wikipoemes
paul-verlaine

Paul Verlaine

alain-bosquet

Alain Bosquet

jules-laforgue

Jules Laforgue

jacques-prevert

Jacques Prévert

pierre-reverdy

Pierre Reverdy

max-jacob

Max Jacob

clement-marot

Clément Marot

aime-cesaire

Aimé Césaire

henri-michaux

Henri Michaux

victor-hugo

Victor Hugo

robert-desnos

Robert Desnos

blaise-cendrars

Blaise Cendrars

rene-char

René Char

charles-baudelaire

Charles Baudelaire

georges-mogin

Georges Mogin

andree-chedid

Andrée Chedid

guillaume-apollinaire

Guillaume Apollinaire

Louis Aragon

arthur-rimbaud

Arthur Rimbaud

francis-jammes

Francis Jammes


Devenir membre
 
 
auteurs essais
 

Jean Racine



Phèdre - Poéme


Poéme / Poémes d'Jean Racine





Acte
I,
Scène . -
Phèdre, Onone.

PHÈDRE

N'allons point plus avant.
Demeurons, chère Onone.

Je ne me soutiens plus, ma force m'abandonne.

Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,

Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.

Hélas!

(Elle s'assied.)

ONONE

Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous

[apaisent.

PHÈDRE

Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent!
Quelle importune main, en formant tous ces nouds,
A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux?
Tout m'afflige et me nuit, et conspire à nie nuire.

ONONE

Comme on voit tous ses voux l'un l'autre se détruire !
Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains;
Vous-même, rappelant votre force première,
Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière.
Vous la voyez,
Madame, et prête à vous cacher,
Vous haïssez le jour que vous veniez chercher?

PHÈDRE

Noble et brillant auteur d'une triste famille,
Toi, dont ma mère osait se vanter d'être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois.



ONONE

Quoi? vous ne perdrez point cette cruelle envie?
Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,
Faire de votre mort les funestes apprêts?

PHÈDRE

Dieux ! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts !
Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière,
Suivre de l'oil un char fuyant dans la carrière?

ONONE

Quoi,
Madame?



PHÈDRE

Insensée, où suis-je? et qu'ai-je dit?
Où laissé-je égarer mes voux et mon esprit?
Je l'ai perdu : les dieux m'en ont ravi l'usage. Onone, la rougeur me couvre le visage :
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs;
Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs.



ONONE

Ah! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence
Qui de vos maux encore aigrit la violence.
Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,
Voulez-vous sans pitié laisser finir vos jours?
Quelle fureur les borne au milieu de leur course?
Quel charme ou quel poison en a tari la source?
Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n'est entré dans vos yeux,
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture.
A quel affreux dessein vous laissez-vous tenter?
De quel droit sur vous-même osez-vous attenter?
Vous offensez les dieux auteurs de votre vie;
Vous trahissez l'époux à qui la foi vous lie;



Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que vous précipitez sous un joug rigoureux.
Songez qu'un même jour leur ravira leur mère,
Et rendra l'espérance au fils de l'étrangère,
A ce fier ennemi de vous, de votre sang,
Ce fils qu'une
Amazone a porté dans son flanc,
Cet
Hippolyte....

PHÈDRE

Ah, dieux!

ONONE

Ce reproche vous touche.

PHÈDRE

Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche?

ONONE

Hé bien ! votre colère éclate avec raison :
J'aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez donc.
Que l'amour, le devoir vous excite.
Vivez, ne souffrez pas que le fils d'une
Scythe,
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Commande au plus beau sang de la
Grèce et des dieux.
Mais ne différez point : chaque moment vous tue.
Réparez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours, prêts à se consumer,
Le flambeau dure encore et peut se rallumer.

PHÈDRE

J'en ai trop prolongé la coupable durée.

