Jean Racine |
Acte II, Scène . NÉRON ... Excité d'un désir curieux, Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux, Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes, Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes; Belle, sans ornements, dans le simple appareil D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil. Que veux-tu? Je ne sais si cette négligence, Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence, Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs Relevaient de ses yeux les timides douceurs. Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue, J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue : Immobile, saisi d'un long étonnement, Je l'ai laissé passer dans son appartement. J'ai passé dans le mien. C'est là que, solitaire, De son image en vain j'ai voulu me distraire : Trop présente à mes yeux, je croyais lui parler; J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler. Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce; J'employais les soupirs, et même la menace. Voilà comme, occupé de mon nouvel amour, Mes yeux, sans se fermer, ont attendu le jour... Acte V, Scène . AGRIPPINE Poursuis, Néron, avec de tels ministres. Par des faits glorieux tu te vas signaler. Poursuis. Tu n'as pas fait ce pas pour reculer. Ta main a commencé par le sang de ton frère; Je prévois que tes coups viendront jusqu'à ta mère. Dans le fond de ton cour je sais que tu me hais; Tu voudras t'affranchir du joug de mes bienfaits. Mais je veux que ma mort te soit même inutile. Ne crois pas qu'en mourant je te laisse tranquille. Rome, ce ciel, ce jour que tu reçus de moi, Partout, à tout moment, m'offriront devant toi. Tes remords te suivront comme autant de furies; Tu-croiras les calmer par d'autres barbaries; Ta fureur, s'irritant soi-même dans son cours, D'un sang toujours nouveau marquera tous tes jours. Mais j'espère qu'enfin le Ciel, las de tes crimes, Ajoutera ta perte à tant d'autres victimes, Qu'après t'être couvert de leur sang et du mien, Tu te verras forcé de répandre le tien; Et ton nom paraîtra, dans la race future, Aux plus cruels tyrans une cruelle injure. Voilà ce que mon cour se présage de toi. Adieu, tu peux sortir. |
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Jean Racine (1639 - 1699) |
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Portrait de Jean Racine | |||||||||