Jean Orizet |
D'une goutte de pluie tombée sur l'immobile hiver des certitudes je façonne un cerveau de glace avant la fonte des espoirs. La montagne s'incline sous la caresse du ciel. Surgie des mousses une tortue guette le soir. Fougères d'étoiles dans la nuit des pierres votre sève bat le temps de vitesse. Sans l'eau le pont s'écroule. Les stèles de la nuit éloignent la tempête des îles où le sage apprend à ne pas mourir. La mousse et le lichen opposent leur sérénité à la mobilité des feuilles. D'inclinaison calculée l'architecte a meublé l'espace du monde. L'eau n'a pas de prise sur le dos de la baleine. Ici l'eau ne coule pas mais irrigue de l'intérieur les veines du dragon. D'une montagne l'autre il existe des ponts éclaboussés d'immobile par des cascades minérales. La fourmi tapie dans la bruyère ne craint ni l'aigle ni le tigre. Quand les feuilles à l'automne parsèment la peau du dragon céleste celui-ci ose à peine montrer les dents au voyageur amoureux de l'île et de la cascade. Dans l'eau le sang des azalées rougit les nénuphars. Quelques cygnes témoigneront de la beauté du sacrifice. Cette racine a resurgi en une source ligneuse remontant vers elle-même jusqu'aux frontières du vivant. L'avenir de mon regard l'accompagne. Au jardin de la promenade nonchalante les fleurs d'un cerisier rose sont les éclats de la pierre dressée en l'honneur du sage qui a su dire non. Quand la terre bougeait encore cette pierre a voulu tourner sur elle-même pour continuer à témoigner de sa longévité tranquille. Lente marée des mousses aux ailes des fougères. Un roc bascule doucement vers cet océan souple où la guerre des insectes est plus belle que la soie. La sève encadre la pierre un orage de feuilles rougit les forteresses. De la neige rejoint dans les saignées du râteau l'étang, immobile tortue. Ce sont des îles mobiles sentinelles de continents à la dérive sous les veines du dragon. A l'abri des lichens elles veillent sur les vibrations du sable et les contours de la lumière. Au large un voyageur accepte le naufrage espéré. J'ai répandu le sel aux plumes de l'oubli. Rien ne repoussera sinon les serres de l'aigle sur la laine du mouton. Une cascade éclabousse l'aspiration de l'architecte à bâtir un mur contenant tous les remparts. Devenir ce mur où l'argile coule à marée basse vers le mauve huileux des siècles y mêler ce lézard ces tigres ces forêts dont l'impatience cogne aux portes. Ordonné comme ce jardin sec un monde alvéolaire est ma géométrie. Je la regarde elle me voit quand je tente de déchiffrer le message de ses polyèdres. Dans les nervures de la feuille j'instille des rivières d'or. Regardez leurs méandres battre en brèche l'orgueil des boussoles bafouer le tracé de tous les portulans. Je dis la neige sous le jais le saphir mêlé à l'écume quand la vague ratisse à l'aube les écueils moussus d'étemel. Une armée de galets bute aux reflets de l'étang. La guerre n'aura pas lieu grâce à la vigilance du pin-sentinelle. Je suis un éclair blanc qui zigzague au cour de la matière. Mon oil est lent à parcourir la montagne sortie de l'ouf. Avant moi le soleil était un pur joyau qui enchâssait la nuit du premier au dernier abysse. Pour faciliter le mystère j'ai transformé l'orfèvrerie en simple mécanique céleste. J'ai voulu le désert et j'ai voulu le lac tantôt en les mêlant vrais ou imaginaires aux colères du sable et du vent tantôt en noyant l'un par le sommeil de l'autre comme dans les yeux des lions. Méduse ou anneau de Saturne tout est bon à ma jonglerie dans les coulisses de l'espace. Sur terre je change des rubis en grappes de groseilles pour jouer aux billes avec l'été. Dans un trou d'épingle percé au cour d'un continent de nacre j'ai noyé le regard de tous les océans. En grand deuil de marées quelques lunes s'agitent. Je guide la barque des morts vers des planètes aquatiques où l'âme flotte entre déluges et dynasties de faucons. Quand le soleil brise l'émeraude je sacrifie un guerrier aux délires de la puissance. Vos masques sont les miens peuple du vain combat mais leurs yeux ont le goût du vide. Mon rêve est maelstrom de sang au fond duquel le corps se recompose une meilleure fluidité pour affronter les massacres. « Regardez, ceci n'est pas la souche d'un vieil arbre abattu mais la base d'une colonne par laquelle votre esprit pourra s'élever jusqu'au ciel si vous en devenez l'architecte. » « Regardez, ceci n'est pas un rocher arrondi mais la carapace d'une tortue âgée de dix mille ans. Si vous apprenez son langage, vous percerez à jour tous les secrets du monde. » « Voyez combien est pur le plumage blanc de ces canards. Quand votre esprit aura trouvé la même pureté, vous flotterez comme eux sur l'étang de Kyoyochi. » « Perdez-vous dans la mousse comme s'y perd la fourmi et la fougère vous enseignera l'humilité. » « La pierre que tu ne vois pas est la seule qui compte au moment où tu regardes les autres: elle est le silence de ton oil. » « Quand les eaux de la rivière frappent la pierre la plus haute, elles se partagent et s'élancent vers de nouvelles directions. Si tu veux les suivre, choisis entre la grue et la tortue. » « Si tu veux aller d'une montagne à l'autre construis un pont sur la rivière immobile. » « Si tu veux interrompre le rêve rocheux de la cascade, acquiers la sagesse du lichen. » « Ouvre le monde aux gisants de la terre qui dorment sous les massifs d'azalées. » « Quand la lumière de l'eau encercle une île à la dérive deviens le maître des vagues. » « A moins de savoir où vit, de quoi se nourrit et ce que pense le dragon, impossible de l'abattre, d'espérer l'avoir à sa table ou de s'en faire un ami. » |
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Jean Orizet (1937 - ?) |
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Portrait de Jean Orizet | |||||||||
OuvresAprès avoir pratiqué le métier de journaliste, Jean Orizet devient le cofondateur, en 1969, de la revue Poésie 1 et travaille comme éditeur aux éditions du Cherche-midi. Ecrivain, voyageur et humaniste, ses textes, dont 'L' Attrapeur de rêves' ou 'La Cendre et l'étoile', lui permettent de figurer au rang des poètes les plus importants de sa génération. |
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