Jacques Réda |
Ce qui de tout homme paraît dans la hauteur, je dois Encore l'élever. Car sa misère est elle-même Un des modes de l'apparence. Et la réalité Veut qu'ici j'aie été jeté, sel de l'incertitude, Sur la neige intacte du temps, ne sachant rien, n'ayant Rien vu, et si vite oublieux qu'il faut tout réapprendre À chaque instant. Ainsi par la vitre de l'autobus Dont la fraîcheur suffit le soir à mes tempes, le ciel Depuis longtemps perdu s'éclaire à nouveau dans les yeux D'un enfant qui regarde. Il est bon de pouvoir aussi Faire don aux petits d'un simple bout de bois ou d'un Caillou recueillis sur le bord indistinct du désordre Où mes doigts gouvernés ne trouvent plus le libre fil Qui gouverne. Et, comme un soleil invisible touchant Le flanc d'un nuage, en retour m'effleure la lumière De l'émerveillement ouvert entre leurs doigts qui prennent Sans jamais l'assombrir la pure offrande, le Présent. Cependant n'est-ce pas dans l'indistinct qu'ils vagabondent Eux aussi, pareils aux petits de la louve ou du tigre Qui savent tout de l'innocence ? - À la fin nous voici Nous, durement parachevés par l'amour et le crime Comme deux miroirs opposés où s'effacent nos bornes Dans l'espace illusoire d'un salut : rien ne répond À l'emphase de nos paroles ; rien jamais ne suit Nos gestes éperdus dans un désir de conséquences Et rien, entre les dés hasardant l'un ou l'autre nombre, Ne décide. Mais il y a comme une bienveillance Dans les bras du sommeil qui ne sont les bras de personne, Dans le ruissellement figé de la pierre, dans l'eau Ancrée à sa pente, dans l'herbe infatigable, dans Les mots sur nos lèvres parfois nés d'une autre semence, Et la longueur du soir sous les arbres ; comme un élan De l'obscur vers le seuil en nous brisé de la lumière. |
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Jacques Réda (1929 - ?) |
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Portrait de Jacques Réda | |||||||||
Biographie / OuvresJacques Réda est né à Lunéville en 1929. Après des études inachevées de droit, il monte à Paris en 1953. Il y sera membre du comité de lecture des éditions Gallimard, avant de devenir rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française de 1987 à 1995. Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1997, il sera également récompensé de la bourse Goncourt de la poésie en 1999. |
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