc et de la rue Aubry le Boucher où se promenait jadis Liabeuf le Petit Cordonnier dont la tête un beau jour roula sur les Marches du Palais. |
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Jacques Prévert (1900 - 1977) |
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Portrait de Jacques Prévert | |||||||||
Biographie / chronologieJacques ne veut rien savoir de tout ce qui s'appelle PRISON, il n'aime guère les prêtres et serviteurs d' Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, la passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l'anticléricalisme prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. |
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