![]() |
Jean Anouilh |
![]() |
« Que vous êtes peureux ! dit le lion au lièvre. Une ombre, un souffle, un rien (Comme dit le bon fabuliste), Et vous voilà déjà loin, Ayant parcouru la piste, Essoufflé, tremblant de fièvre Et d'effroi; Ayant fui vous ne savez quoi... Vous n'êtes pas gentilhomme, je le sais bien; Mais, fût-on un homme de rien Qui fait comme vous des ménages (Le lion l'avait pris pour nettoyer Sa tannière, toujours sale après le carnage), On se doit d'avoir, sinon du courage - Admettons que ce n'est pas là votre métier - Tout au moins un peu de décence... Pauvre France! Elle est jolie la nouvelle génération, a « Pardonnez-moi, dit le lièvre au lion, De vous poser une question. De quoi avez-vous peur Vous, Monseigneur ? » « Moi ? rugit le lion en frisant sa moustache, De rien, Vous le savez bien ! » La conversation devenant familière, Il se leva noblement sur son derrière Et dit : « Nettoyez donc un peu dans ce coin, mon ami, Je crois avoir laissé des crottes. » « Mais enfin, l'homme et son fusil », Dit le lièvre, avalant sa glotte. Le lion fronça le sourcil tout à coup Et se dressa, toisant l'ilote De toute sa hauteur : « Je n'aime pas beaucoup, Rugit-il, que l'on insinue Que je peux avoir peur ! La peur m'est inconnue, Je vous l'ai dit déjà. Et l'homme n'est pas né qui m'intimidera ! L'homme lance son feu. C'est bon. J'avance Sur lui. S'il m'atteint - il m'est déjà arrivé D'être blessé - La belle affaire que quelques jours de souffrances! On se cache, on lèche et relèche Le trou. Et puis, lorsque la plaie est sèche, On y retourne, voilà tout. » « Que savez-vous donc du courage ? » « Hein ? » fit le lion, qui crut avoir mal entendu. Le lièvre prit une distance qu'il crut sage, Et poursuivit, un peu tordu : « Moi, rien qu'à vous parler, voyez, je suis en nage. Et je dépense en un seul jour Plus d'énergie, A ne pas fuir chaque fois que j'en ai envie, Qu'il ne vous en faudra dans toute votre vie, Avec votre crinière et vos grosses moustaches, Pour terroriser toute une lieue alentour. Quoiqu'on n'y pense pas toujours : Les vrais héros, ce sont les lâches. » Il dit et détala, laissant son tablier. Il court encor, dit-on. Le lion, un peu ennuyé (Il faut bien que quelqu'un astique, Et au désert, on ne trouve plus de domestiques) Sortit, feignant de manger un quartier de mouton, Et vérifia soigneusement si personne Ne l'avait vu être familier avec sa bonne. Il craignait le qu'en-dira-t-on. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Jean Anouilh (1910 - 1987) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Jean Anouilh | |||||||||
CarrièreFormation Biographie de jean anouilh Jean Anouilh est né en 1910 à Bordeaux (France). Son père est tailleur et sa mère est musicienne et professeur de piano, elle joue dans un orchestre se produisant sur des scènes de casino en province. OuvreThéâtre |
|||||||||
![]() |