Jean Antoine Roucher |
Tout germe devant lui ', tout se meut, tout s'avive. L'onde étincelle et fuit d'une course plus vive ; La pelouse déjà rit aux pieds des coteaux : Partout, un suc laiteux gonfle ses végétaux. Ce fluide invisible, errant de veine en veine, Sur les prés rajeunis fait monter la verveine. Qui demandait la paix au nom des rois vaincus ; Il bleuit l'hépatique*, il dore le crocus. Et du plus doux parfum nourrit la violette, Humble fleur, qui déjà pare l'humble Colette. Jusqu'au fond des forêts, l'arbre imbibe des sels. Que la terre a reçus dans ses flancs maternels. Quand l'hiver attristant les climats qu'il assiège, Les voilait de brouillards, les tapissait de neige ; L'arbre sent aujourd'hui sa sève fermenter : Dans ses mille canaux libre de serpenter, De la racine au tronc, et du tronc au branchage Elle monte, et s'apprête à jaillir en feuillage. Redouble, heureux printemps, redouble tes bienfaits ! Qu'en tous lieux, aux rayons des beaux jours que tu fais, Des végétaux amis la foule t'environne ! Prête au chêne affermi sur les monts qu'il couronne, Prête un suc astringent, qui, par un prompt secours, De mon sang épanché doit ralentir le cours : Donne au riant ormeau la liqueur épurée Par qui s'éteint l'ardeur de la fièvre altérée; Au frêne, la vertu de consoler des yeux Affaiblis et blessés de la clarté des cieux ; Au tilleul!... mais hélas! quel mortel peut connaître Tout le pouvoir des sucs que ra chaleur fait naître ? Linné, qui d'un regard à la Parque fatal Débrouilla le chaos du règne végétal, Adanson et Jussieu, ces fidèles oracles D'un monde où la nature a semé les miracles, Mille fois en perçant, et les bois épineux, Et les vallons déserts, et les rocs caverneux. N'avouèrent-ils point qu'à la faiblesse humaine Se cachait la moitié d'un si vaste domaine ? Sans doute à nos regards les temps pourront l'ouvrir; Mais par combien de soins il la faut conquérir! La Nature, semblable à l'antique Protée, D'obstinés curieux veut être tourmentée ; Elle aime les efforts des mortels indiscrets ; C'est Pimportunité qui ravit ses secrets. Vous donc, qui pleins d'ardeur épiez ses merveilles, Ô sages, redoublez de travaux et de veilles ! La Nature à vos yeux cèle encor bien des lois. Savez-vous seulement quel pouvoir dans les bois Ramène ces corbeaux, qui, citoyens des plaines, Y défiaient du Nord les piquantes haleines ? Sur quel présage heureux en amour réunis. Ils ont prévu le temps de réparer leurs nids? Comment, pour se construire un palais moins fragile, Ils ont mêlé la ronce et le bois à l'argile ? Qui leur en a tracé le contour régulier ? Quel dieu leur a prédit que le haut peuplier, Et le pin, dont la cime a fui loin de la terre, Leur prêtant contre nous un abri salutaire. Défendaient leurs petits encore faibles et nus ? Que tes divers ressorts ne me sont-ils connus, ô Nature! Ô puissance éternelle, infinie. De l'être et de la mort invincible génie! Qu'avec plaisir mon luth proclamerait tes lois ! Mais je ne suis point né pour de si hauts emplois ; Tu bornas mon essor : admirateur paisible D'un cercle de beautés à tous les yeux visible, Je dois, sans te surprendre aucun de tes secrets, Couler des jours sans gloire au milieu des forêts. Cueillir au bord des eaux la fleur qui va renaître, Et poète des champs, les faire aimer peut-être ; Ce destin n'est pas grand, mais il est assez doux ; Il cachera ma vie aux regards des jaloux. Eh bien! champs fortunés, forêts, vallons, prairies. Rouvrez-moi les détours de vos routes chéries ; La ville trop longtemps m'enferma dans ses murs. Perdu trois mois entiers dans ses brouillards impurs, J'échappe à ce séjour de boue et d'imposture : Heureux de votre paix, retrouvant la Nature, Sur la mousse nouvelle et sur la fleur de thym, Je vais me pénétrer des parfums du matin ; Je vais sur les rameaux de Vertumne et de Flore ier quel bouton le premier doit éclore. |
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Jean Antoine Roucher (1745 - 1794) |
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Portrait de Jean Antoine Roucher | |||||||||