ONONE

Quoi? de quelques remords êtes-vous déchirée?
Quel crime a pu produire un trouble si pressant?
Vos mains n'ont point trempé dans le sang innocent



PHÈDRE

Grâces au
Ciel, mes mains ne sont point criminelles.
Plût aux dieux que mon cour fût innocent comme elles !

ONONE

Et quel affreux projet avez-vous enfanté
Dont votre cour encor doive être épouvanté?

PHÈDRE

Je t'en ai dit assez. Épargne-moi le reste.

Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.

ONONE

Mourez donc, et gardez un silence inhumain;
Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.
Quoiqu'il vous reste à peine une faible lumière,
Mon âme chez les morts descendra la première.
Mille chemins ouverts y conduisent toujours,
Et ma juste douleur choisira les plus courts.
Cruelle, quand ma foi vous a-t-elle déçue?
Songez-vous qu'en naissant mes bras vous ont reçue?
Mon pays, mes enfants, pour vous j'ai tout quitté.
Réserviez-vous ce prix à ma fidélité?

PHÈDRE

Quel fruit espères-tu de tant de violence?
Tu frémiras d'horreur si je romps le silence.

ONONE

El que me direz-vous qui ne cède, grands
Dieux!
A l'horreur de vous voir expirer à mes yeux?

PHÈDRE

Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable,
Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.



ONONE

Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai
Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez mon esprit de ce funeste doute.

PHÈDRE

Tu le veux.
Lève-toi.

ONONË

Parlez, je vous écoute.

PHÈDRE

Ciel! que lui vais-je dire, et par où commencer?

ONONE

Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser.

PHÈDRE

O haine de
Vénus !
O fatale colère !

Dans quels égarements l'amour jeta ma mère!

ONONE

Oublions-les,
Madame; et qu'à tout l'avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.

PHÈDRE

Ariane, ma sour, de quel amour blessée,
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée!

ONONE

Que faites-vous,
Madame? et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd'hui?

PHÈDRE

Puisque
Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.



ONONE

Aimez-vous?

PHÈDRE

De l'amour j'ai toutes les fureurs.

ONONE

Pour qui?

PHÈDRE

Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J'aime...
A ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J'aime...

ONONE

Qui?

PHÈDRE

Tu connais ce fils de l'Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé?

ONONE

Hippolyte?
Grands
Dieux!

PHÈDRE

C'est toi qui l'as nommé

ONONE

Juste ciel! tout mon sang dans mes veines se glace.
O désespoir! ô crime! ô déplorable race!
Voyage infortuné !
Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux?

PHÈDRE

Mon mal vient de plus loin.
A peine au fils d'Egée
Sous les
Jois de l'hymen je m'étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.



Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue;

Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue;

Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler;

Je sentis tout mon corps et transir et brûler;

Je reconnus
Vénus, et ses feux redoutables,

D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.

Par des voux assidus je crus les détourner :

Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner;

De victimes moi-même à toute heure entourée,

Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.

D'un incurable amour remèdes impuissants !

En vain sur les autels ma main brûlait l'encens :

Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,

J'adorais
Hippolyte; et le voyant sans cesse,

Même au pied des autels que je faisais fumer,

J'offrais tout à ce dieu que je n'osais nommer.

Je l'évitais partout.
O comble de misère !

Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.

Contre moi-même enfin j'osai me révolter :

J'excitai mon courage à le persécuter.

Pour bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre,

J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre;

Je pressai son exil, et mes cris éternels

L'arrachèrent du sein et des bras paternels.

Je respirais, Onone; et depuis son absence,

Mes jours moins agités coulaient dans l'innocence.

Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,

De son fatal hymen je cultivais les fruits.

Vaines précautions!
Cruelle destinée!

Par mon époux lui-même à
Trézène amenée,

J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné :

Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.

Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée :

C'est
Vénus toute entière à sa proie attachée.

J'ai conçu pour mon crime une juste terreur;

J'ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.



Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je n'ai pu soutenir tes larmes, tes combats,
Je t'ai tout avoué; je ne m'en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les approches,
Tu ne m'affliges plus par d'injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s'exhaler.



