Jean Claude Renard |
1 Il n'y a pas de maint 11 n'y a pat de bouches je devais rencontrer des hommes dans la nuit dure comme un arbre il n'y a pas de lune il y a des genoux pris dans la glace avec des sanglots 2 On m'avait dit dans les auberges tu trouveras devant la ville des cavaliers aux mêmes armes et des lépreux aux mêmes meurtres il sont venus du nord amer ils ont troué le même sud ils ont traîné leurs violences de l'est noir à l'ouest blanc on m'avait dit avec des rires tu verras à droite et à gauche des enfants aux mêmes saveurs et des femmes aux mêmes yeux 3 Ce pays m'était inconnu j'avais mangé dans ma maison j'avais bu avant de partir et oublié qu'ils avaient ri on m'avait dit tu ne pourras pas te tromper c'est là-bas au bout de la lande entre l'usine et les tombeaux ils remontent de la Camargue ils sont nombreux comme des pierres ils ont tous les mêmes attentes et les mêmes tambours blafards leurs péchés leurs joies leurs angoisses sont plus semblables que des larmes ils ont construit les mêmes tours et porté les mêmes drapeaux ils ont mené la même guerre ils ont servi ils ont trahi ils sont entrés dans la colère avec les mêmes voluptés 4 On m'avait dit ils sont des frères dans le bonheur et dans le mal ils ont mordu la même viande et rejeté le même dieu ils ont sué saigné dormi dans les mêmes draps de fureur ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans le tumulte capital j'écoutais je ne savais pas que de l'autre côté du fleuve éclataient comme un cor des cours ensevelis 5 Il n'y avait rien debout il n'y avait rien d'assis sur le goudron crevé il n'y avait rien que des corbeaux et des traces de roues il y avait du sang séché contre les dalles j'ai cherché j'ai cherché longtemps le bruit des hommes 6 On m'avait dit pourtant tu les reconnaîtras à leur espoir à leurs audaces à leurs fois tu descendras vers leurs marchés comme un voyageur effrayant ils ne te vendront pas de fruits ils t'apprendront à te lever dans l'honneur rouge des révoltes ils t'apprendront la loi nouvelle tu verras comme ils chantent bien avec la langue des sorciers les mendiants ne mendieront plus les riches ne feront plus l'aumône il y aura du pain pour tous et du feu pour les amants il y aura des pommes mûres à l'envie de tous les couteaux tu parleras vite leur langue ils ont l'espoir d'être heureux 7 Je n'entends pas leurs voix sous les arbres je ne les entends pas hurler comme on me l'avait dit les paralytiques auront des lits les pendus les parias les pestiférés auront des feuilles fraîches pour s'étendre il y aura des hôpitaux pour les filles il y aura du lait pour les douloureux les aveugles les muets les sourds ne mettront plus leurs pas dans les pas bleus des assassins il y aura des lampes dans les corridors 8 et des terrasses pour les rois et pour les bouffons Je n'ai pai peur de cet collines qui tonnent je n'ai pai peur du halètement de ces villes où il n'y a pas de maîtres je n'ai pas peur de ces rues monstrueuses où tous les hommes reculent avec les mêmes vêtements et les mêmes désirs je les aimerais si je les trouvais mais il n'y a rien entre les vignes 9 On m'avait dit ils ont écrit les livres de la fête ils ont remis la chair à sa place ils ont remis l'âme dans la chair ils ont l'avenir de ceux qui osent on m'avait dit que des choses étranges sortaient de leurs mains comme le bonheur et qu'ils savaient donner la puissance sans l'inquiétude un garçon doux comme une orange m'avait dit qu'ils étaient bons je ne sentais pas leur odeur 10 O la ronde des petites filles qui se tenaient par les épaules derrière elles ils font des typhons à renverser comme des nuques toutes les planètes ils font des machines ils font des calculs ils font des alcools à changer la vie ils font du sang et des fleurs il n'y avait pas d'hommes au milieu des dunes 11 Un saltimbanque jouait la ballade aux quatre oiseaux poings ouverts ou poings fermés des noyés et matelots clairons d'été clairons d'automne nous sommes neufs nous sommes fous comme la LIBERTÉ je l'avais cru il me souvient aussi des sérénades de midi et des violons vermeils qui brûlaient il n'y aura plus d'ouvriers il n'y aura plus de bourgeois nous sommes magnifiques comme L'ÉGALITÉ je ne sais plus très bien les mots de la pitié qui incendiaient leurs