Jacques Prévert |
Somnambule en plein midi même la viande sur la fourchette même la fourchette à la main toujours très près des camarades mais si loin tout de même si loin et donner la pâtée au chien mais je voyais la pâtée s'enfuir le chien courir le long du mur et j'entendais ses soupirs et le chien voyait ma lumière mon astre et laissait la pâtée courir j'avais cette lumière là sur moi comme ça mais ce n'était pas ma lumière elle était là comme ça j'aurais voulu j'ai tout essayé j'aurais voulu m'en débarrasser... partager mais elle brûlait tout le monde personne n'en voulait mais si je la mettais en veilleuse tout le monde applaudissait lumière couleur de lanterne sourde petite lampe sans danger elle plaisait mais la grande lueur de l'indifférence avouée le vrai lampadaire le bec de gaz saignant contre lequel l'amour saignant se cogne se blesse se tue sans vraiment mourir la comète le grand rat de cave que chacun porte dans sa poitrine l'inquiétante et magnifique lueur cette braise personne presque personne n'en veut... petits mensonges lumineux couleur de vérité lumineuse vérités verroteries lumière béate de l'homme franc qui vous regarde bien en face salamandre installée dans le front du penseur bois et charbons petits briquets' de l'amitié feux de paille feux de poutres feux de joie de Bengale et de tout bois allumettes brindilles boulets bernots comme vous plaisez! ne croyez pas que je pousse le cri du ver luisant qui s'excuse de briller ou la plainte déchirante du cul-de-jatte qui voudrait patiner non... je hurle à la lumière avec de l'encre et du papier le soir tard et je crie tout de même il y a la lumière chacun a sa lumière et le monde crève de froid le monde a peur de se brûler les doigts évidemment c'est la lumière qui brille qui brûle qui fait cuire et qui glace le sang c'est la grande omelette surprise le soleil avec des caillots de sang lueur du cour lueur de l'amour lueur oh il faut la poursuivre cette lueur aveuglante elle existe elle crève les yeux mais s'il faut que les yeux crèvent pour tout voir crevez les yeux c'est la lumière vivante que chacun porte en soi et que tout le monde étouffe pour faire comme tout le monde lumière défendue tu grilles ceux qui t'approchent ceux qui veulent te prendre mais tu les aimes lumière vivante la vie c'est toi la vie vivante qui marche en avant en revenant sur ses pas qui marche tout droit qui fait des détours et qui n'en fait pas soleil de nuit lune de jour étoiles de l'après-midi battements de cour avant l'amour pendant l'amour après l'amour grande lumière dans l'oil du porc qui fait l'amour lumière telle que sans abat-jour lumière brute lumière rouge lumière crépusculaire indifférente avide passionnée lumière du printemps si douce lumière d'enfant toujours la même lumière cruelle et lucide mais parfois si belle visages qui vous approchez yeux fermés bouches ouvertes tout tourne et tout flambe vos deux têtes tête de garçon tête de fille vos deux têtes tournent et oublient... c'est un astre un instant une victoire une prise éclair obscur du mauvais temps feux follets de la morale croix de feu pétards mouillés ciboires bien astiqués malheureux petits soleils de cuivre hostensoirs comme ils sont ridicules et blêmes vos rayons lorsque la lumière de celle qui aime l'amour rencontre la lumière de celui qui aime l'amour drôle d'incendie peu importe sa durée toujours hier demain bonjour bonsoir autrefois jamais toujours et vous-même qu'est-ce que ça fout pourvu que ça flambe. |
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Jacques Prévert (1900 - 1977) |
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Portrait de Jacques Prévert | |||||||||
Biographie / chronologieJacques ne veut rien savoir de tout ce qui s'appelle PRISON, il n'aime guère les prêtres et serviteurs d' Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, la passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l'anticléricalisme prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. |
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