Acte
II,
Scène . -
Phèdre,
Hippolyte.

PHÈDRE

Oui,
Prince, je languis, je brûle pour
Thésée.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cours après soi,
Tel qu'on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage,
Cette noble pudeur colorait son visage
Lorsque de notre
Crète il traversa les flots,
Digne sujet des voux des filles de
Minos.
Que faisiez-vous alors?
Pourquoi, sans
Hippolyte,
Des héros de la
Grèce assembla-t-il l'élite?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords?
Par vous aurait péri le monstre de la
Crète,
Malgré tous les détours de sa vaste retraite.
Pour en développer l'embarras incertain,
Ma sour du fil fatal eût armé votre main.
Mais non, dans ce dessein je l'aurais devancée :
L'amour m'en eût d'abord inspiré la pensée.
C'est moi,
Prince, c'est moi dont l'utile secours
Vous eût du
Labyrinthe enseigné les détours.

Que de soins m'eût coûtés cette tête charmante !
Un fil n'eût point assez rassuré votre amante.
Compagne du péril qu'il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j'aurais voulu marcher;
Et
Phèdre au
Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue.



Acte
III,
Scène . -
Phèdre, Onone.

onone
Il faut d'un vain amour étouffer la pensée,
Madame.
Rappelez votre vertu passée.
Le
Roi, qu'on a cru mort, va paraître à vos yeux;
Thésée est arrivé,
Thésée est en ces lieux.
Le peuple, pour le voir, court et se précipite.
Je sortais par votre ordre, et cherchais
Hippolyte,
Lorsque jusques au ciel mille cris élancés...

PHÈDRE

Mon époux est vivant, Onone, c'est assez.

J'ai fait l'indigne aveu d'un amour qui l'outrage;

Il vit : je ne veux pas en savoir davantage.

onone
Quoi?

PHÈDRE

Je te l'ai prédit; mais tu n'as pas voulu.
Sur mes justes remords tes pleurs ont prévalu.
Je mourais ce matin digne d'être pleurée;
J'ai suivi tes conseils, je meurs déshonorée.

onone
Vous mourez?

PHÈDRE

Juste
Ciel! qu'ai-je fait aujourd'hui?
Mon époux va paraître, et son fils avec lui.
Je verrai le témoin de ma flamme adultère



Observer de quel front j'ose aborder son père,

Le cour gros de soupirs qu'il n'a point écoutés,

L'oil humide de pleurs par l'ingrat rebutés.

Penses-tu que sensible à l'honneur de
Thésée,

Il lui cache l'ardeur dont je suis embrasée?

Laisscra-t-il trahir et son père et son roi?

Pourra-t-U contenir l'horreur qu'il a pour moi?

Il se tairait en vain.
Je sais mes perfidies,

Onone, et ne suis point de ces femmes hardies

Qui goûtant dans le crime une tranquille paix,

Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.

Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes.

Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes

Vont prendre la parole, et prêts à m'accuser,

Attendent mon époux pour le désabuser.

Mourons.
De tant d'horreurs qu'un trépas me délivre.

Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre?

La mort aux malheureux ne cause point d'effroi.

Je ne crains que le nom que je laisse après moi.

Pour mes tristes enfants quel affreux héritage !

Le sang de
Jupiter doit enfler leur courage ;

Mais quelque juste orgueil qu'inspire un sang si beau,

Le crime d'une mère est un pesant fardeau.

Je tremble qu'un discours, hélas! trop véritable,

Un jour ne leur reproche une mère coupable.

Je tremble qu'opprimés de ce poids odieux

L'un ni l'autre jamais n'ose lever les yeux.

Contact - Membres - Conditions d'utilisation

© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.

Jean Racine
(1639 - 1699)
 
  Jean Racine - Portrait  
 
Portrait de Jean Racine
mobile-img