dents ils m'avaient dit nous sommes terribles comme la FRATERNITÉ je leur avais tendu la main il n'y a rien devant la ville la nuit coule la nuit s'en va où est le coq où est le coq 12 Toutes les savanes sont vides il n'y a plus d'hommes aux portes il y a des massacres il y a des ruines il y a la grande angoisse accrue on me retrouvera demain avec les veuves et les inconsolées on me rapportera sur un brancard on jettera sur moi la terre des détresses si je ne quitte pas le silence 13 On ne mentait pas pourtant dans les anciennes chambres on m'avait juré qu'ils vivaient ils ont l'héroïsme ils ont le courage ils ont la menace des forts tu les aimeras ils te tueront si tu les trahis 14 Je n'entends rien je ne vois rien tout le poids de ma solitude me rentre dans la gorge il y a des serpents dans la bruyère il y a l'épouvante des exilés 15 On m'avait promis la joie on m'avait dit tu ne seras plus un étranger oh je connais toutes les plaies et toutes les misères j'ai compté maintenant les branches j'ai eu le temps de tout compter dans ce brouillard je me suis épaissi de malheurs on n'osera plus me toucher 16 Il y a quelqu'un qui s'approche il y a quelqu'un qui sort de la pluie comme une bête il y a enfin quelque chose qui marche et qui enfonce les remparts il y a un taureau noir devant moi 17 Il ne passe pas il ne pousse pas son muffle vers mes os il s'enferme dans sa race avec sa gloire il est beau il sent des décembres il vient pour tuer on a coupé ses cornes 18 Il y a un cadavre d'homme sous son ventre il n'en peut plus il va tomber il va mourir on a brûlé toutes les herbes 19 Les hommes ne sont pas venus les hommes ne veulent plus venir il n'y a plus de justice il n'y a plus d'amour ici il y a un taureau noir il y a un taureau mort devant moi qui les a tués À l'origine l'amande et le gui frais des résines puis derrière la légende l'autre source : les racines du pur silence sacré dont le mythe seul fait naître dans le néant célébré l'or véritable de l'être... (...) Sitôt que sous les algues l'huître comme les tranches d'un fruit pur s'ouvre au sud derrière la vitre où me fascine le futur - que ce blanc venin qui me tue à l'instant même de mon vou d'un autre sable constitue la fable vermeille du dieu ! * ** Langue amère, langue menteuse la nuit doit-elle t'imprégner de la faute la plus juteuse pour t'apprendre comment régner par énigmatique aromate sur les songes de ce menhir dont la légende ne dilate que le dérisoire désir ? * ** Seule une orange dans la main ou le haut feu des alchimies peut par le silence inhumain faire revivre les momies. Mais que le mystère qui mord au plus tendre de leur naissance ne les vide pas de la mort où s'accumule sa présence ! A l'insu des roses de mer mon sang médite la merveille de ce langage d'or et d'air qui métamorphose l'oreille. Le froid fendu - nul mouvement ne consacrera la rivière sauf à mûrir le diamant que l'absence arme de lumière... Seule, au fond de l'enfance,.................................. La mer aux arbres blancs connaît le nom du dieu. Le secret vient du corps, du délire sacré Liant l'antérieur envoûtement du feu. Il vente autour des morts. 0 terribles pythies Qui menacez de gel l'eau magique du sable, J'établis ma naissance entre vos fables rouges, Dans le scandale d'être où commence l'exil, - Et des têtes d'oiseaux tombent avec la neige Sur la nuit renversée........................................... (...) * ** J'aurais pour toi des mains pleines de villes pures Si ta chair incarnée allume en moi ses îles, Me baigne dans la braise et laisse entre mes dents Rire les citrons verts... |
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Jean Claude Renard (1922 - 2002) |
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Portrait de Jean Claude Renard | |||||||||
BibliographieJean-Claude Renard (1922 - 2002) est un poète et écrivain prolifique français né à Toulon. Son ouvre, empreinte de mystères et de spiritualité, lui valut le Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1988 et le Prix Goncourt de la poésie en 1991. Il fut l'un des collaborateurs des Éditions du Seuil et des Éditions Casterman. Il est également l'auteur de plusieurs essais. Il entra dans le mond Biographie |
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