Jean Godard |
Ces pensers au visage blême De mon exil font mon émoi; Ils me mettent hors de moi-même Quand ils se mettent dedans moi. Si un doux penser vient m'attraire, Un amer lui tranche le pas ; Ainsi tout m'arrive au contraire : Ce qui me vient ne me vient pas. De leur main la glace et le soufre M'est à toute heure présenté, Si bien qu'en même temps je souffre La peine d'hiver et d'été. Car ces pensers gênent mon âme De froid et chaud, sans ordre et rang : Alors que leur espoir m'enflamme, Leur crainte me glace le sang. Ils voguent à nef de caprice L'est, l'ouest, le nord et le su, Cherchant au monde la matrice Où le monde a été conçu. Ils ont, à l'heure que leur flotte Prend terre et loge toute en gros, Pour salle et pour tapis la grotte Et les grotesques du chaos. Leur troupe me rend solitaire, Leur travail me rend otieux, Et pour regarder leur mystère Il faut que je ferme les yeux. Par eux je ne fais que merveille, À l'infini je donne un bout; Je songe à l'heure que je veille; Je ne bouge et je vais partout. Mais leur fil mon âge dévide, J'ai leur chagrin pour mon soûlas; Leurs bienfaits m'emplissent de vide, Et leur rien faire me rend las. Ces pensers d'une faim étrange Jamais ne sont soûls ni contents, Car le Temps toutes choses mange, Et sont" eux qui mangent mon temps. |
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Jean Godard (1564 - 1630) |
Portrait de Jean Godard |