Jean Orizet |
L'homme et son cheval aimaient à galoper dans les forêts, l'hiver surtout. Jamais ils ne se perdaient, même en terrain peu familier: le givre et la neige gardaient trace de leur course, comme les arbres noirs, dont les brindilles basses étaient brisées au passage. Quelquefois, ils rencontraient la mort, qui, elle, était perdue mais ne le savait pas. Il arrivait alors qu'ils lui fissent un brin de conduite, jusqu'à une clairière où le soleil agonisait. Entre l'heure d'hiver et d'été une horloge hésite, comme entre quartz et ressort. Elle choisira l'oubli acceptera l'exil des sabliers et des clepsydres, là où le temps n'est visible que si on le nourrit. Sur une cheminée de faux marbre une pendule arrêtée se reflète dans un miroir sans tain qui renvoie en négatif à l'homme l'image faussée du voyeur. Et la terre, de peur, engloutit des maisons; et la mer, de colère, avale des bateaux; et le ciel, de tristesse, fait pleurer des orages sur l'écume de nos échecs. Entre orage et azur, une réalité nette et huilée: murs pour soutenir les maisons, fenêtres pour les éclairer, ascenseurs amoureux de leur cage. Monde au mouvement d'horloger mais à l'incertaine météorologie. Ses fissures sont des cheveux d'ange et sa mort sourit aux objectifs après chaque grand séisme. Dieu ayant inventé l'oiseau, l'homme inventa la cage. Dieu ayant inventé l'envol, l'homme inventa la chute. Dieu ayant inventé le ciel, l'homme inventa la terre et sa banlieue, l'enfer, avec ses pavillons de briques flammées où les oiseaux sont rôtis au four chaque dimanche d'Apocalypse. Blaireau, savon à barbe, peigne, allumette pour la première bouffée, verre pour le premier coup de blanc, journal à l'encre humide sont les petits coups de canif matinaux qui tailladent le visage de l'homme en route vers l'usine et le bureau avec sa moisson de cicatrices poussiéreuses. La foule était rassemblée devant le tribunal pour demander la tête du gendarme meurtrier. Le président consentit à donner le képi. Homme au regard masqué d'un fruit défendu. Paradis ôté par surprise. Nul n'entend le bruit de la chute. Quand les arbres seront en briques et les maisons en feuilles, la nuit sera liquide comme la mer et nous dormirons dans des nids qui auront pris la place des étoiles ; les oiseaux, eux, travailleront dans les banques, avec les bûcherons. Ils ne s'aiment pas pour leur beauté qui est masquée. Ils ne s'aiment pas pour les mots échangés: le silence est de règle. Ils ne s'aiment pas pour les enfants qu'ils refusent d'avoir. Ils s'aiment contre la mort quand elle tire par la manche. A force de marcher à l'aveuglette l'homme s'invente des voies de garage au fond desquelles rouillent de vieux destins rédigés en latin. Ce feu qu'il portait en lui, venait-il d'Apollon ou de la boîte d'allumettes? Cette clé, dans sa poche, servait-elle à ouvrir des horizons ou à se fermer l'avenir? Il perdit la boîte et la clé. Dans son restaurant habituel, la serveuse lançait, à l'intention de la cuisine: « Et un foie bien cuit pour M. Prométhée, un! » « De l'azur ou des canons » avait-on proposé à l'homme qui partait pour la guerre. Innocent, il choisit l'azur, où sa tête vole encore sur les traces d'un boulet (version XVIIIe siècle), d'un obus (version XIXe siècle). d'une fusée (version XXe siècle). ... satelbte et décervelé. Mortelles nuits des métropoles Couteaux du long sommeil, pistolets du rêve éternel, Nirvanas définitifs de l'overdose, rassemblés à l'appel strident des sirènes. De loin on vit venir les planètes. Elles sonnaient comme grelots sur le collier d'un chien. Les télescopes devinrent leurs amis et les ordinateurs apprirent à leur faire la cour, malgré la méfiance de l'homme. Les droits de l'homme ont échoué dans l'âme d'un canon et l'obus qui les emporte ne sait toujours pas lire. Sur un cerisier un oiseau fait le tour du monde. Sur le même cerisier, un poète fait le tour du temps. Assis sur leurs chaises devant les maisons, les vieillards attendent la mort en rêvant, sans trop y croire, qu'elle aura le visage d'une sirène au corps de jade. Ils la salueront en soulevant leur casquette, avant de lui tendre une main noueuse. Le soir, les enfants des vieillards trouvent un peu de sable sur les chaises vides. L'eau des yeux de son chat coule à la même profondeur que les prairies de sa poitrine où nul animal n'a vécu Quand monte un impossible accord entre la cage et la savane il referme d'un coup ses bras sur le fauve déjà gagné à l'étroite civilisation Quand les hommes seront devenus des arbres, les avions des oiseaux, et les désirs des monuments, la terre, ne pouvant plus exploser, saura bien résister au choc des autres planètes. Le vrai visage du gangster qui attaque une banque est-il derrière ou devant le masque? Le vrai visage de l'argent qu'on lui remet sous la menace, est-il derrière les portes du coffre, ou devant? Ici, on jette le pain par les fenêtres. Là-bas, ils meurent de faim. Ici, on jette les voitures contre les arbres. Là-bas, ils marchent pieds nus dans la poussière. Ici, on jette des regards d'envie sur la maison du voisin. Là-bas, ils n'ont pas de maison. Le temps était menaçant, Fantômas aussi. Il y avait des meurtres déguisés en suicides, des rapts maquillés en fugues, des tortures arrangées en accidents, de faux employés du gaz, de vraies explosions de haine, des guerres mises à tiédir à côté de foyers d'insurrection. Il y avait l'homme et ses masques. L'homme est peuplé de qui le connaissent depuis l'enfance. Maintenant que les portes n'ont plus de maisons, les masques n'ont plus besoin d'hommes, et chacun se moque éperdument des bals et des tremblements de L'Éden où le lion vivait en paix avec l'homme. Chacun, par son regard était le miroir de l'autre, et leur langage avait encore la forme des grands arbres. Le monde s'éveillera-t-il un jour de ses cauchemars? Quand viendra le moment d'entrouvrir les rideaux, verra-t-on l'ouf originel et géant prêt à écraser la poule, ou celle-ci acharnée à crever la coquille de l'ouf? |
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Jean Orizet (1937 - ?) |
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Portrait de Jean Orizet | |||||||||
OuvresAprès avoir pratiqué le métier de journaliste, Jean Orizet devient le cofondateur, en 1969, de la revue Poésie 1 et travaille comme éditeur aux éditions du Cherche-midi. Ecrivain, voyageur et humaniste, ses textes, dont 'L' Attrapeur de rêves' ou 'La Cendre et l'étoile', lui permettent de figurer au rang des poètes les plus importants de sa génération. |
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