Jacques Prévert |
Brunehaut sous ton image une légende épique Précise tes derniers moments chaotiques Et traînée par un cheval indompté Tu entres dans l'histoire en pièces détachées Mais la gravure te représente Nue sculpturale séduisante Et pourquoi ne pas l'avouer mon Dieu Désirable en diable Excitante Et pourtant Brunehaut Tu peux bien le dire maintenant Que tu es morte depuis si longtemps Quand tu es morte Historiquement Tu avais bien tout de même dans les quatre-vingts ans Et derrière ton fameux cheval indompté Tu devais plutôt ressembler Pauvre reine mère édentée et détrônée A une vieille casserole rouillée Attachée à la queue d'un chien Par d'impitoyables vauriens Qu'à l'image décrite plus haut De l'éblouissante Brunehaut Mais il faut bien faire un dessin Pour rendre l'histoire attachante Et le collégien qui se touche Évoquant tes fesses et tes seins En apprenant l'histoire de France Est attaché lui aussi Comme l'est le cheval fougueux Par la queue à tes faux cheveux Attaché à ton image Par la queue et par la main Désolante caresse de collège Minable orgie de patronage Dérisoire palais des mirages Mais Dieu qui sait prendre les choses de très haut Intervient fort judicieusement En faveur de son petit chanteur de la manécanterie Allez vous rhabiller Brunehaut Cest fini pour aujourd'hui le boulot Et Brunehaut monte sur son vieux cheval couronné Et Dieu monte à son tour et en croupe galamment derrière elle Et les voilà partis pour la grande écurie historique catholique apostolique Et romaine Dieu refermant sagement le livre derrière lui L'adolescent alors reprend ses sains esprits La chanson de geste est finie Et comme un garçon d'honneur qui vient de terminer d'un trait un étourdissant monologue Et qui voit soudain la table desservie Les lumières éteintes et les bosquets déserts Les garçons endormis et la mariée partie Il se trouve soudain horriblement gêné Et tout ce qu'il y a de plus seul et de plus honteux sur la terre Le remarquable et exemplaire bon élève des bons pères Tout seul comme un orphelin ordinaire Ou comme un veuf Tout seul au milieu de la classe Dans la pénombre et dans le désarroi Et dans une tenue dont le moins qu'on puisse dire C'est qu'elle est négligée Et il frissonne fébrile et dans tous ses états Y compris l'état de péché mortel Marié avec lui-même et pour la première fois Sans le consentement de ses parents Ni de qui d'autre que ce soit Et dans ses méninges les échos d'une absurde obscène musique résonnent encore La musique d'un obscène et triste manège Entraînant tournant sur lui-même et sous la pluie Dans un absurde paysage sans arbre sans âme qui vive sans maison sans perspective sans horizon Et sans rien qui vaille vraiment la peine d'être cité ici D'absurdes reines de France sur d'absurdes chevaux de bois mort Aux sons de l'absurde et obscène musique D'un absurde piano mécanique Mis en branle C'est précisément le cas de le dire Par un absurde chien battu mouillé velléitaire L'absurde chien battu du plaisir solitaire Traînant après sa queue l'ustensile imbécile L'ustensile sacré La casserole d'or du remords Et le chien affolé fonce dans le brouillard bousculant le décor Désespéré dans les couloirs Entraînant à sa suite dans une abominable contagion sonore Toute la batterie de cuisine du Saint Office des morts. |
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Jacques Prévert (1900 - 1977) |
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Portrait de Jacques Prévert | |||||||||
Biographie / chronologieJacques ne veut rien savoir de tout ce qui s'appelle PRISON, il n'aime guère les prêtres et serviteurs d' Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, la passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l'anticléricalisme prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. |
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