Jean Racine |
Acte III, Scène . - Joad, Josabet, Azarias suivi du Chour. JOAD Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle, Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle ! Mais si tu les soutiens, qui peut les ébranler? Du tombeau quand tu veux tu sais nous rappeler. Tu frappes et guéris ; tu perds et ressuscites. Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites, Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois, En. tes serments jurés au plus saint de leurs rois, En ce temple où tu fais ta demeure sacrée, Et qui doit du soleil égaler la durée. Mais d'où vient que mon cour frémit d'un saint effroi? Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi? C'est lui-même. Il m'échauffe. Il parle. Mes yeux [s'ouvrent, Et les siècles obscurs devant moi se découvrent. Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords, Et de ses mouvements secondez les transports. Le Chour chante au son de toute la symphonie des instruments. Que du Seigneur la voix se fasse entendre, Et qu'à nos cours son oracle divin Soit ce qu'à l'herbe tendre Est, au printemps, la fraîcheur du matin. JOAD Cieux, écoutez ma voix; terre, prête l'oreille. Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille. Pécheurs, disparaissez : le Seigneur se réveille. (là recommence la symphonie, et Joad aussitôt reprend la parole.) Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé? Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé? Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide, Dés prophètes divins malheureuse homicide. De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé. Ton encens à ses yeux est un encens souillé. Où menez-vous ces enfants et ces femmes? Le Seigneur a détruit la reine des cités. Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés. Dieu ne veut plus qu'on vienne à ses solennités. Temple, renverse-toi. Cèdres, jetez des flammes. Jérusalem, objet de ma douleur, Quelle main en un jour t'a ravi tous tes charmes? Qui changera mes yeux en deux sources de larmes Pour pleurer ton malheur? AZARIAS O saint temple! josabet O David! LE CHCEUR Dieu de Sion, rappelle. Rappelle en sa faveur tes antiques bontés. (La symphonie recommence encore, et Joad, un moment après, l'interrompt.) JOAD Quelle Jérusalem nouvelle Sort du fond du désert brillante de clartés, Et porte sur le front une marque immortelle? Peuples de la terre, chantez. Jérusalem renaît plus charmante et plus belle. D'où lui viennent de tous côtés Ces enfants qu'en son sein elle n'a point portés? Lève, Jérusalem, lève ta tête altière. Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés. Les rois des nations, devant toi prosternés, De tes pieds baisent la poussière; Les peuples à l'envi marchent à ta lumière. Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur Sentira son âme embrasée ! Cieux, répandez votre rosée, Et que la terre enfante son Sauveur. Acte IV, Scène . JOAD O mon fils, de ce nom j'ose encor vous nommer, Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes Que m'arrachent pour vous de trop justes alarmes. Loin du trône nourri, de ce fatal honneur, Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur. De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse, Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse. Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois, Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ; Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même; Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême; Qu'aux larmes, au travail, le peuple est condamné, Et d'un sceptre de fer veut être gouverné; Que s'il n'est opprimé, tôt ou tard il opprime. Ainsi de piège en piège, et d'abîme en abîme, Corrompant de vos mours l'aimable pureté, Ils vous feront enfin haïr la vérité, Vous peindront la vertu sous une affreuse image. Hélas! ils ont des rois égaré le plus sage. Promettez sur ce livre, et devant ces témoins, Que Dieu fera toujours le premier de vos soins; Que sévère aux méchants, et des bons le refuge, Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge, Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin, Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin. Acte V, Scène . ATHALIE Dieu des Juifs, tu l'emportes ! Oui, c'est Joas, je cherche en vain à me tromper. Je reconnais l'endroit où je le fis frapper; Je vois d'Okosias et le port et le geste : Tout me retrace enfin un sang que je déteste. David, David triomphe; Achab seul est détruit. Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit. C'est toi qui me flattant d'une vengeance aisée, M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée, Tantôt pour un enfant excitant mes remords, Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors, Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage. Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage ; Et que pour signaler son empire nouveau, On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau. Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère : Que dis-je, souhaiter? je me flatte, j'espère Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi, Fidèle au sang d'Achab, qu'il a reçu de moi, Conforme à son aïeul, à son père semblable, On verra de David l'héritier détestable Abolir tes honneurs, profaner ton autel, Et venger Athalie, Achab et Jézabel. |
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Jean Racine (1639 - 1699) |
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